Bilan et perspective 72 ans après l’abolition du statut colonial : conférence à l’Université de La Réunion

Responsabilité pour plus d’autonomie : un rassemblement possible

18 avril 2018, par Manuel Marchal

La conférence d’hier à l’Université a permis de constater que le constat sur la bilan de la départementalisation à La Réunion est largement partagé, tout comme la nécessité de faire évoluer ce cadre qui ne donne pas des moyens suffisants pour régler les problèmes de la population. D’où l’importance de débattre autour d’un projet susceptible de rassembler largement et d’être décisif dans la négociation avec Paris pour l’application de nouvelles politiques publiques à La Réunion. Un projet qui passe par plus de responsabilité pour les Réunionnais, c’est un autre point de consensus.

Paul Hoarau, Élie Hoarau, Wilfrid Bertile et Jack Gauthier.

Dans le cadre de son cycle de conférences, la Faculté des Lettres organisait hier à l’amphi Sudel Fuma une conférence-débat sur le thème de la loi du 19 mars 1946, texte qui a abolit le statut colonial en Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion, en intégrant ces colonies dans la République en tant que départements français. Il s’agissait d’un « regards croisés » avec pour base les interventions de Paul Hoarau, Élie Hoarau, Wilfrid Bertile et Jack Gauthier.

Ces interventions ont permis de revenir sur les raisons qui ont amené une décolonisation originale. Plutôt que l’indépendance, les Réunionnais ont choisi l’intégration dans la République. C’était une revendication portée par le mouvement social, son application était de nature à sortir de la misère dans laquelle se trouvait La Réunion au lendemain de la Seconde guerre mondiale, et à remettre en cause un ordre social très inégalitaire.

À l’heure du bilan, tous les intervenants ont noté des avancées dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’équipement notamment. Ils sont également d’accord pour souligner que ces avancées prévues dès le départ dans la loi sont le résultat de luttes, avec pour aboutissement l’égalité sociale au 1er janvier 1996.

Constat partagé

Mais tous font également le constat que le système mis en place à la suite de la loi du 19 mars est arrivé à bout de souffle. Il a créé « un territoire sous perfusion » selon Wilfrid Bertile, « un situation sociale hors-norme pour l’INSEE » rappelle Elie Hoarau, une déresponsabilisation des Réunionnais, souligne Paul Hoarau. Le président du PCR a souligné que cette situation découle du fait que « les outils de 1946 ne sont plus adaptés à la situation qui va s’aggraver avec les effets de phénomènes mondiaux » : changement climatique, mondialisation des échanges, croissance démographique et révolution technologique. « Les Réunionnais ne maîtrisent plus l’économie sucrière, la banque, le commerce. Les transferts publics sont recyclés au bénéfice des grandes sociétés capitalistes de France et d’Europe. C’est l’économie de comptoir, c’est le néocolonialisme. »

C’est donc la nécessité de dépasser ce cadre. Pour Wilfrid Bertile, « La départementalisation est un système inégalitaire qui laisse de côté la moitié de la population ». Ce système a des résultats et des limites d’où la nécessité d’un nouveau projet : une Réunion réunionnaise. « Est-ce un rattrapage ou la prise en compte de la situation de La Réunion ? » La Réunion est structurellement autre. Il appelle les Réunionnais à construire ensemble cette Réunion nouvelle.

Pour Jack Gauthier, conseiller régional à l’adaptation de la loi, une possibilité soutenue par la Région Réunion est d’inclure dans la réforme constitutionnelle à venir les éléments du droit européen applicable aux régions ultrapériphériques. L’article 349 du Traité de Lisbonne prévoit le droit à la spécificité, la future Constitution doit intégrer le « droit à la différenciation » d’après Jack Gauthier. Pour La Réunion, cela peut se traduire par l’inscription dans la loi du contenu de l’article 349 du traité de l’Union européenne.

Pour sa part, Paul Hoarau souligne « le nœud du problème » : « nous ne sommes pas responsables de notre développement. Les dispositions institutionnelles ne suffisent pas. Il faut aussi un état d’esprit. Toute la politique actuelle de La Réunion repose sur des fondamentaux qui sont faux ». Ces fondamentaux sont : d’où venons-nous, qui sommes-nous, de quel ensemble faisons-nous partie, quelle est notre pouvoir dans cet ensemble. « On nous dit que La Réunion est en France. Il suffit de voir la carte du monde pour voir que ce n’est pas vrai. Nous sommes Français parce que nous voulons l’être », précise-t-il.

Propositions du PCR

Elie Hoarau rappelle que face à la crise, le pouvoir a voulu corriger à la marge par une multitude de textes, « sans apporter de réponses fondamentales ».
D’où l’importance de revisiter la loi du 19 mars 1946. « Tout le monde convient que les choses ne marchent pas comme il faut, et on parle de plus en plus d’émancipation, de différenciation et d’autonomie ». Si ce constat est partagé, alors il est nécessaire de rassembler largement les Réunionnais, affirme-t-il. D’où la proposition d’organiser une large concertation pour un projet global de développement intégrant l’environnement. « Ce projet doit être fait sur 20 ans, dans un cadre accepté par le pouvoir. Ce cadre est la double appartenance à la République française et à la région indianocéanique. Ce projet doit inclure les outils nouveaux : législatifs et financiers ».

Sur le contenu, Elie Hoarau donne sa position : « une collectivité territoriale dotée de compétences élargies pouvant légiférer par habilitation avec un délai bien plus rapide. Cette collectivité doit être dotée d’un fonds de développement ». « C’est cela exercer la responsabilité pour plus d’autonomie », ajoute le président du PCR, « et cette concertation doit commencer dès maintenant. Le PCR a mis ses propositions sur la table, tout en indiquant que ce n’est pas à prendre ou à laisser mais qu’elles alimentent le débat.

Paul Hoarau est du même avis. Il plaide pour un pouvoir réunionnais capable de discuter d’égal à égal avec le gouvernement. Il fonde cette analyse sur le fait que la République française est constituée de plusieurs peuples qui ont formé une nation. Sur cette base, chaque peuple doit être respecté et doit avoir les outils pour se faire. Cette proposition aboutirait à une vision différente des rapports avec la France. Ce ne seraient plus les parlementaires qui seraient des porteurs de revendications. Ce serait au pouvoir réunionnais de négocier avec la France les politiques publiques qui s’appliqueraient dans notre île.

Aux Réunionnais de décider

« L’action doit se faire avant les décisions définitives issues des Assises des Outre-mer. À l’heure de la responsabilité, c’est à nous de décider », poursuit Elie Hoarau.
« En 1945, les Réunionnais n’ont pas attendu que Paris demande de faire. Issus de différentes sensibilités, ils se sont rassemblés dans un collectif pour abolir le statut colonial », conclut le président du PCR, « ouvrons une nouvelle étape pour le développement de La Réunion ».

Dans le débat qui suivit, Julie Pontalba est intervenue pour rappeler que Paul Vergès avait déposé une proposition de loi visant à faire du 19 mars, date de promulgation de la loi de décolonisation, un jour férié au même titre que le 20 décembre. À ce sujet, Elie Hoarau a rappelé que dans tous les pays qui étaient des anciennes colonies, la date anniversaire du jour de la décolonisation est toujours devenu une fête nationale. À La Réunion, ce jour est le 19 mars. D’où l’importance que cette date puisse être célébrée, car elle marqua pour La Réunion une étape historique au même titre que l’abolition de l’esclavage le 20 décembre 1848.

M.M.

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