Tribune libre de Pierre Vergès

Route du littoral : Lettre ouverte aux Réunionnais

17 novembre 2011

Dans le cadre de l’enquête publique sur la nouvelle route du littoral, et compte tenu de l’opacité du projet, pointant du doigt notamment « l’absence totale d’éléments fiables et étayés sur la partie financière », Pierre Vergès, bien que reconnaissant la nécessité d’une nouvelle route sécurisée entre Saint-Denis et La Possession, invite les Réunionnais à s’interroger sur sa fiabilité, à se poser les bonnes questions sur les avantages et inconvénients de cette infrastructure.

Actuellement se déroule l’enquête publique pour la construction de la future route du littoral.
Il est important que l’ensemble des Réunionnais — et pas seulement les habitants des deux premières communes concernées, à savoir Saint-Denis et La Possession — se prononce sur le projet proposé par l’actuelle majorité du Conseil régional.
Car ce sont bien les huit cent mille habitants de l’île qui devront payer ce lourd investissement.
Mais nous devons faire abstraction de nos émotions, de nos a priori partisans et ne pas nous laisser influencer par toute polémique stérile.
Au-delà des problématiques techniques, notamment l’incertitude sur le traitement des entrées de Saint-Denis et de La Possession, quelles sont les principales questions que les Réunionnais pourraient se poser ?
À mon sens, elles sont au nombre de trois :

- Une telle infrastructure est-elle encore aujourd’hui indispensable ?

- Quel est exactement son coût ?

- Comment va-t-elle être financée ?

1) Une telle infrastructure est-elle encore aujourd’hui indispensable ?

À cette première question, nous avons tous la même position : oui, il faut construire une nouvelle route du littoral sécurisée par rapport aux chutes de pierres… MAIS AUSSI aux effets de la houle marine.
En ce qui concerne les éboulis, selon les études des experts sollicités depuis 1998 par la majorité régionale d’alors, nous ne sommes pas à l’abri d’un effondrement d’une partie de la falaise qui peut intervenir à tout moment.
Cet élément, l’ancienne majorité l’avait intégré dans l’Accord de Matignon du 19 janvier 2007, suite au drame de l’effondrement d’une masse de la falaise survenu en 2006.
En effet, en plus du tram-train, nous avions pu obtenir du gouvernement le financement pour la construction en urgence d’une nouvelle route du littoral à deux fois deux voies.
À l’époque, en 2007, elle était estimée à environ 930 millions d’euros. L’État assurait le financement de 60% de l’investissement et les surcoûts à sa charge au même taux de participation.
Ainsi, en fin d’année 2009, le coût après les premières études était identifié à 1.430 millions d’euros, soit 500 millions d’euros de plus que l’estimation de 2007, l’État prenant donc 60% du surcoût, soit 300 millions d’euros supplémentaires.
Encore une fois, il est nécessaire, urgent et indispensable de sécuriser totalement la route du littoral.

2) Quel est exactement son coût ?

Comme beaucoup de Réunionnais, à la question « combien va nous coûter exactement la future route qui nous est proposée actuellement », je n’ai toujours pas la réponse.
Par ailleurs, on peut noter l’absence totale d’éléments fiables et étayés sur la partie financière du projet, dans le dossier qui est mis à notre disposition dans les Mairies de Saint-Denis et de La Possession.
Aujourd’hui, le président de Région affirme haut et fort que le projet qu’il nous propose, à six voies, donc deux voies supplémentaires par rapport au projet initial, ne coûtera pas plus de 1,6 milliard d’euros.
Rappelons-nous ceci : ce chiffre, il nous l’a présenté alors qu’il venait à peine d’être élu président de Région.
Malgré les nombreuses demandes de l’opposition et des journalistes, Didier Robert a, jusqu’à ce jour, été dans l’incapacité de présenter une étude pouvant étayer son affirmation, à savoir que le coût de la future route du littoral ne coûterait pas plus de 1,6 milliard d’euros.
Je vais me permettre de comparer le traitement de l’information sur ce dossier avec celui du tram-train.
À ce stade de la consultation publique, nous avions à l’époque mis à la disposition des Réunionnais toutes les informations à la fois techniques, mais également financières du tram-train.
Tout le monde disposait des informations précises liées au tracé, à l’impact sur l’environnement, aux expropriations, au traitement des voies ferrées, et surtout au coût d’investissement du tram-train ainsi qu’à son montage financier.
Les remboursements bancaires, l’impact économique du projet, notamment le nombre exact d’emplois créés pendant les travaux et lors de l’exploitation du tram-train avaient été identifiés, sous le contrôle de la mission d’appui au PPP (MAPPP), rattaché au Ministère des Finances à Bercy.
Pour preuve, nous n’avions jamais caché avant la signature du contrat de partenariat public-privé qu’on attendait un complément de financement sous forme de dotation ferrée — comme toutes les Régions de métropole bénéficient — pour boucler le financement du tram-train.
Ce faisant, la validité du contrat de partenariat avec le groupement Tram’tiss était conditionnée par l’obtention, au plus tard fin mai 2010, d’une rallonge financière de l’État.
La suite, on la connaît…
Tout cela pour dire qu’à ce stade de la consultation publique sur la future route du littoral, nous n’avons aucune information précise et fiable sur son coût.
Dans ce cas, il est extrêmement difficile de demander à la population de donner son avis sur un projet aussi important sans afficher son coût définitif.
En clair, on nous demande de signer un chèque en blanc !

3) Comment va-t-elle être financée ?

Enfin, la troisième question, comment va-t-on pouvoir financer la future route du littoral ?
Cette interrogation est liée à la précédente, à savoir combien elle va nous coûter !
Une chose est sûre, tout le monde le sait, le président de Région aussi, ou doit le savoir maintenant, que cette nouvelle route dépassera largement les 2,5 milliards d’euros, voire 3 milliards !
Il faut savoir que l’Accord de Matignon, version Didier Robert, prévoit une prise en charge par l’État de seulement 532 millions d’euros, soit 33% de l’investissement, alors que le précédent accord prévoyait 60% pour l’État.
Par ailleurs, ce nouvel accord signé par Didier Robert précise que les surcoûts seront en totalité à la seule charge de la Région, c’est à dire nous, les contribuables !
Je vous laisse imaginer la situation financière à laquelle nous allons devoir faire face pour rembourser les emprunts bancaires… dans un contexte où les banques ont de plus en plus de réticences à prêter à un taux avantageux sur le long terme.
D’autant que, dans un environnement de crise financière et d’austérité sans précédent pour notre nation, il ne faudra sûrement pas compter sur le soutien de l’État pour boucler le financement de la future route du littoral…
À défaut d’informations précises sur ces problématiques financières, il me semble difficile pour les Réunionnais et contribuables que nous sommes de nous prononcer favorablement sur le projet de la nouvelle route du littoral.

Pierre Vergès

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