Femmes et politique

Tout a commencé en 1945

20 juin 2006

En avril de l’année dernière, lors du soixantième anniversaire du droit de vote des femmes à La Réunion, nous avions rencontré celles qui ont été les premières à voter et à être élues.

Si l’ordonnance du 21 avril 1944 promulguée à Alger est à l’origine du vote des femmes en France, il faut attendre à La Réunion, l’ordonnance du 20 novembre 1944, pour que les femmes votent pour la première fois le 27 mai 1945. Pauline Latchoumaya se souvient : "il y avait des réunions devant la gare du Port, au foyer des dockers ou près de l’abattoir. Souvent il y avait plus de femmes que d’hommes". Elle confie sa joie : "c’était très agréable d’aller voter. Tout le monde était content de gagner le droit de vote". Elle se rappelle encore : "il y avait des bureaux de femmes et des bureaux d’hommes. Les hommes votaient à la mairie et les femmes à l’école". Ida Latchimy témoigne : "les travailleurs devaient faire un vote franc devant les employeurs".

Un autre temps

Toutes vont évoquer la violence et la répression, particulièrement celle de l’Église, mais aussi les menaces, les coups, les distributions de riz et de morue. Parmi les candidates, les femmes étaient reconnues à travers leur mari, seules les demoiselles portaient leur nom de jeune fille. Éloïse Lépinay était donc madame Joseph Lépinay, elle a été l’une des élues cette année-là à Saint-Paul... Elle évoque une réunion politique à la Plaine Bois-de-Nèfles, qui n’était que quelques petites maisons autour d’une boutique et de la poste : "Autrefois, il n’y avait pas besoin de haut-parleurs, de voitures avec affiches pour faire le tour de la ville, on a klaxonné deux ou trois coups et tout le monde est venu. Il y avait foule. Pas de bataille, pas de dispute". Dans le bureau de vote dont elle était présidente, un notable de Saint-Paul a voulu saisir l’urne, et pour l’en empêcher, elle s’est assise dessus. Elle l’a fait expulser, et il lui a tenu rancœur jusqu’à sa mort, n’acceptant pas, ne comprenant pas qu’une femme ait pu l’expulser.
Éloïse Lépinay évoque aussi des souvenirs douloureux : "J’ai descendu le perron de la mairie sans toucher les marches. Mon mari a été battu par un CRS, pilé sous ses pieds, et c’est lui qui a été accusé de coups et blessures. Les curés ont tout dérangé dans le vote. L’un d’eux a demandé aux gendarmes de me mettre à la porte de l’église. Moi j’ai dit : “s’il vient me prendre, je sortirais dans sa soutane”. Aujourd’hui les temps ont changé".
Les femmes dans la salle ajoutent encore que les curés refusaient parrains ou marraines qui ne votaient pas selon leurs préconisations. Un exemple nous a marqué : "à la confession, le curé demandait si on recevait le journal “Témoignages”, si vous aviez dit “oui”, vous n’aviez pas l’absolution".

La lutte continue

Malgré cela, des femmes ont été élues au Port comme Delfa Paulina, Simone Morin, Louis Balbine. Deux ou trois femmes sont élues dans plusieurs communes de l’île. À la Plaine des Palmistes, c’est une femme qui a obtenu le plus de voix, mais elle ne sera pas maire.
Le 25 mai 1945, pour la première fois, on compte 38 femmes réunionnaises sur 649 élus (3%) et 2 femmes conseillères générales. Le 21 octobre 1945, pour la première fois, La Réunion a deux députés, Raymond Vergès et Léon Lépervanche. L’assemblée compte alors 33 femmes sur 586 parlementaires. Un chiffre qui a doublé, mais qui reste en deçà de la parité aujourd’hui.

Francky Lauret


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