Fiscalité et développement

Un large accord entre Réunionnais pour garder à l’octroi de mer son « utilité économique »

Après la rencontre de lundi à la Région avec les socio-professionnels

5 février 2003

De façon unanime, les socio-professionnels de La Réunion qui ont participé à la rencontre organisée lundi dernier par la Région sur le dossier de l’octroi de mer, en ont tiré une opinion extrêmement constructive. Les uns soulignent « la capacité d’écoute et de compréhension du président Vergès » devant les idées émises par les industriels, tandis que d’autres se félicitent de l’ambiance de « jeu groupé » entretenue à La Réunion par la collectivité régionale.
D’autres encore réaffirment leur confiance dans l’évolution d’une position « qui ne peut pas rester figée » mais qu’ils veulent mettre en mouvement en tenant compte des contraintes qui sont celles des milieux économiques d’une part et des collectivités d’autre part.

L’Association pour le Développement de l’Industrie Réunionnaise (ADIR) et la Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises (CGPME) émettent sur cette réunion un point de vue globalement complémentaire et convergeant, à quelques nuances près, qu’ils expriment ici en guise de retour sur une rencontre qui, à entendre les uns et les autres, fera date dans la suite de la conduite de ce dossier complexe.

• Dominique Rio (CGPME) : « Il faut substituer un débat d’idées à un débat de technocrates »

Qu’avez-vous retiré de la réunion de lundi à la Région ?
D.R : La CGPME pense qu’il ne faut pas jeter a priori le rapport de l’IGF. Il y a dedans des choses intéressantes. Par exemple, dans la partie traitant des préconisations de la mission, qui développe trois hypothèses, la deuxième rejoint tout à fait nos positions.

Peut-être, mais il semble que ce n’est pas celle qui ait les faveurs du MEDETOM et de Bruxelles...
La position mise en avant, en effet, la "n°3", c’est l’octroi de mer revu et corrigé par l’IGF pour qu’il soit accepté par Bruxelles. Au final, c’est un système toujours plus fragile juridiquement et de plus en plus rigide. C’est un peu le système canarien, passé à la moulinette de l’administration française. Cela met un carcan administratif ingérable. Pour les petites et moyennes entreprises, c’est une catastrophe. Ce n’est pas du tout le système que nous voulons retenir et je crois qu’il y a un consensus pour rejeter ce système.

Ce consensus va dans quelle direction selon vous ?
Je pense que ce lundi tous les participants ont eu une attitude constructive. Il faut qu’on utilise notre intelligence et nos idées. Bien sûr, chacun entend ce qu’il veut entendre. Mais pour nous, il y a un consensus autour d’une position politique, en réponse à une position idéologique qui est celle de Bruxelles. Il ne faut pas rentrer dans le jeu des mécanismes techniques et de leur éventuelle "amélioration". Il faut une réponse politique et je pense que les idées de la CGPME ont toute leur place dans le débat à mener. Il faut substituer un débat d’idées à un débat de technocrates.

Comment voyez-vous la suite de ce dossier ?
Il existe actuellement une conjonction qu’il faut savoir utiliser. C’est une chance que la révision de l’octroi de mer vienne en même temps que la loi-programme. C’est vrai qu’entre l’annonce de la loi-programme et sa préparation, le gouvernement a perdu sa marge de manœuvre. Mais il est possible de faire rentrer dans la loi-programme des mesures fiscales qui facilitent le passage de l’octroi de mer au système qui doit le remplacer.
Tous nous savons que le système de Soutien logistique aux exportations (SLAE) n’est pas tout à fait légal et qu’il est une entrave à son équivalent pour les importations (SLAI). Il faudrait peut-être s’appuyer sur la loi-programme pour faire sauter des verrous administratifs et législatifs qui ne coûteraient rien au gouvernement. Et dans le même temps, il nous faut travailler dans le domaine des idées, pour préparer le passage à la TVA locale.

Certains la présentent déjà comme un serpent de mer. Qu’en pensez-vous ?
À mon avis, son installation n’a rien d’insurmontable. C’est peut-être six mois de travail par l’administration fiscale puis un an ou deux de mise en place. Pourquoi ne pas faire cela en même temps que le moratoire ?

• Maurice Cérisola (ADIR) : « Nous envisageons la sortie de l’octroi de mer dans une perspective de coopération régionale »

Êtes-vous inquiet d’une éventuelle disparition de l’octroi de mer ?
Si j’ai bien compris ce qu’a dit le président Vergès, je ne suis pas inquiet quant au principe de la continuation de l’octroi de mer. Par contre, son organisation actuelle est en cause. Pour schématiser, je vois trois solutions possibles : 1 - maintenir la position actuelle ; 2 - tout laisser tomber ; 3 - obtenir une phase moratoire de quelques années. Je suis favorable à un mélange de la 1 et de la 3.

Comment voyez-vous ce "mélange" ?
Dans une première étape, il faut une stabilisation juridique. On a prouvé que les exonérations dont bénéficie la production réunionnaise ont été bénéfiques à notre économie. Il faut donc continuer.
Un deuxième aspect est qu’il faut laisser la gestion de l’octroi de mer à la Région. Contrairement à ce qui est dit dans le rapport de l’IGF, il n’y a aucun laxisme, en tout cas, pas à La Réunion. Il aurait été bon de le préciser... Nous pensons que la gestion peut rester à la Région, en collaboration avec les socio-professionnels et les Mairies.
Le troisième aspect est que nous préconisons le maintien des exonérations existantes, en envisageant la sortie dans une perspective de coopération régionale.

Quel contenu donnez-vous à cette coopération régionale ?
L’ambiance change beaucoup et vite avec l’île Maurice. J’en ai encore eu confirmation lundi, à propos d’une rencontre entre le président de la Région et le ministre mauricien des Affaires étrangères.
Par ailleurs, les socio-professionnels des deux îles se rencontrent régulièrement et les Mauriciens sont en train de se rendre compte qu’une coopération entre nous n’est pas vide de sens. Ils sont champions du monde en ingénierie et en techniques commerciales mais ils ont beaucoup négligé la formation technique et technologique, qu’ils nous envient. Il y a donc possibilité de négocier des accords régionaux, en discutant des transferts de compétences nécessaires.

Comment voyez-vous la suite de ce dossier ?
Je suis optimiste pour la suite, surtout si on continue à "jouer groupés" comme c’était le cas dans la rencontre de lundi. J’ai une petite divergence avec le président Vergès : je ne suis pas certain qu’il soit indispensable d’aller à Paris pour transmettre notre demande de moratoire. Rien ne dit que Mme Girardin n’est pas d’accord avec nous sur ce point. Il nous reste à préparer notre message commun pour le moment où ils seront tous là, puisque Mme Girardin et M. Raffarin vont faire le voyage. Ce message retient deux pistes : 1 - l’octroi de mer est bien géré et il est efficace ; 2 - l’avenir est à la coopération régionale.

Rapport de mission des Inspections générales des Finances et de l’Administration
Un rapport tenu à distance
Le compte-rendu de mission effectué par des quatre inspecteurs (2 IGF, 2 IGA), suite à la commande du ministère de l’Outre-mer (MEDETOM) dans le cadre du processus de révision de l’octroi de mer, a fait très mauvaise impression auprès des milieux socio-professionnels de La Réunion. Ils ont donc préféré l’oublier le plus longtemps possible, c’est-à-dire jusqu’à la rencontre des présidents de Régions d’outre-mer, le 9 janvier dernier, au MEDETOM. 

« Moins on en parle, mieux c’est », nous a déclaré sous couvert d’anonymat un universitaire spécialiste de l’octroi de mer. Il rejoignait par là l’opinion négative exprimée par de nombreux socio-professionnels, qui n’hésitent pas à qualifier ce rapport d’une vingtaine de pages de « contre-productif », trop « franco-français » et « empreint d’une vision très fiscaliste et des fantasmes de Bercy sur l’octroi de mer ».

D’autres modulent cette approche en constatant qu’au-delà du « devoir d’énarques », manifestement fait sur mesure pour contenter Bruxelles, le rapport reconnaît « l’utilité micro et macro-économique de l’octroi de mer » et suggère, dans les préconisations finales, une proposition que ne renieraient pas les représentants des PME de l’île (voir nos entretiens avec les représentants de la CGPME et de l’ADIR). Pour preuve, l’extrait suivant (page 17) traitant de l’éventualité d’une "TVA régionale" :

« Dans le cadre des actuelles expérimentations institutionnelles liées à l’évolution de la décentralisation, il pourrait être envisagé un système de type "TVA régionale", dont le produit serait affecté aux collectivités locales. Ce régime aurait l’intérêt d’étendre l’assiette de taxation aux activités de services et de commerce et donc de permettre une baisse des taux. L’absence de différentiel d’octroi de mer entre les produits locaux et les produits importés pourrait être compensée par des aides sur le fret ou par des mécanismes de réfaction des taux.
Pour des raisons de calendrier seulement, la mission renonce, dans l’immédiat, à cette piste : le nouveau régime de l’octroi de mer doit être en effet définitivement négocié avec la Commission européenne à la fin du premier semestre de 2003 pour être adopté par le Conseil avant le 31 décembre 2003. La mise en place d’un tel dispositif nécessiterait des délais bien plus long.
En revanche, dans l’hypothèse où le nouveau régime serait mis en place, comme le précédent, pour une période de dix ans, cette période pourrait être rapidement mise à profit pour étudier de façon plus approfondie une forme de "TVA régionale" »
.

Conseil régional
Une délégation pour convaincre
La rencontre du lundi 3 février à la Région était la troisième, depuis avril 2002, réunie sous la présidence de Paul Vergès et associant dans la transparence tous les acteurs concernés : collectivités, institutions, organisations professionnelles. Cette méthode a permis, depuis l’an dernier, d’obtenir - avec le soutien des 24 maires et des socio-professionnels - la prorogation d’un an du système actuel. La réunion de lundi avait pour objet de faire le point du dossier après la présentation, en décembre 2002, du rapport des Inspections générales des Finances et de l’Administration (IGF - IGA). Ce rapport a semé le trouble dans la mesure où il vient contredire ce qui est (encore ?) la position officielle de la France auprès de Bruxelles : demander la reconduction pour dix ans du dispositif d’exonération de l’actuel octroi de mer. Il a semé un trouble d’autant plus grand que la ministre de l’Outre-mer avait indiqué en juillet dernier ne pas être opposée à une "réforme" du système sous certaines conditions.
Ainsi, lundi dernier à la Région, les différents participants ont abordé toutes les facettes de l’octroi de mer :
- soutien à la production locale,
- recettes des collectivités,
- intérêt des consommateurs,
- position de la commission européenne.

Ils ont souligné que le système actuel est une construction équilibrée, sous maîtrise régionale et répondant de façon satisfaisante à plusieurs nécessités. Par conséquent, faire bouger une seule pièce peut mettre l’ensemble en péril, ont-ils averti.
Au-delà de la sauvegarde de cet équilibre immédiat, le dossier de l’octroi de mer a été mis en perspective du point de vue de la fiscalité des collectivités locales, mises devant de nouvelles possibilités d’expérimentations, et du point de vue des évolutions qu’auront sur l’Europe les conséquences de son élargissement d’une part et les répercussions des accords de coopération et de commerce avec les PMA (pays les moins avancés) et les pays ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique), d’autre part.
Ces considérations ont amené les participants à réaffirmer leur attachement au système actuel tant que toutes les analyses - et notamment les études d’impact faites par la Commission elle-même - ne seront pas connues.
Sur cette base, le président de la Région a proposé de conduire auprès du gouvernement une délégation représentative des participants pour exposer ce point de vue et demander un moratoire de cinq ans, permettant ainsi une nouvelle expression d’unanimité réunionnaise.

Octroi de mer

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