Paul Vergès invité aux “Matinales” de Radio Réunion

Unanimité des présidents de Région contre le transfert des T.O.S.

21 avril 2004

Hier, le président de la Région, Paul Vergès, était l’invité des “Matinales” de Radio Réunion. La veille à Matignon, avec les trois autres présidents des Régions d’Outre-mer et les 21 présidents des Régions métropolitaines, il a fait face au Premier ministre ne voulant pas revenir sur la question du transfert des TOS, qui concerne 95.000 personnels non enseignants qui devront être gérés par les collectivités. Aucun accord n’a été trouvé lundi et le chef du gouvernement a annoncé qu’il apporterait une réponse le mois prochain. Pour leur part, les présidents des Régions d’Outre-mer ont obtenu de la part du Premier ministre une promesse de rencontre pour discuter des problèmes spécifiques de leurs pays. Nous retranscrivons ci-après l’entretien qui s’est fait en direct par téléphone.

o Quelles sont les spécificités ultra-marines autour desquelles les présidents de Région d’Outre-mer se sont retrouvés ?

Paul Vergès : D’abord une petite précision : il s’agit de tous les présidents de Région et non pas seulement de ceux de gauche puisqu’il y avait aussi les présidents des Régions Corse et Alsace...
Sur le déroulement des événements, pour que tout soit clair je précise que j’étais assis en face du Premier Ministre et de MM. Copé, De Robien, les ministres, et que j’avais à côté de moi M. Huchon, président de la Région Île-de-France, Ségolène Royal, présidente de la Région Poitou-Charente, et M. Zeller, président de la Région Alsace.
La discussion a duré à peu près une heure, où l’on s’est renvoyé des remarques, des réponses... Et au bout d’une heure, il y a eu quand même l’expression de l’unanimité - je dis bien l’unanimité - des présidents de Régions s’exprimant avec le Premier ministre : ils lui ont demandé que le gouvernement retire le transfert des T.O.S. lors du vote du projet de loi en deuxième lecture et que dans ces conditions on continue à discuter ; ou bien il refuse et les Présidents se lèvent et s’en vont. Le Premier ministre a dit - et je rappelle presque textuellement ses paroles - : "Je vous ai écoutés, j’ai enregistré votre demande, je consulterai mes collaborateurs et je vous invite au mois de mai à revenir ici et je vous donnerai ma réponse".

o Unanimité des présidents de Régions, vous l’avez dit, nouvelle réunion en mai, mais également front de l’Outre-mer, c’est original...

- Nous avons eu une longue rencontre, le matin même de la réunion à Matignon, avec les présidents Marie-Jeanne pour la Martinique, Karam pour la Guyane et Lurel pour la Guadeloupe et nous avons confronté nos points de vue. Comme nous avons constaté une unanimité d’avis sur des problèmes essentiels, nous avons décidé : premièrement, de faire un mémoire à l’intention du gouvernement ; deuxièmement, de profiter de la rencontre de l’après-midi pour lui demander une rencontre spécialement consacrée aux problèmes de l’Outre-mer. Dans sa réponse, il a acquiescé à notre demande. Il va donc, dans son emploi du temps, organiser cette rencontre entre le gouvernement et l’Outre-mer.

o Le message des présidents de Région de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane et de vous-même, président de la Région Réunion, est-ce bien : “gérer les TOS, c’est difficile et encore plus difficile outre-mer” ?

- Le problème posé est le suivant : nous avons surtout à gérer des retards d’équipements (lycées, collèges, routes, logements...). Et ce retard est aggravé chaque année par les besoins découlant d’une forte croissance démographique, surtout à La Réunion. Dans ces conditions, le transfert de responsabilités nouvelles sans l’accompagnement de crédits correspondants va aggraver nos retards d’une façon catastrophique. C’est pourquoi nous voulons un traitement particulier et qui soit bien défini dans la loi.

o Précisément, Jean-Pierre Raffarin a garanti lundi ce financement du transfert des TOS aux Régions. Il pense utiliser la taxe intérieure sur les produits pétroliers. Cela représente quelle enveloppe au niveau national ?

- Sur ce plan, j’ai montré aux participants qu’il est impossible à La Réunion de gérer un transfert des TOS. Si je prends le cas des lycées, nous avons 470 employés actuellement à la Région et je me suis attaché durant les années de ma mandature à ce qu’il n’y ait plus un seul emploi précaire à la collectivité. Tout le monde a un statut officiel désormais.
Le transfert des TOS, c’est un chiffre équivalent, de 450 - 460 agents, à statut de fonctionnaire d’État, différent de notre statut. De plus, l’État a embauché un autre chiffre équivalent de 470 CES, c’est-à-dire ceux qui n ‘ont pratiquement aucun statut. Comment gérer un personnel multiplié par 3 avec 3 ou 4 statuts différents ? C’est une chose impossible.
En ce qui concerne les ressources, vous avez en Métropole ce qu’on appelle la TIPP, la taxe intérieure sur les produits pétroliers. Et le gouvernement a l’intention de prélever sur cette taxe une somme d’environ 3 milliards - a dit le Premier Ministre - pour gérer les nouvelles compétences transférées aux Départements et Régions, notamment les TOS pour les collèges et lycées, dont la gestion est transférée aux Conseils généraux et régionaux.

o Le Premier ministre vous demande en échange de respecter un moratoire fiscal pendant les 3 prochaines années. Dans le détail, ça veut dire quoi ?

- Tous les présidents de Région, à l’unanimité, ont refusé toute décentralisation qui se traduirait par un excédent de charge par rapport à la situation actuelle, où il serait demandé aux collectivités d’y faire face en augmentant les impôts et les taxes sur la population. Or le Premier ministre demande qu’en cas de transferts, il y aurait un moratoire de 3 ans : c’est-à-dire que pendant 3 ans, on n’augmentera pas les taxes. Les problèmes sont donc liés : il faut suffisamment de crédits pour ne pas augmenter les taxes.

o Et qu’avez-vous dit au Premier ministre sur ce moratoire fiscal ?

- Que le potentiel fiscal des Réunionnais, c’est-à-dire les capacités des contribuables à La Réunion de faire face à toute augmentation de taxe, est beaucoup plus faible qu’en métropole. Donc qu’il a là une impossibilité à “charger” encore plus les contribuables de La Réunion.

o Avant la prochaine réunion prévue en mai avec le Premier ministre, est-ce que d’autres réunions seront organisées avec les présidents des Régions Martinique, Guadeloupe et Guyane pour évoquer notamment la fiscalité ?

- Nous avons décidé à la sortie de Matignon de participer à deux sortes de réunions : le 28 avril, c’est l’Association des présidents de Région de France (l’ARF) qui se réunit pour désigner sa nouvelle direction puisque la composition de l’association a changé. Nous y serons. Deuxièmement, nous allons organiser pour les Régions d’outre-mer des séances de travail où nous allons mettre noir sur blanc, et de façon très précise, l’ensemble de nos revendications spécifiques, qui serviront de base de discussion avec le Premier ministre.
Je vais vous donner un exemple : j’ai soulevé devant mes autres collègues le problème de la continuité territoriale, puisque le gouvernement a dit à La Réunion que c’est notre île qui traîne les pieds et qui est en retard. Or j’ai été étonné par la fermeté absolue des présidents de Région des Antilles et de Guyane, exprimée notamment par le président de la Martinique, qui affirmait : pas un franc de participation des collectivités locales d’Outre-mer à un fonds de la continuité territoriale, qui doit relever essentiellement de la responsabilité de l’État et du budget national, comme en Corse. Sur ce point, nos collègues nous ont dit clairement : "En ce qui nous concerne, nous ne nous substituerons dans aucune circonstance à une responsabilité de l’État".

o Si on parle des Régions comme d’un contre-pouvoir à l’issue des élections régionales, est ce que vous pensez qu’il y a véritablement maintenant un lobby ultra-marin ?

- Je pense qu’il est difficile de parler de “contre-pouvoir”, compte tenu de la faiblesse relative de nos crédits par rapport aux crédits de l’État. Nous ne pouvons pas faire n’importe quoi avec les crédits des Régions qui représentent à peine 5% du budget national.
Par contre, cela représente une force de pression considérable parce que ces Régions sont issues d’un vote du 28 mars qui a été une condamnation de la politique de l’État.
Les présidences de Région sont dans la logique de ce scrutin, en alertant en permanence le gouvernement sur les aspects d’une politique qui a été aussi lourdement condamnée le 28 mars. Sous cet angle-là, c’est une force de pression évidemment, qui est considérable parce qu’elle s’est exprimée sur le plan national.


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