L’octroi de mer devant le Sénat

Une loi frappée d’anticonstitutionnalité ?

21 juin 2004

Le Sénat examine aujourd’hui en procédure d’urgence le projet de loi sur l’octroi de mer déjà amendé par les députés le 4 juin dernier.

Ce projet est accompagné d’un rapport de commentaire de la Commission des Finances, présenté par le sénateur Roland du Luart, qui développe sur près de 300 pages un exposé complet du dispositif historique, des conditions de son évolution au gré de l’intégration des DOM dans l’Union européenne et du projet de loi qui arrive aujourd’hui au Sénat (trois titres, onze chapitres et cinquante deux articles).
Quatorze amendements ont été déposés par les sénateurs d’Outre-mer et les modifications proposées portent pour l’essentiel, à travers huit amendements sur quatorze, sur les articles 48 et 48 bis qui, à la suite d’amendements déposés par les députés UMP à l’Assemblée nationale, restructurent le Fonds régional pour le développement et l’emploi (FRDE).
Après les élections régionales de mars, qui ont donné une très large victoire à l’opposition, “l’embuscade” législative menée par la droite - avec l’aval du gouvernement - pour priver les Régions de plus de 80% des moyens du FRDE, passe pour une initiative guidée par des considérations politiciennes, qui pourrait être lourde de conséquences, dans une procédure d’urgence.
On observe que les amendements déposés au Sénat se préparent à encadrer le dispositif, pour rétablir dans les critères davantage de justice entre petites et grosses communes et pour empêcher d’éventuelles "dérives". Le FRDE, créé par la loi de 1992 (article 16) et instauré Outre-mer entre 1995 (La Réunion) et 1999 (Guadeloupe), est alimenté par le solde des recettes de l’octroi de mer.
À La Réunion, en 2003, son montant avoisinait les 40 millions d’euros. Il n’a cessé d’augmenter depuis sa création et a servi, à La Réunion en particulier, au financement des grands projets structurants qui ont vu le jour ces dernières années. Le rapport, examinant les causes objectives de sa sous-utilisation par les communes, note que "les acteurs locaux ont (...) mis du temps avant de s’approprier le principe du fonds (...)".
Sur les articles 48 et 48 bis, Paul Vergès a rédigé trois des quatre amendements présentés par des élus de La Réunion. Paul Vergès, dont ce sera la dernière bataille au Sénat, est en accord sur ce chapitre avec le sénateur martiniquais Claude Lise pour demander la suppression de l’article 48 bis. Il s’agit de la disposition qui prévoit que les montants non engagés par les Régions au titre du FRDE entre sa création et le 31 décembre 2003, feraient l’objet d’une répartition a posteriori.
Selon Claude Lise, cet article "constitue une atteinte manifeste à l’autonomie de gestion des collectivités régionales d’Outre-mer" et Paul Vergès ajoute notamment que son caractère rétroactif est "contraire aux principes de l’annualité budgétaire".
Les six autres amendements portent, sur les articles 24 ("non possibilité de remboursement" - amendement Lise), 30 ("principe général des différentiels de taux" - amendements Désiré, Lise et Vergès) et 43 ("prélèvements pour frais d’assiette" - amendement Lise et Michaux-Chevry).
La bataille promet d’être âpre, après les protestations émises au début du mois de juin par les Régions d’Outre-Mer. Ces dernières, qui régulaient jusqu’à présent la répartition des fonds aux communes, craignent surtout l’émiettement du fonds. Le FRDE a jusqu’alors servi de levier pour le financement de grands équipements. Il a permis de combler d’importants retards. Les collectivités territoriales observent que le changement de cap intervient alors qu’elles sont en phase terminale de révision des schémas d’aménagement régionaux (SAR), orientée précisément par le besoin de rééquilibrage.
On peut aussi s’étonner que la recherche d’une affectation des fonds plus directe aux communes ne fasse pas plus de cas des Communautés de communes, qui elles aussi vont devoir se contenter des 20% restant, alors qu’elles sont mieux à même de proposer des grands projets.
Au final, les observateurs notent que le gouvernement, en laissant s’opérer “l’embuscade UMP” à l’Assemblée nationale, a pris le risque de voir la promulgation d’une loi engagée dans une procédure d’urgence en raison de la proximité des délais d’application, être gelée dans la dernière ligne droite pour cause d’anticonstitutionnalité.

Pascale David

Octroi de mer

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