Lucidité, critique et espoir

Samedi, veille d’élection présidentielle

7 mai 2007

La foule du week-end se presse dans une grande surface, à la sortie du Port.

Jean-Baptiste, Carole. « J’ai fait mon choix. Carole aussi », commence Jean-Baptiste qui espère que « l’élu(e) respectera ses promesses et fera attention à la demande du peuple ». Quel(le) qu’il/elle soit, ce couple - qui dit aller voter « avec plus d’espoir que de crainte » - espère que l’élu(e) « s’occupera du volet social, tout en relançant l’économie ».

Un citoyen musulman, anonyme. Il souhaite rester anonyme, non pas qu’il craigne de dire ce qu’il pense - « Je ne suis pas pour Sarkozy » clame-t-il d’emblée - mais parce qu’il doute de l’avenir de la tolérance en France. « Les Britanniques sont plus tolérants » dit-il. Quant aux raisons de son rejet du candidat de l’UMP, il évoque « un passé d’extrême droite, quand il était étudiant. (...) La France risque aussi de glisser vers l’extrême droite s’il est élu » estime-t-il.

« Ça ne m’intéresse pas », lance seulement, en passant très vite, un homme d’une cinquantaine d’années, en affirmant qu’il ne votera pas. Une femme, avec sa petite fille, avoue qu’elle ne s’est pas inscrite sur les listes électorales.
Christine, quant à elle, est venue de la Possession faire ses courses. Et elle, elle vote : « Avec un gros espoir de changement » !

• Dimanche, 15h30

Au complexe sportif municipal du quartier Ariste Bolon, l’équipe de foot de Tan Rouge rencontre à domicile une équipe du Port et le match est animé. Malgré une fine pluie persistante, un public clairsemé s’est accroché par grappes en bordure du terrain. Certains parlent volontiers des élections.

Trois amis adossés à un pied de coco. Comme dans l’histoire des sages asiatiques et de l’éléphant, ils ont chacun un angle de vision du match.
Le premier n’est « pas motivé par la politique ». « La voté, lé bon » lâche-t-il.
Jean, à côté, n’est guère plus enthousiaste : « Sé kom tout zéleksion, i di “i fo fèr, zot sar fé...” apré kan lé élï, zot i fé zot afèr ».
Maurice n’est pas encore parti voter. Il pense le faire « après le match »... enfin peut-être. En fait, il ne sait pas. « Dawar lé dé lé parèy : nana i promèt, nana i promèt pa, mé kan la fine rantré, i fé pï in kont avèk le pèp » dit-il.
Bon. Du côté des seniors - ils ont tous les trois entre 35 et 45 ans- ce n’est pas très tonique !

Un peu plus loin, un groupe de jeunes comoriens soutient un ami qui joue dans l’équipe du Port.
“Rapido” a 22 ans. Mahorais d’origine, il est arrivé à La Réunion à l’âge de 17 ans. Il habite la cité Bolon où il a tous ses copains. « Au début, c’était difficile avec les Créoles ; on me disait “Komor”... Maintenant, je suis tranquille. On me connaît, on me respecte dans le quartier ». Il a l’âge de tenter la mobilité et il n’est pas sans appréhension. « On m’a dit que là-bas on est traité de tous les noms et qu’il ne faut pas faire attention ; on nous a dit d’aller là-bas pour réussir, pour gagner notre diplôme »...
Et le vote ? Ce sera pour après le match. « Pour moi, c’est Ségolène ! J’ai entendu Sarkozy... Il veut changer le RMI...Il fait la guerre aux sans-papiers...On ne sait pas jusqu’où il peut aller. Et il y a aussi la question de la religion. Je pense que Ségolène Royal va faire plus de social. J’ai bien aimé quand elle est rentrée dans Sarkozy pour les enfants handicapés : ils doivent pouvoir aller à l’école comme les autres. J’ai entendu dire que Ségolène va l’emporter. On verra ce soir... »
Son copain Alaïdine a 19 ans. Les autres l’appellent “le philosophe” en lui mettant de grandes claques sur l’épaule. Il doit bien être un peu rêveur parce qu’il s’y est pris trop tard pour s’inscrire sur les listes électorales. Il n’a donc pas voté cette fois-ci... « Je pense que c’est utile de voter cette fois ; ce n’est pas comme en 2002, les gens sont plus mobilisés ». Il a suivi le débat entre les deux finalistes et a trouvé « Ségolène plus faite pour être présidente ». A cause de sa colère pour les enfants handicapés. « Au moins avec elle, s’il y a quelque chose qui ne va pas, elle ne se cachera pas derrière son sourire pour dire que “tout va bien”... »

Mme Hoarau est “femme au foyer”, à Tan Rouge. Deux enfants. Elle suit son équipe partout et s’est installée en bordure d’allée sur un petit pliant.
Elle a voté aux deux tours, « pas la même chose ». Et elle n’est guère convaincue de son vote d’aujourd’hui. « Na poin le choix » dit-elle. « Pou moin, i shanzar pa, i sora parèy mèm... i vo pa la pènn ».

Ce sentiment d’absence de choix véritable est aussi ce qu’exprime un groupe voisin, d’hommes âgés autour de la quarantaine.
Roger F., le premier, dit :« Voter, c’est un devoir... mais j’ai voté nul aujourd’hui ». Pourquoi ? « Par rapor i mèt pa assé an avan le shomaz... I parl touzour droite/gosh mé lin kom lot, sé mèm zafèr... »
Dans la même veine, son copain Germain est beaucoup plus prolixe et virulent. Lui, sa référence, c’est Le Pen : « Si nou mèt dé personn an plas, i mèt larzan dan zot posh, i magouy ; zot i vol mé i rest déor ; le pti kan i vol, i rant la jol... azot non ! »
S’il y avait eu au 2e tour Le Pen contre Sarkozy, il aurait voté... Le Pen ! « Li lé bon pou nétoyé ! » Vu comme ça, les deux autres « i vo pa arien ; i sora mèm zafèr ».

Propos recueillis par P. David


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