380.000 mètres carrés vendus à des spéculateurs à Trois-Bassins, seront-ils rendus constructibles par le maire ?

« Si c’est déclassé, c’est un vrai puits de pétrole »

23 janvier 2013

Après une parcelle de 20 hectares, une autre de 18 hectares est en passe d’être achetée par un investisseur privé. Ces deux biens sont des terrains agricoles, mais les acheteurs sont prêts à payer 20 euros le mètre carré pour des galets et des cactus. Dans les deux cas, la mairie n’a pas exercé son droit de préemption, et l’EPFR est aux abonnés absents. Selon le ’JIR’, ces terrains pourraient être rendus constructibles par une décision du Conseil municipal. Des élus réunionnais vont-ils offrir un bénéfice de plusieurs centaines de millions d’euros à des spéculateurs qui feront ensuite payer le prix fort aux Réunionnais en attente d’un logement ?

Une parcelle inconstructible de 20 hectares achetée pour environ 4 millions d’euros, soit 20 euros le mètre carré. Une autre de 18 hectares sera mise aux enchères le 10 février, et l’acheteur déboursera sans doute plus que 4 millions d’euros pour une zone de savane située entre la route des Tamarins et l’ancienne route nationale. Ces sommes très élevées pour des terrains agricoles ont une explication donnée hier par le "Journal de l’île de La Réunion". Selon un avocat cité par le "JIR" : « Au prix du mètre carré agricole, ça vaut peau de balle. Mais si c’est déclassé, c’est un vrai puits de pétrole. Et vu l’acharnement de certains à vouloir acheter, je suppose qu’il y a des projets de déclassement dans l’air » .

Le "JIR" va même plus loin, et il n’hésite pas à écrire que « certains investisseurs semblent donc bien renseignés » .

Quels peuvent donc être les renseignements en possession de ces personnes qui sont prêtes à échanger des millions d’euros contre des hectares de savanes, de galets et cactus ?

Sans être partie prenante dans l’affaire, le "JIR" clarifie déjà bien les choses.

Notre confrère précise que la commune de Trois-Bassins révise son plan d’occupation des sols qui sera « rendu public au deuxième semestre » . Le "JIR" interroge alors la Mairie de Trois Bassins : « “Il y aura beaucoup de déclassements sur toutes les parties du territoire”, précise même le directeur de cabinet du maire. “Y compris sur la zone littorale que la mairie ambitionne de développer fortement ces prochaines années sous réserve de compatibilité avec le SAR”. La même mairie qui n’a en revanche pas l’intention de préempter ces parcelles pourtant stratégiques du point de vue de l’aménagement de la commune » .

Enrichir le privé, ou défendre la population ?

Cette affaire met en évidence un des pouvoirs les plus exorbitants d’un maire, celui de rendre constructible un terrain qui ne l’est pas. Une simple décision d’un Conseil municipal, et la valeur d’un bien peut être multipliée par 10. C’est ce que savent très bien les acheteurs potentiels, car, précise le "JIR", « une fois constructible, une telle parcelle peut être revendue 5, 10 ou 15 fois plus cher selon que l’acheteur est un promoteur ou une multitude de particuliers » .

Dans ce cas précis, ce sont des terrains qui font l’objet d’une saisie immobilière. Ils sont proches de la mer et la commune dit qu’elle a des projets d’aménagement. Il est donc certain qu’en cas de déclassement, le prix de ces biens va exploser.

Or, si un maire peut prendre une décision qui a pour conséquence d’enrichir considérablement un propriétaire foncier, il a aussi la possibilité de faire de sa commune la bénéficiaire de cette plus-value. Il dispose en effet du droit de préemption.

C’est en utilisant ce droit que Paul Vergès a permis à la puissance publique de détenir plus de 70% du foncier du territoire de la commune du Port. Cette maîtrise du foncier est une condition pour faire baisser le coût de la construction des logements sociaux, des zones industrielles, des équipements publics et des infrastructures qui les relient. Malheureusement, tous les maires n’ont pas été aussi prévoyants. Au lieu de créer des réserves foncières, ils ont dilapidé les terrains communaux et ont laissé faire les spéculateurs. Conséquence : la puissance publique doit acheter le terrain au prix fort.

Que devient l’EPFR ?

Il est difficile de rattraper ces erreurs en quelques années, quand on sait que la situation financière des communes est très difficile. Mais il existe un outil qui fait tomber cet obstacle.

Si la collectivité n’a pas la capacité financière d’acquérir le bien, alors elle peut s’appuyer sur une institution créée spécifiquement pour pallier à ce problème : l’Établissement public foncier régional (EPFR).

Mais aussi étrange que cela puisse paraître, l’EPFR n’apparaît jamais dans cet article. À croire que l’EPFR n’est pas au courant d’une telle transaction. Le maire de Trois-Bassins est pourtant membre du Conseil d’administration de l’EPFR, et il est dans le même groupe politique au Conseil général que le président de l’EPFR.

Si, le 10 février, la vente des 18 derniers hectares disponibles se fait au profit d’un privé, le sort des deux parcelles sera très attentivement suivi. Seront-elles déclassées ? Des élus réunionnais prendront-ils la responsabilité d’enrichir des spéculateurs qui profiteront ensuite de la pénurie de logements pour revendre les terrains à prix d’or ?

M.M.

Allô l’EPFR, ici Trois-Bassins !

La ligne est-elle coupée ?

Une des raisons d’être de l’Etablissement public foncier régional, c’est de rattraper les erreurs d’élus irresponsables qui ont dilapidé des terrains communaux, ou qui ont laissé les spéculateurs faire la loi.

L’EPFR est doté d’une puissance financière qui lui permet de prévoir 90 millions d’euros d’acquisitions foncières entre 2009 et 2013, nous apprend son rapport d’activité. Manifestement, la commune n’a pas fait jouer son droit de préemption, et pour sa part, l’EPFR n’a pas agi.

Difficile pourtant de croire que la communication soit difficile entre Trois-Bassins et la Direction de l’EPFR. Le maire de Trois-Bassins fait partie du Conseil d’administration de l’Établissement public foncier régional. Il siège également dans le même groupe politique que le président de l’EPFR au Conseil général, un élu qui a quitté le PCR après avoir bénéficié de son soutien pour se faire élire et bénéficier de confortables indemnités.

Le maire de Trois-Bassins et le président de l’EPFR ont un autre point commun : ils soutiennent le parti anti-PCR monté par une ancienne communiste. Autant dire que les occasions d’échanger existent. Mais le foncier dans l’Ouest est sans doute un sujet qui n’est jamais abordé quand ces deux élus sont dans la même salle.
L’action de l’EPFR

Voici la destination prévue des terrains achetés par l’EPFR. Nul doute qu’en achetant les terrains vendus à Trois-Bassins, l’EPFR aurait pu faire une bonne affaire.
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