Budget de l’Outre-mer

Un projet loin de répondre aux enjeux de La Réunion

7 novembre 2007, par Manuel Marchal

Des crédits insuffisants dans des domaines clé tels que la compensation des exonérations de cotisation et la continuité territoriale, tandis que les dettes de l’État aux bailleurs sociaux continuent d’être un obstacle à la construction massive des logements nécessaires aux Réunionnais : ces quelques points mis en évidence par un rapport de la Commission des finances de l’Assemblée nationale montrent combien le projet de loi est en décalage avec les besoins de La Réunion.

L’Assemblée Nationale examinait hier en première lecture le budget de l’Outre-mer dans le cadre du projet de loi de finances. Parmi les éléments à verser dans le débat, le rapport spécial du député Jérome Cahuzac de la Commission des Finances apporte un éclairage sur ce que prévoit le projet du gouvernement. Parmi les points mis en évidence, « la sous-budgétisation de certains crédits (compensation des exonérations de cotisations patronales de sécurité sociale outre-mer, passeport mobilité) » et « la nécessaire résorption de la dette contractée par l’État envers les bailleurs au titre de la politique du logement social ». Si ces deux carences persistent dans la loi qui sera adoptée, ce sera aux Réunionnais de payer. Leur pouvoir d’achat diminuera car ils devront mettre la main à la poche pour réduire le déficit de la Sécurité sociale. Ceux qui n’ont pas de logement décent devront encore attendre que l’État tienne ses engagements afin que la production de logements sociaux puisse repartir.
Autant dire que face aux enjeux considérables que connaît La Réunion, sous-budgétisation et retard de paiement sont payés chèrement par les Réunionnais.
Voici quelques extraits du rapport examiné hier par les députés.

M.M.


Ce rapport est disponible en intégralité sur Internet


I. « Le dispositif d’exonérations est manifestement sous-doté »

• Ce que dit le rapport :
« Le montant prévisionnel pour 2008 s’élève à 1.130 millions d’euros, alors que seuls 867 millions d’euros de crédits de paiement sont prévus dans le présent projet de loi de finances. Au seul titre de l’année 2008, la dette envers les organismes de sécurité sociale s’accroîtrait donc de 263 millions d’euros. En raison d’un phénomène identique de sous-budgétisation les années précédentes, ces 263 millions d’euros s’ajouteraient à un stock de dette évalué par le rapport annuel 2006 du contrôle budgétaire et comptable ministériel (CBCM) à 993 millions d’euros en 2007.
Votre Rapporteur spécial considère que cette situation n’est pas tolérable, faisant peser un risque véritable sur l’équilibre des régimes de sécurité sociale et menaçant à court terme le dispositif d’exonérations ».

• Commentaire

263 millions de moins pour la sécurité sociale, à qui de payer ?

Dans les différentes loi-programmes et loi d’orientation qui se sont succédé, les gouvernements ont à chaque fois mis en avant la réduction des cotisations sociales aux entreprises pour lutter contre le chômage en diminuant le "coût" du travail.
Outre le fait que ce type de démarche n’a pas permis d’inverser significativement la tendance à La Réunion, il a en revanche un impact sur le pouvoir d’achat des Réunionnais.
En effet, selon le rapport, il manquera l’an prochain 263 millions d’euros supplémentaires dans les caisses de la Sécurité sociale parce que des crédits correspondants aux exonérations de cotisation versés par l’État à la Sécurité sociale seront insuffisants.
Pendant ce temps, le Réunionnais est prié de passer à la caisse pour régler le déficit de la sécurité sociale. Ce sont les fameuses franchises médicales.


II. « Le passeport mobilité est victime de son succès »

• Ce que dit le rapport

« En 2008, 15,8 millions d’euros (AE=CP) devraient être consacrés au financement du passeport mobilité. Ce montant apparaît insuffisant au regard des dérives du dispositif.
Ainsi que l’a montré le rapport d’information de notre collègue Michel Bouvard publié en mars 2007, le passeport mobilité est victime de son succès. Le nombre de bénéficiaires est passé d’environ 2.000 lors de sa mise en place en 2002 à plus de 20.000 en 2005. Le coût du dispositif est passé de 8,3 millions d’euros en 2003 à 20,6 millions d’euros en 2005. L’engouement suscité par cette mesure témoigne de son utilité, mais également de certaines dérives. (...)
L’objectif 3 (Optimiser l’efficience des dispositifs de continuité territoriale) comporte un seul indicateur, qui mesure le coût moyen du passeport mobilité bénéficiant au public étudiant corrigé de l’évolution du prix du pétrole. Ce coût augmente : 951 euros en 2005, 1.117 euros en 2006, 1.173 euros prévus en 2007. Les cibles 2008 (1.061 euros) et 2010 (949 euros) paraissent bien optimistes ; de surcroît, les moyens de les atteindre ne sont pas explicités ».

• Commentaire

Risque de hausse de la fiscalité locale

Pour 2008, le budget de l’État prévoit une dotation de 15 millions d’euros pour le passeport mobilité alors qu’en 2005, cette aide à la continuité territoriale avait coûté plus de 20 millions d’euros.
Sachant que ce dispositif rencontre chaque année un succès plus grand, ce sont au moins 5 millions d’euros qui manquent à l’appel. L’État laisse alors aux collectivités territoriale ce choix : restreindre le nombre des bénéficiaires ou recourir à leurs fonds propres. Cette deuxième possibilité suppose de diminuer les crédits affectés à d’autres actions ou d’augmenter la fiscalité.
À La Réunion, c’est le Département qui gère le passeport mobilité.


III. La dotation de continuité territoriale bénéficie à un nombre croissant d’ultramarins

• Ce que dit le rapport

« Le concours de l’État au financement de la dotation de continuité territoriale est prévu par la LOPOM. Chaque département d’outre-mer reçoit une dotation annuelle lui permettant d’accorder à ses résidents une aide forfaitaire pour effectuer un voyage annuel aller et retour entre le département concerné et la métropole. Le montant de cette dotation évolue comme la dotation globale de fonctionnement des communes ; il s’élèvera en 2008 à 33,3 millions d’euros (AE=CP).
Les modalités concrètes de répartition de la dotation sont fixées par le décret n° 2004-100 du 30 janvier 2004. Elles prennent en compte un ensemble de facteurs, incluant notamment la distance à la métropole.
Ce sont les régions qui ont en charge la gestion de ce dispositif. La région Guyane n’a toujours pas organisé son dispositif. Les trois autres dispositifs ont été notifiés et agréés par les services de la Commission européenne au titre des aides d’État.

L’évolution du nombre de bénéficiaires aidés témoigne d’une montée en puissance du dispositif avec 9.443 passagers aidés en 2004, 55.478 en 2005 et 63.776 en 2006. »

• Commentaire

Les pauvres ont-ils droit à la continuité territoriale ?

21 millions d’euros pour que tous les Réunionnais ayant droit à l’aide sociale à la continuité territoriale puisse exercer ce droit, soit le dixième de la somme allouée annuellement à la Corse : c’est l’évaluation donnée à la presse par Wilfrid Bertile à partir des critères en vigueur.
Ces critères spécifiques à La Réunion ont été adoptés par la Région qui gère le dispositif, et défendu par l’État auprès de la Commission européenne.
21 millions d’euros est donc le budget nécessaire rien que pour La Réunion.
Autant dire que 33 millions pour tous les DOM, cela est loin d’être suffisant.


IV. « L’État doit purger la dette contractée au titre du logement social outre-mer »

• Ce que dit le rapport

« L’État a accumulé une importante dette à l’égard des opérateurs en matière de logement social, situation dont votre Commission avait été informée au moment de l’examen du projet de loi de finances pour 2007. En 2006, le Premier ministre avait jugé “inacceptable” le retard pris dans la consommation des crédits de paiement. Le règlement de cette situation a été le premier engagement pris lors de la conférence nationale du logement outre-mer, qui s’est tenu le 27 février 2007 sous la responsabilité des ministres chargés de l’outre-mer et du logement. Évaluée à 56 millions d’euros au 31 décembre 2006, la dette exigible aurait dû être soldée au 31 mars 2007 grâce à un transfert de crédits de paiement au profit de la mission Outre-mer.
Mais la dette devrait renaître au titre de l’exercice 2007 : à la fin de cette année, l’État sera sans doute à nouveau débiteur. En conséquence, l’augmentation de 13,8 % des crédits de paiement ne saurait être analysée comme un réel progrès, dès lors que cette augmentation sera sans doute absorbée par l’endettement contracté en 2007.
Un rapport d’audit de modernisation a été remis au sujet du logement social en avril 2006. Le stock de dette y était évalué à 475 millions d’euros. (...)
Votre Rapporteur spécial souhaite que le Parlement soir informé au plus vite de la situation réelle de l’endettement accumulé au titre du financement du logement social, et que le Gouvernement propose des mesures permettant de purger la dette contractée ».

• Commentaire

Un recul pour le droit au logement des Réunionnais

Si les crédits augmentent, ils seront absorbés dans le paiement de la dette et ne serviront pas à produire de nouveaux logements sociaux.
À La Réunion, la crise du logement est une réalité. Elle est même encore plus forte que dans la région île de France où le comité pour l’application du droit au logement opposable propose un "plan Marshall". Une série de mesures exceptionnelles pour faire face à des mesures exceptionnelles.
À La Réunion, la situation est plus grave qu’en île de France, ce sont donc des mesures encore plus significatives qui doivent être appliquées pour lutter contre la crise. Dans ces conditions, constater que l’État ne cesse d’accumuler des dettes envers les bailleurs sociaux et que cela conduise à un ralentissement de la production des logements sociaux ne peut être ressenti que comme une grande injustice. À cause de cette mauvaise gestion, ce sont les Réunionnais qui sont pénalisés.
Conséquences : ceux qui le peuvent sont obligés de dépenser davantage pour se loger. Quant à ceux qui n’ont pas les moyens, ils sont contraints de rester dans le bidonville.
70% des Réunionnais ont droit à un logement social, et 100% des Réunionnais ont droit à un logement décent.


V. Logement : des engagements à mettre en œuvre

• Ce que dit le rapport

Parmi les causes de l’insuffisance de logements sociaux outre-mer, les rédacteurs du rapport d’audit de modernisation relevaient notamment le biais des mécanismes de défiscalisation, qui ont davantage profité au secteur dit libre qu’au logement social. Le secrétariat d’État à l’Outre-mer affirme que les mécanismes en question seront recentrés sur le logement social dans le cadre du projet de loi de programme pour l’outre-mer qui sera prochainement présenté au Parlement.
À ce stade, aucun élément plus précis n’a été avancé par le Gouvernement. Votre Rapporteur spécial veillera tout particulièrement à ce que le recentrage annoncé soit effectivement mis en œuvre : la perte de recettes générée par les défiscalisations ne se justifie que si elle permet la satisfaction de l’utilité publique via la construction massive et rapide des logements nécessaires.
La conférence nationale sur le logement outre-mer a également été l’occasion pour le Gouvernement d’alors de prendre deux autres engagements :

- inscrire la politique du logement outre-mer dans le volet logement du plan de cohésion sociale, la loi n°2007-290 du 5 mars 2007 instituant un droit au logement opposable ayant fixé à 37.500 le nombre de logements sociaux à réaliser dans les trois prochaines années dans les départements d’outre-mer, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon ;

- réorganiser la gouvernance du logement social outre-mer.
C’est au cours de la présente législature qu’il conviendra de veiller à la mise en œuvre pratique de ces engagements.

• Commentaire

Défiscalisation à revoir

« La perte de recettes générée par les défiscalisations ne se justifie que si elle permet la satisfaction de l’utilité publique via la construction massive et rapide des logements nécessaires »
 : cet objectif cité par le rapporteur est loin d’être atteint à La Réunion. Qui sont en effet les Réunionnais qui peuvent entrer dans un loyer à 10 euros le mètre carré ? Et quand les familles le peuvent, la charge loyer est une part importante du budget.
70% des familles réunionnaises ont de si faibles revenus qu’elles sont éligibles au logement social. La défiscalisation doit tenir compte de cette réalité, et si le rapporteur prend acte de la réorientation de ce dispositif vers le logement social, il souligne l’urgence de mettre en œuvre cet engagement.


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