Un dimanche d’élection au Chaudron

Ségo ou Sarko : les fins de mois seront toujours difficiles

7 mai 2007

Il n’y avait pas de militants politiques hier matin sur le marché forain du Chaudron. Pas de consignes de vote de dernière minute, d’argumentaires à la criée avant le scrutin décisif, mais l’animation de chaque dimanche. Une foule dense, éclectique, qui partage globalement l’idée que si un changement politique est nécessaire, le changement n’est pas pour demain.

Vers 10 heures, il ne faut pas trop déranger les forains, occupés à servir leur clientèle, à écouler leurs marchandises, ni même les passants venus remplir leurs tentes et qui ont du mal à se frayer un passage dans les minces allées qui séparent les stands. Nous allons donc un peu plus haut, au PMU, autre lieu de rassemblement pour tous ceux, nombreux, venus tenter leur chance au grattage ou au tirage avec l’espoir de gagner le petit, et au mieux le gros lot, pour pouvoir mettre du grain sur le feu à la fin du mois. Ici, à la différence des bookmakers anglais ou européens, on ne mise pas sur le cheval gagnant de la présidentielle. Ce n’est pas l’appel du vote qui génère une file d’attente constante mais celui de l’argent. Le devoir civique sera néanmoins accompli, mais au jeu des élections, quel que soit le vainqueur, les personnes que nous avons interrogées ont l’impression qu’elles resteront toujours les perdants. En redescendant vers le marché, un groupe de jeunes en pleine discussion a attiré notre attention. Pascal et Jo, deux habitants du quartier, sont heureux d’être sollicités, eux qui estiment que l’avis ou le sort de la jeunesse intéressent finalement peu de monde. Ils n’iront pas voter et nous expliquent pourquoi. Enfin, alors que la foule commençait à se dissiper, en fin de matinée, les forains ont eu davantage le temps de répondre à nos sollicitations. Des forains qui, une fois les étals pliés, se rendront aux urnes, avec le sentiment que, quel que soit le résultat final, le changement vers de meilleures conditions de vie et de travail n’est pas pour demain.

Stéphanie Longeras


Côté PMU : les jeux ne sont pas faits

• Emmanuel, 48 ans, ouvrier dans le BTP

«  Mi vot pou lo sanzman, soman...  »

Assis à un coin de table, les yeux rivés sur le téléviseur, Emmanuel attend le résultat du Rapido, son ticket en main. « Mi zoué pa tou lé zour solman kan na larzan », confie-t-il découvrant au même moment qu’il vient de perdre, mais avec un sourire qui ne le quitte pas. Il va maintenant pouvoir se rendre dans le quartier de Montgaillard pour couler son bulletin dans l’urne car « c’est vraiment important : i fo voté. » Sa motivation : « mi vot pou lo sanzman, soman kisoi linn ou lot, la fanm ou lom, i fo travay kan mèm ! » Effectivement, quel que soit le résultat, il restera toujours à Emmanuel, salarié du BTP depuis ses 18 ans, 15 années de labeur devant lui. Alors lui demander de travailler plus pour gagner plus... « Mi koné mèm pa si mi sa ariv ziska laz la rotrèt. Déza pou ariv 60 an lé dir, alor apré, ou fini kass kasé. Nou travay dir, bokou é nou giny in ti pé, alor mèm si i mèt lo Smic 1.500 èro - la d’si osi moin lé pa tro dakor - i sanz pa rien : aprè na zinpo, i prélèv plis. Ou giny in péy soman inn foi ou la fini donn a droit, donn a gos, su lo kont na pi rien ! » Finalement Emmanuel ira voter sans rien attendre précisément de ce scrutin, si ce n’est un changement auquel il ne croit pas, si ce n’est que des promesses se concrétisent, mais sans conviction là non plus.

• Une gramoune anonyme

«  Moin lé pa konvinki di tout  »

La petite dame d’un âge certain, occupée à gratter son Solitaire, ses paquets sous le bras, elle, ne s’est pas abstenue. A 10 heures du matin, elle avait même déjà voté : « c’est une habitude. » Ce qu’elle attend de ce scrutin ? « Sé pa tro, na oir. » Une chose est assurée, « moin lé pa konvinki di tout » et le « di tout » est appuyé dans le ton et avec le sourire. Elle coupe court à l’entretien, sans vouloir nous donner son nom et encore moins son image.

Propos recueillis par Stéphanie Longeras


Côté Kour

«  Le mensonge donne des fleurs pas des fruits  »

Pascal, 29 ans, employé à l’entretien d’espaces verts et Jo, 27 ans, sans emploi, n’iront pas voter. Et ils sont ravis d’avoir l’opportunité de s’en expliquer, très attachés à ce que leurs propos sont retranscrits dans leur exactitude. L’écoute portée à la jeunesse est tellement rare qu’ils ont le sentiment de parler pour eux et pour « lé ga ».

«  Nou sé paréy in volkan ... »

« An fin d’kont dann listoir, na poin rien pou lé ga, commence Jo. Lé in pé vié zé, zamé i agi, zot promès lé inposib pou réalisé. Dabor, si tout té posib, kom inn i di, alor nou noré d’travay. Pou la santé par éksanp, si na poin larzan, ou gingn pa soign aou bien kom ki fo. Na poin légalité kom zot i di. » Et Pascal de poursuivre : « Lé vré zot i rabash libérté, égalité, fratérnité soman ou sa i lé. Dousman, dousman nou la pérd nout dinité, madam. »
Et la balle passe à Jo : « Sarkozy li vé komandé, i vé in nafèr karé, i vé tout domoune i marsh droit soman i fo ékouté in pé kosa lo moune sinon bann zèn na pou di. »
Passe à Pascal : « Na linprésion zot lé dann virtiél, zot i kalkil pa vréman la réalité tél ki lé. Ou koné : Le mensonge donne des fleurs pas des fruits et nous on préfére la saveur du fruit... »
Bleuffée ! Le stylo décroche et les oreilles sont grandes ouvertes. Pascal slame, il enchaîne des phrases, rebondit sur des idées, rythme sa vision de la réalité. Un artiste avec un vrai talent, une vraie force des mots mais qui n’exploite pas ces capacités-là car qui cela intéresse-t-il ? « Pérsonn i propoz anou fé rouv nout zél pou alé pli loin, pou pa rèt atèr, commente alors Jo . Na poin konfians lé ga La Rényon. Alé pa rod déor !... anplis na tro lésploitèr. » Ils parlent sans emportement, sans colère dans la voix, mais on des choses à dire, une analyse de la société à laquelle l’on porte peut attention, et ce n’est pas par le vote qu’ils ont l’impression d’être entendus, un vote qui pour eux ne changera rien à leur quotidien, à la cité, à la précarité. Ils déplorent que la jeunesse soit stigmatisée, trop souvent considérée comme incapable avant même que lui accorde sa confiance, sa chance. Ils n’excluent pas la possibilité qu’un jour la colère monte car comme le souligne Pascal, le poète dans l’âme : « Nou sé paréy in volkan, i sifi parfoi in fisir pli gran pou la lav i sap-là, domin. »


Côté forains

Le travail fait vivre, pas l’espoir

• Franck, 37 ans, agriculteur forain

«  Quel que soit le gouvernement, on est pris dans l’Europe  »

Halte au stand de Franck, 37 ans, père de 3 enfants, levé depuis 2 heures du matin comme toute sa famille d’ailleurs qui suit le mouvement. « Je vais voter cette après-midi à Saint-Benoît, raconte-t-il. Pour La Réunion, je ne sais pas si ce scrutin va changer grand chose mais peut-être qu’il va déjà sensibiliser pour les législatives sur les changements à apporter dans certaines communes avec certaines personnes en place. Les présidentielles d’avant, avec le Pen, le vote était contraint, là on a le choix. De toute façon, quel que soit le gouvernement, on est pris dans l’Europe avec des règles et des barèmes stricts, avec Maastricht, les échanges économiques, la canne... peut-être que c’est ça qui finalement fait couler la France ? L’Europe c’est bien pour les pays en voie de développement mais pas ceux déjà industrialisés. En tant qu’agriculteur, j’ai l’impression qu’on nous a serré tous les boulons. Ca fait 10 ans que je vends des fleurs, quand l’euro est arrivé, on a peut-être augmenté le prix de moins de 1 euro mais depuis, il est stable, on est même obligé de baisser les prix pour que les gens achètent, même si le prix des entrants, la main-d’oeuvre sont plus cher... Je vote, mais si demain matin je ne me réveille pas pour aller travailler, je ne gagnerai pas ma sauce. »

• Didier, 43 ans, vendeur de crustacés sur le marché

«  I fo ésèy in kou inn fanm  »

Cette année, Didier ne passera pas son tour et se rendra bien aux urnes dans l’après-midi. « Na lontan mi té vot pi soman Sarko mi èm pa. Epi la droit o pouvoir pandan sink an nou la konèt. Jospin osi li la fé soman li la pa été rékonpansé. » Alors l’idée d’une femme présidente est plutôt tentant et signe d’un vrai changement. « Toultan i mét lo zom o pouvoir i sanz pa rien, i fo ésèy in kou inn fanm. Argard l’Allemagne. Epi kisa la fé la révolusion ? Sé lé fanm. Epi Marianne sé bien inn fanm osi...Alors ! Ségo té pou lérop mé pétèt i va sanzé. Sarko li lé tro dir, li té minist -dizon mèm li la inpoz alu kom promié minist ék Raffarin sinon Villepin- mi oi pa kosa la s’pasé sinon na plis délinkans ankor. Mi pans i fo argard in kou su lo sosial. »

• France, Lulu et leurs produits de la mer

«  Mi vé gingn plis z’èro  »

Quand elle me voit arriver, France se prépare déjà à me servir, hésitant entre un rouge ou une tranche d’espadon. Bien sûr qu’elle et son mari, Lulu, iront voter mais dans l’après-midi sur Saint-Paul. « C’est un droit, lance France. Toultan mi vot. Mi travay, mi péy, mi vot. » Son mari, octogénaire en pleine force de l’âge, occupé à servir un client, tend l’oreille et, croyant que je demande à sa femme pour qui elle va voter, intervient : « Lé dè program lé bon : travay plis ou gingn plis. » Le “ou” est important. Cet ancien pêcheur qui a passé 38 ans sur des petites barques de fortune pou gagner son sosso attend lui plus de moyens pour vivre. « Mi vé gingn plis z’èro akoz mon z’èro i fé kom domino. Pourtan, ni travay dir mé i anfini pi d’péyè tout bann sarz. Ni travay é ni péy pou lé zot. » C’est dit, il retourne à la découpe de son thon. France s’approche alors plus près et souffle à mon oreille : « na poin d’sékré d’éta pou moin, mi sa vot... » Je ne peux donner le nom de l’élu de France, secret professionnel oblige. Il en est qui craigne de dire tout haut, ce qu’il vote tout bas !

Propos recueillis par Stéphanie Longeras


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