Intervention de Gélita Hoarau au Sénat

« Renforçons les bases d’un co-développement durable entre nos îles »

6 octobre 2007

Gélita Hoarau, Sénatrice de La Réunion est intervenue dans le débat sur le projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile. Nous reproduisons ci-dessous son intervention...

Rarement projet de loi n’aura suscité en moi autant d’interrogations, de confrontations, et, pour tout dire, de déstabilisation.
Maîtrise de l’immigration, intégration, droit d’asile, mes chers collègues, sur nombre de ces points, nos débats prouvent que nous sommes partagés.
Si nous le sommes, sans doute est-ce parce que ce débat touche à l’essence-même de l’identité de chacun de nous.

Je ne veux suspecter quiconque de desseins irrecevables lors de l’élaboration de ce projet de loi.
Je veux simplement vous dire comment, personnelement, je ressens ce texte. Non par je ne sais quel sentimentalisme, mais parce que si j’ai ce ressenti, je vous propose d’imaginer ce que peut être celui de nos voisins, de nos cousins malgaches, mauriciens, seychellois et comoriens.
Dans leur grande majorité, les Réunionnais sont arrivés dans ce qui allait devenir leur île soit couverts de chaînes, soit, après 1848, chassés de chez eux par la misère - ce qui fut le cas de ma famille - et pourvus d’un acte d’engagement jamais respecté. Du servage, la main d’œuvre migrante passait ainsi à ce que les historiens et économistes appellent « le salariat contraint ».
En moins de 35 années d’engagisme, la population de l’île a doublé.

Descendante de travailleurs agricoles indiens engagés

Je descends de la 3ème génération de travailleurs agricoles indiens engagés importés du Tamil Nadhu au Sud de l’Inde.
Plus d’un siècle durant, les ouvriers agricoles et les ouvriers d’usine qui ont permis à la France d’être productrice de son sucre de canne étaient d’origine africaine, indienne ou malgache.
Les engagés mozambicains, privés de leur patronyme par le bureau portugais de l’émigration, ne peuvent quasiment pas remonter dans leur filiation. Au contraire, les engagés indiens faisaient l’objet d’un enregistrement par les services britanniques. Il nous est donc possible, en étudiant contrats d’engagements et patronymes (même s’ils furent souvent estropiés), de suivre la dispersion de familles entières dans les possessions anglaises et françaises de l’Océan Indien ainsi qu’aux Antilles.
D’origine malgache et rodriguaise, dockers importés des Comores pour briser des mouvements sociaux, ces engagés peuvent, eux aussi, constater comment des familles entières, dispersées sur des îles voisines par des décisions sur lesquelles elles n’eurent aucune prise, se trouvent confrontées à des sorts différents.
Pour nos îles, l’abolition récente du statut colonial a entraîné des situations fort diverses.
Statut de Département le 19 mars 1946 pour La Réunion, indépendance en 1960 pour Madagascar, en 1968 pour Maurice, en 1975 pour 3 des îles comoriennes et en 1976 pour les Seychelles.
L’avènement de la 2ème République malgache en 1974-75 et l’indépendance de 3 des 4 îles comoriennes ont, nous le déplorons, entraîné des mesures économiques et politiques que les peuples malgache et comorien ont vécu comme des mesures de rétorsion.
Les coups d’État perpétrés à l’encontre de la jeune République des Comores ont été à l’origine d’une dégradation considérable de la situation économique, sociale et sanitaire, et les mesures administratives de visa prises après 1993 ont donné lieu à un flux migratoire aux conséquences dramatiques. Entre 1995 et aujourd’hui, ce sont près de 6.000 personnes qui auraient péri en tentant de rejoindre l’île de Mayotte sur des embarcations de fortune appelées kwassa-kwassa.

Dans une région où tout change rapidement

S’il est vrai que les statuts politiques des îles Mascareignes ont pu changer, il est une réalité que les siècles à venir ne sauraient changer et qui est la réalité géographique.
Certes, nous sommes une île de la République, intégrée à l’Union Européenne, mais nous sommes situés dans l’Océan Indien, dans l’hémisphère Sud et à presque 10.000 kilomètres d’ici.
Cette situation peut, si nous le décidons tous, constituer pour la République comme pour l’Union un atout considérable, surtout si nous nous attachons à prendre en compte les attentes de nos voisins.
Nous sommes, mes chers collègues situés dans une région où tout change rapidement.
À 2.000 km de notre île, l’Afrique du Sud joue de plus en plus son rôle de puissance régionale et comptera 50 millions d’habitants en 2050.
Dans notre région, l’Inde s’affirme tous les jours un peu comme une grande puissance. Peuplée de 1,122 milliard d’habitants en 2006, elle en comptera 1,628 milliard en 2050, dépassant la Chine, laquelle, peuplée de 1,311 milliard d’habitants en 2006, en comptera 1,437 milliard en 2050.
À 800 km de nos côtes, Madagascar, aujourd’hui peuplé de 17,8 millions d’habitants, en comptera 28,2 millions en 2025 et 42 millions d’habitants en 2050.
Les 3 îles comoriennes fédérées doubleront leur population passant de 700.000 à 1,5 million d’habitants. L’île Maurice atteindra les 1,5 million en 2050 et nous-mêmes devrions compter 1 million d’habitants aux alentours de 2025-2030.
C’est la réalité de cet environnement qui nous commande d’envisager l’avenir avec le plus de clairvoyance possible.

Pourquoi le pays des Droits de l’Homme et des Citoyens leur impose-t-il des contraintes qui sont vécues comme des vexations et humiliations ?

L’actuel projet de loi, tel qu’il nous est présenté, est, je vous l’ai déjà dit, très troublant pour la citoyenne française et indocéanique que je suis. Je dois à la vérité de vous dire que la question de l’empreinte génétique est vraiment très mal ressentie par nos voisins. En effet, un citoyen français, résident ou non à La Réunion, peut se déplacer chez nos voisins sans problème, pourquoi le pays des Droits de l’Homme et des Citoyens leur impose-t-il des contraintes qui sont vécues comme des vexations et humiliations ?

L’un de nos Premiers ministres avait déclaré en son temps que la France ne saurait accueillir toute la misère du monde.
Certes, mais ce constat restera sans effet aucun si se perpétue la misère du monde.

Il est des chiffres qui, sans cesse, nous sont donnés pour nous alerter sur l’imminence d’un dangereux effet de “trop-plein” de migrants.
Il en est d’autres qu’il conviendrait également d’avoir à l’esprit. Celui de 6.000 morts en 10 ans entre la Grande Comore et Mayotte. Combien en Méditerranée, combien au large des côtes de l’Afrique de l’Ouest ?
Pouvons-nous croire un seul instant de plus que ces peuples se trouveront découragés de fuir un quotidien qui les désespère du seul fait de l’existence d’un texte de plus ?

Pour un véritable co-développement durable

Si l’Inde et la Chine deviennent chaque jour un peu plus de véritables géants, à leur tour, les 53 pays d’Afrique, dans des conditions souvent très difficiles, se sont placés sur la voie du développement.
Trop longtemps, ils ont espéré qu’au nom des liens tissés au cours d’expériences parfois dramatiques de vie commune avec la France, un nouveau cours politique basé sur un véritable co-développement durable pourrait voir le jour.
Dans notre zone géographique, nous pensons qu’il est encore temps d’agir en ce sens. Mais il convient d’agir sans tarder.
Car, lassés des propos sans lendemain ou de décisions vexatoires, nos voisins se tournent déjà vers d’autres concours.

Dans ce monde où tout s’accélère, dans notre région encore fortement marquée par son passé colonial, gardons-nous, je vous en prie, d’ajouter ce qui pourrait, à vos yeux, paraître comme des remparts capables de dissuader les migrants de risquer leur vie quand ils pensent pouvoir ainsi la sauver. Gardons-nous de ces mesures qui apparaîtront aux yeux de nos voisins comme des murs que nous montons toujours plus hauts, mais en vain.

Au contraire, renforçons les bases d’un co-développement durable entre nos îles dans le prolongement de la récente rencontre entre les Présidents Nicolas Sarkozy et Mohammed Sambi, prévoyant la mise en place d’un “groupe de travail de haut niveau”, destiné notamment à aboutir à la conclusion d’un accord bilatéral sur le développement conjoint Mayotte-Comores et la circulation des personnes et des biens entre les deux territoires.

Les atouts de La Réunion

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