« Travailler plus pour gagner plus »

Un risque d’aggraver le chômage à La Réunion

11 juillet 2007

Dans son projet de loi ’Travail, emploi, pouvoir d’achat’, le gouvernement affirme vouloir relancer la croissance par le biais de différentes exonérations dont la défiscalisation des heures supplémentaires. Appliquée mécaniquement à La Réunion, cette dernière mesure ne serait pas adaptée à la réalité.

« Travailler plus pour gagner plus » : un mot d’ordre qui souligne la différence entre le contexte de La Réunion et celui de la France.
Dans son édition d’hier, notre confrère "Le Figaro" a interrogé Jean-François Bernardin, Président de l’Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie (ACFCI), au sujet du projet de loi "Travail, emploi, pouvoir d’achat" dont le débat a commencé hier à l’Assemblée.
Parmi les mesures contenues dans ce projet, le "paquet fiscal" qui touche notamment la défiscalisation des heures supplémentaires. C’est le fameux mot d’ordre « Travailler plus pour gagner plus ».
Pour le président de l’ACFCI, la mise en œuvre de ce projet répond à une demande : « Redonner du pouvoir d’achat à ceux qui travaillent, pour endiguer la paupérisation, notamment des classes moyennes ». Il ajoute que « la mesure est aussi très importante pour les secteurs, restauration et Bâtiment en tête, qui ne trouvent pas de main-d’œuvre qualifiée. Il y a un problème de formation et un goulet d’étranglement sur l’offre de travail ».

Un contexte différent

Cette analyse est loin d’être partagée en France. Pour les syndicats, le choix de travailler plus n’appartient jamais au salarié mais à son patron. D’ailleurs, le Code du Travail fixe la durée légale hebdomadaire du travail à 35 heures, et la durée maximale à 48 heures. Quant au recours aux heures supplémentaires, un décret paru le 21 décembre 2004 augmente le contingent à 220 heures par an et par salarié. Autrement dit, « travailler plus pour gagner plus », c’est déjà possible, et depuis longtemps.
Les syndicats dénoncent une logique : augmenter la durée du travail plutôt que les salaires.
À La Réunion, le débat se pose d’une tout autre façon. Le problème numéro un, c’est de lutter contre le chômage.
Cette année encore, les Réunionnais ont augmenté leur taux de réussite au Bac, et les jeunes d’une même classe d’âge sont de plus en plus nombreux à obtenir ce diplôme. Mais au terme de leurs études, ils sont confrontés à un fléau de masse : plus d’un jeune Réunionnais sur deux est au chômage.
Favoriser le recours aux heures supplémentaires, comme le souhaite le projet du gouvernement, ne va pas dans le sens de la création d’emplois directs. Or, les jeunes, diplômés ou pas, sont chaque année des milliers à être sur le bord du chemin.

Plus de la moitié déjà au bord du chemin

Autre différence : le pouvoir d’achat. Conséquence du chômage, la précarité est massive à La Réunion. Lors de la dernière séance plénière du CESR, Georges-Marie Lépinay avait expliqué que sur une population active d’environ 300.000 personnes, entre 180.000 et 200.000 ont un emploi à un instant donné, qui correspondent en réalité à 120.000/130.000 équivalent temps plein. Soit 120.000 personnes qui ont un salaire supérieur ou égal au SMIC. Autrement dit, près des deux tiers de la population active réunionnaise sont soit privés de travail, soit obligés d’accepter un emploi à temps partiel. Or, temps partiel signifie souvent SMIC partiel.
Une autre donnée entre en ligne de compte : le taux de couverture de la CMU. Cela concerne près d’un Réunionnais sur deux, ce qui veut dire que près d’un Réunionnais sur deux est, au regard des critères nationaux, sous le seuil de pauvreté.
Ces Réunionnais sont touchés de plein fouet par la vie chère qui grignote le pouvoir d’achat. Contre ce fléau, la mobilisation des organisations syndicales, politiques, et du Collectif d’associations a permis d’obtenir l’application de l’Observatoire des Prix et des Revenus à La Réunion. Mais dans l’attente des premiers résultats de cet outil, les plus bas revenus sont insuffisants pour faire face au quotidien.

Quel bénéfice pour La Réunion ?)

Pour les défenseurs de ce texte, donner plus à ceux qui ont déjà un travail, cela peut éventuellement relancer la machine de la croissance en France. Une analyse qui est contestée de toute part en France. Mais à La Réunion, où le taux de croissance est nettement supérieur, quelques décimales de plus ne suffiront pas à créer les dizaines de milliers d’emplois nécessaires, et à sortir de la pauvreté les travailleurs en contrat précaire.
À La Réunion, des perspectives d’emploi existent dans le BTP et l’hôtellerie. Les grands chantiers inscrits dans le Socle du développement signé par le chef de l’État et le principal parti d’opposition peuvent créer des dizaines de milliers d’emplois. Favoriser l’utilisation du recours aux heures supplémentaires pour compenser des salaires insuffisants, n’est-ce pas prendre le risque de limiter l’impact positif de ces investissements ? C’est un danger potentiel d’une application mécanique ici du texte discuté en France.
La concrétisation du mot d’ordre « travailler plus pour gagner plus » révèle toute la différence entre le contexte de la France et celui de La Réunion. Car, dans notre île, la priorité c’est d’abord de travailler tout en ayant un salaire suffisant pour être à l’abri de la pauvreté. Ce qui est loin d’être un acquis pour la majorité des travailleurs réunionnais.

Manuel Marchal


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