“Égalité des chances”

Un projet de loi en trompe-l’œil

14 janvier 2006

Après la crise des banlieues, le Conseil des ministres a examiné mercredi matin, un texte de loi ’pour l’égalité des chances’, censé répondre au mal-être des cités populaires. Un article de “l’Humanité”, publié ci-après, critique le contenu de ce texte et explique en quoi il fait fausse route. Inadapté et insuffisant pour résoudre les problèmes les plus cruciaux de l’hexagone, ce projet de loi l’est encore davantage pour relever les grands défis sociaux de La Réunion. D’autant plus qu’il ne s’attaque pas aux causes profondes des inégalités sociales.

Le gouvernement décrète l’égalité des chances "grande cause nationale" pour 2006. Il n’en fallait pas moins alors que la société découvrait l’ampleur du désastre humain révélé par les violences urbaines de la fin 2005.
On était donc en droit d’attendre un projet ambitieux pour réparer l’injustice à l’égard des populations pauvres reléguées à la périphérie des centre-villes.
Or le texte de loi "pour l’égalité des chances", examiné mercredi dernier au Conseil des ministres, se contente de colmater les brèches quand il ne les creuse pas davantage.

Manque de volonté politique

Dans ce projet de loi, on trouve pêle-mêle ceci :

- la mise en place d’un contrat d’apprenti junior,

- le dispositif de soutien à l’emploi des jeunes en entreprise,

- l’installation de nouvelles zones franches urbaines,

- la création d’une agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances,

- le contrat de responsabilité parentale,

- la lutte contre les incivilités,

- le service civil volontaire.
C’est là un ensemble fourre-tout, particulièrement technique, sans doute pour mieux cacher, au-delà de quelques bonnes intentions, le manque de volonté politique de s’attaquer à la gravité de la situation des jeunes défavorisés et de leurs familles.

L’exemple de l’apprentissage

Ces jeunes des quartiers pauvres risquent de subir encore plus la ghettoïsation avec les mesures contenues dans le projet de loi. Comme la mesure concernant l’apprentissage.
Pour atteindre son objectif de 500.000 apprentis, le gouvernement se tourne vers les enfants des cités populaires. Une main-d’œuvre, dès l’âge de 15 ans, qui peut bien se contenter de cette filière.
Déjà, des élèves sont orientés vers les lycées professionnels, souvent sans qu’ils le souhaitent. La "formation d’apprenti junior" institutionnalise cette pratique.
À la longue, 2 France cohabiteront, celle des docteurs et autres chercheurs venant de quartiers riches et celle des maçons et plombiers originaires des cités pauvres.

“Égalité des chances” plutôt que “égalité des droits”

En fait, l’intitulé du texte de loi lui-même pose problème. En effet, pourquoi mettre l’accent sur "l’égalité des chances" alors que les habitants vivent des inégalités de droits ?
"Nous sommes dans des zones de non-droits. Ce sont les droits qu’il faut introduire chez nous", soutient Mohamed Mechmache, responsable d’AC Lefeu, association de Clichy-sous-Bois née au lendemain des violences urbaines.
Cette exigence, maintes fois entendue lors des émeutes, laisse de marbre le gouvernement. Celui-ci préfère promouvoir une politique s’apparentant à de la charité dès qu’il s’agit de populations vivant en “zones urbaines sensibles” (ZUS).

Parents sanctionnés

Dans ces ZUS, le gouvernement entend faire progresser le nombre d’entreprises, à qui l’on promet encore plus d’exonérations de charges sociales et fiscales pour qu’elles daignent embaucher.
Dans ces mêmes ZUS, les parents sont désignés comme les responsables des problèmes, et donc sanctionnés si, au terme du "contrat de responsabilité parentale", leur autorité auprès des enfants reste défaillante.
Le ministre Philippe Bas insiste sur ce volet répressif, rejetant sur les Conseils généraux les aides aux familles. Il reconnaît pourtant que le nombre des enfants absentéistes avoisine les "10.000 à 15.000 en moyenne par an", une infime minorité pour laquelle pourtant on promeut une loi.

L’humiliation démultipliée

Là encore, le gouvernement ne s’interroge sur le manque de structures pédopsychiatriques, par exemple, pour prendre sérieusement en charge les enfants turbulents.

Pas un mot sur les centres de la Croix-Rouge qui ont fermé leurs portes en Seine-Saint-Denis et ailleurs. Tout juste le souhait de "redresser la présence de la médecine scolaire pour cerner les difficultés des enfants", lâché sans grande conviction par un Philippe Bas harcelé par les journalistes sur le choix de la sanction au détriment de l’aide.
Au final, le projet de loi évite de toucher à la base et aux causes des inégalités. Il renforce, au contraire, l’enfermement des populations pauvres et, de fait, démultiplie l’humiliation.

Source : l’humanité


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus