Tribune libre

Sa présidence tue la République

17 avril 2007

Mon cher Témoignages, des mises de l’humanité à l’universel singulier

Je suis effaré du vide intellectuel, de la nullité conceptuelle de la plupart des journaux métropolitains.
C’est donc à La Réunion des peuples d’humanité que j’adresse mon cri d’alarme où la puissance d’indignation de colère explosive le dispute au fou rire dont il atteint les larmes.

Ne doutez pas de ma chaleureuse sympathie fraternelle.

Père Jean Cardonnel

Il existe des formules lapidaires qui résument infiniment mieux que de savants traités toute la bouffonnerie tragique de nos jeux électoraux présidentiels. L’homme sorti de l’intérieur pour embrasser l’horizon d’un regard élyséen possède à fond l’art de ces maîtres-mots, raccourcis d’une philosophie définitive. Il vient d’en articuler deux où la densité de pensée le dispute à l’énergie de l’homme d’Etat.

La première phrase-clé d’ouverture des coffres dans lesquels la réussite historique attend son heure est une véritable profession de foi inspirée du fameux « L’Etat, c’est moi » : « Je veux être le président qui s’efforcera de moraliser le capitalisme ». Enfin un homme d’une vérité de langage si abrupt qu’il ne rougit pas d’étaler son utopie ! Alors que la plupart des politiques n’ont qu’une peur - passer pour des utopistes, rêveurs de l’irréalisable, de l’impossible fraternité humaine -, voilà un partisan avoué de l’utopie contraire. Que dis-je de l’utopie ? De la chimère absolue : moraliser l’immoralité totale. Rendre moral l’immoral, l’amoral lui-même ; l’accumulation du capital. Donner une vertu, une âme au putanat structurel ! Nous sommes face à l’équivalence de tous les essais d’humaniser la guerre.

La deuxième maxime du grand émigré de l’Intérieur en demande d’un statut présidentiel de la République française précise le fondement métaphysique, même ontologique, de son éthique d’une monarchie républicaine. La base, le principe, le nerf de sa philosophie n’est autre qu’une conviction bien enracinée : tout ce que je deviens, je le suis au départ. Mon devenir s’inscrit dans le cadre de mon être. Le meurtre, le massacre, l’acte de tuer pré-suppose la nature d’un tueur. Il m’était répété dans mon formatage de religieux dominicain : « Agere sequitur esse, l’agir suit l’être ». Je réalise dans ma vie, par mes actes, mon je suis ainsi et n’y peux rien ; comme je suis en suiviste, mon être, tel qu’il m’impose, m’inflige sa loi dès ma naissance. Eh bien, là réside la pensée profonde du ci-devant responsable de l’Intérieur, dévoré d’ambition du titre de Président d’une République jadis parlementaire.

Nicolas Sarkozy a rendu son verdict : « on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions pas gérer cette pathologie (...). Il y a 1.200 ou 1.300 jeunes qui se suicident en France chaque année (...), génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable ».

Pour le candidat de l’UMP à la magistrature suprême républicaine française, tout est donc clair : les hommes, les femmes et les enfants sont déterminés depuis leur naissance, et même leur conception. Ils deviendront inéluctablement, fatalement ce qu’ils ne peuvent pas ne pas être.

Or, le déterminisme constitue la forme profane, laïque de la pré-destination religieuse chrétienne. Que ce soit par la volonté d’un Dieu à ce point tout puissant qu’il n’est plus qu’idole monothéiste, ou bien par la force des choses d’un destin sans visage, le résultat est le même : moi, être humain, je ne suis plus, je n’ai jamais été libre. Car, ainsi que l’écrivait, il y a plusieurs siècles, mon grand ami Erasme, « si l’on veut que l’Homme soit coupable, il faut qu’il ait un peu de libre arbitre ».

Je proclame donc Nicolas Sarkozy volontairement déchu de la liberté, de l’égalité de la fraternité, devise de la République. L’évidence m’apparaît que la philosophie affichée de l’ex-ministre d’un Intérieur fermé à l’étranger par le projet de portefeuille gouvernemental de l’immigration et de l’identité nationale, n’a pas soulevé l’indignation et le fou-rire du peuple passionné de la République. En réalité, toute la campane présidentielle suinte d’une infantilisation vertigineuse. Elle ne répond au déni d’humanité de Sarkozy avec son “tout est écrit dans nos gênes” que par l’exposition aux fenêtres des petits drapeaux tricolores proposée par Ségolène Royal, béate d’admiration devant social et national marchant du même pas. Il n’est pas jusqu’à mes proches, d’une gauche de la gauche, qui ne se laissent fasciner par une fonction aussi discréditée de la présidence de la République française.

Aussi, à la date des prochaines élections, je n’irai pas m’enfermer, et m’abstraire de ma citoyenneté militante dans l’édicule nommé isoloir, grotesque parodie du suffrage universel. C’est en mon âme et conscience, le dégoût de l’article majeur du credo sarkoziste, avec son égotisme libéral sauvage « travaillez plus pour gagner plus » qui a provoqué ma décision d’un éloignement des urnes calculatrices menteuses.

Je ne veux plus être représenté ou présidé pour la raison très simple que voici : sa présidence estompe, omet, tue la République. Il en est ainsi parce que je me découvre non pas électeur furtif, passif, mais citoyen d’une transgression des frontières nationales, de l’espace et du temps, c’est-à-dire de l’humanité dont le nom politique est la République, faite d’hommes, de femmes, librement égaux et fraternels.

Père Jean Cardonnel


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