À travers deux textes

Une situation politique nouvelle

26 avril 2006

Dans notre éditorial du lundi 24 avril, nous avons affirmé que l’ampleur et l’urgence des problèmes à résoudre à La Réunion nous impose d’avoir une vision politique conduisant à l’élaboration d’un projet réunionnais fédérateur. Nous ajoutions que la situation politique nouvelle créée après le 19 mars dernier devrait faciliter une telle démarche. À plusieurs reprises, suite à la célébration du 60ème anniversaire de la loi du 19 mars 1946, nous avions parlé de nouvelle donne, sur la base de retrouvailles réunionnaises.
Afin d’illustrer cette nouveauté de la situation politique réunionnaise, nous soumettons à la réflexion de nos lecteurs deux textes qui nous paraissent révélateurs d’une évolution des mentalités dans l’île. Certes, leurs auteurs sont deux personnes très différentes par leurs fonctions et leurs engagements. Mais comment ne pas voir certains points de convergences entre leurs propos comme avec l’analyse rappelée plus haut ?

Le premier de ces textes est extrait d’un courrier d’Albert Ramassamy publié par “le Quotidien” le dimanche 9 avril dernier. Dans cette lettre, l’ancien sénateur socialiste et fondateur de l’ARDF (Association pour La Réunion Département Français) analyse un des temps forts du 60ème anninversaire de la départementalisation :
"(...) Si Jean-Louis Debré, fils de Michel Debré, président de l’Assemblée nationale, quatrième personnage de l’État, envoyé du président Chirac, vient seulement quelques heures dans le département pour échanger devant les caméras, avec Paul Vergès, ancien leader autonomiste, président de la Région, président de l’Alliance et député européen, embrassades et tapes amicales, ce n’est pas pour donner plus d’éclat à la fête, mais pour délivrer deux messages.
Le premier se traduirait en ces termes : “Mesdames, messieurs les départementalistes, déposez les armes, la guerre du statut est terminée. Les plus hautes autorités de l’État vous demandent d’en prendre acte”.
C’est réaliste et salutaire. Réconcilier les citoyens d’une petite île entre eux sur le statut politique est du devoir de l’État, responsable de la paix civile.
Le second, subrepticement glissé, est dérangeant et choquant, en raison de la filiation de celui qui le délivre. Ce message, le voici : “Cet homme, Paul Vergès, est notre ami, il a notre confiance”".

"C’est ça le dépassement de soi"

Un peu plus loin, Albert Ramassamy ajoute : "(...) tournons la page ! C’est un impératif absolu.
Libérés enfin d’un débat encombrant, nos élus pourront penser à l’avenir et à lui seul, car les problèmes ne manquent pas et ils sont graves. Construire l’avenir sans le président de la Région est impossible ; le faire avec lui, c’est pour nos élus de tous bords, s’élever à la hauteur de leurs responsabilités dans une démocratie.
À l’exemple de Jean-Louis Debré, fils de Michel, sans aller comme lui, jusqu’aux embrassades, tendons la main au président de la Région pour faire faire à La Réunion un bond en avant aussi important que celui qu’elle fit en 1946 avec le CRADS (Comité républicain d’action démocratique et sociale). C’est ça le dépassement de soi. En politique aussi, faire preuve de grandeur d’âme est possible. Nos élus en seront-ils capables ? C’est La Réunion qui le leur demande".

"Ensemble pour..."

Le second texte est extrait du dernier numéro du bulletin édité par le Centre Saint-Ignace, la Maison des Pères Jésuites de La Réunion, basée rue Sainte-Anne à Saint-Denis. (1) Dans ce texte, intitulé "Ensemble pour...", le Père Stéphane Nicaise rappelle d’abord plusieurs problèmes graves - économiques, sociaux, environnementaux - auxquels sont confrontés les Réunionnais.
Et il écrit : "Le développement de nos sociétés suppose d’être orienté par des valeurs et une vision d’avenir. (...) Or, quel est aujourd’hui, à La Réunion, notre projet ? La question nous est rappelée brutalement dans ce 1er trimestre 2006, où nous célébrons le soixantième anniversaire de la départementalisation".
Le Père Stéphane Nicaise pose la question : "ce changement de statut ne devait-il pas conduire les Réunionnais à se sentir davantage responsables de cette parcelle indianocéanique du territoire français ? Par cette responsabilisation, en effet, les Réunionnais disposent du moyen de faire écho à la solidarité nationale en échappant à l’enfermement dans l’assistanat".

"Une mutation sociale sans précédent"

Voici la suite de l’analyse du prêtre-philosophe : "Certes, la forte croissance démographique sur l’île a pu contrarier cette dynamique. Car depuis 1946, la population réunionnaise a déjà été multipliée par plus de trois, et la transition démographique ne s’annonce que dans vingt-cinq ans avec alors un bon million d’habitants.
Mais il convient surtout de relever que cette augmentation de la population s’est déroulée au cours d’une mutation sociale sans précédent. La mise en place des infrastructures d’une société moderne a en particulier ouvert le département à l’ère de la consommation sans retenue. Les solidarités traditionnelles en ont payé le prix fort en reculant devant l’individualisme. La voiture n’est-elle pas encore le symbole de cette autonomie factice ? Et le dynamisme de l’économie locale ne peut cacher la part excessive de la population active réduite à survivre des allocations et indemnités de tous ordres".

"Solidarité ou individualisme ?"

"Cependant, ajoute le Père Nicaise, il n’y a ni fatalité ni malédiction ! Après la série de drames que nous venons de connaître, les réactions officielles de nos élus ont été de nous inviter à faire preuve de solidarité, de respect et de discipline. Tous ont prêché en chœur une Réunion qui se rassemble. Très bien. Mais est-ce suffisant au regard des décennies pendant lesquelles nous avons construit une société schizophrène ?
La solidarité prêchée aujourd’hui est en effet en décalage complet avec l’individualisme flatté hier. Et demain, l’émotion passée et les plus gros dégâts réparés, quelle face de notre personnalité collective reprendra alors le dessus ? Celle de la solidarité ou celle de l’individualisme ?"

"La sortie par le haut"

Voici la conclusion du Père Stéphane Nicaise : "Le moment n’est-il donc pas venu de se rappeler que la culture réunionnaise s’est distinguée dans le passé par sa capacité à résister aux modèles de sociétés qui ont été régulièrement imposés de l’extérieur ?
Cette force de résistance ne demande sans doute qu’à être réactivée. Pour le savoir, il y aurait à susciter un large débat d’idées sur la vision d’avenir que les Réunionnais ont de leur île, de sa place dans l’ensemble national et européen, et bien sûr de l’inscription régionale de La Réunion.
Mobiliser autour d’un Projet représente la sortie par le haut. Il ne s’agit pas en effet de manifester Contre, comme cela s’est déjà fait, mais d’afficher une détermination Pour. Car la force d’une idée est de peser sur les choix à venir.
Libre des appareils politiciens, un courant d’idées peut faire entendre une autre voix, le désir d’un peuple d’être conduit dans la direction qui correspond le mieux à sa vision d’avenir. L’acte deux de la décentralisation y encourage en instituant une citoyenneté encore plus responsable. Faut-il encore que nous prenions les moyens d’animer des débats qui consolideront notre détermination à être ensemble, pour...".

(1) “Un p’tit mot Trois p’tits pas”, N° 30 - avril 2006.


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