1980-2007 : des conditions climatiques comparables

640.000 tonnes de cannes de moins qu’en 1980

27 novembre 2007, par Manuel Marchal

Il faut remonter à 1980 pour avoir dans l’année un cyclone comparable à Gamède. Mais en 1980, les pertes étaient malgré tout moins importantes et la production largement supérieure. Quelques éléments d’explication.

Janvier 1980, un cyclone d’une intensité comparable à Gamède touche La Réunion:12 jours de pluie, plus de 5 mètres d’eau au volcan et de nombreux drames humains. Le cyclone Hyacinthe est resté dans toutes les mémoires. Pourtant, cette année-là, les planteurs ont livré 2.139.119 tonnes de cannes, soit une perte d’environ 260.000 tonnes par rapport à l’année précédente.
Il faut dire qu’à l’époque, la sole cannière était estimée à 33.000 hectares, soit 6.500 de plus qu’aujourd’hui. Autre différence : le nombre d’usines. En 1980, sept fonctionnaient. Il ne reste que Le Gol et Bois-Rouge en 2007. Enfin, le nombre de livreurs dépassait largement les 10.000 contre moins de 5.000 aujourd’hui.
Ceci étant, les planteurs de l’époque n’avaient pas accès comme aujourd’hui à l’irrigation ou à la mécanisation.
Malgré tout cela, le résultat final est largement supérieur à ce que l’on peut observer depuis une dizaine d’années. 1980, c’était plus de 2 millions de tonnes récoltées, pour une richesse moyenne de 13,71, et 250.000 tonnes de sucre vendues par les usiniers, sans compter les autres produits.
L’an dernier, 4.700 livreurs répartis sur un peu plus de 26.400 hectares ont vendu aux usiniers 1.864.300 tonnes pour une richesse moyenne de 14,03. Les deux sites industriels ont pu produire 205.000 tonnes de sucre. C’était une année sans grand cyclone.
En 2007, les prévisions les plus pessimistes se succèdent. La dernière date d’octobre : 1,514 million de tonnes pour une richesse de 13,69.
Cela fait un écart de 350.000 tonnes par rapport à l’année précédente. Cela fait surtout presque 640.000 tonnes de moins qu’en 1980, l’année de Hyacinthe. Une année où un cyclone d’intensité comparable a frappé La Réunion. Et 900.000 tonnes de moins qu’en 1979, année "précyclonique"...
Ces pertes sont considérables, elles traduisent l’érosion progressive d’une filière provoquée par plusieurs facteurs : séparation du capital foncier du capital industriel, concentration de l’industrie et hausse considérable de la productivité, baisse qualitative et quantitative de la surface consacrée à la canne à sucre (1). Autant dire que des mesures urgentes doivent être prises pour relancer la filière et redonner à la canne toute la place qu’elle occupait dans notre pays, à une époque où les 2 millions 500.000 tonnes étaient à portée de la main.

Manuel Marchal

(1) Voir "Témoignages" du mercredi 2 octobre 2007, page 4. (http://www.temoignages.re/article.php3?id_article=25148)


Une répartition injuste

Comme "Témoignages" l’a expliqué hier, avec toutes les aides qu’il perçoit, l’usinier tire son épingle du jeu, que la campagne soit bonne ou mauvaise. Et il est d’ailleurs à noter que pire est la récolte, moins cher l’usinier achète la canne. En dessous de 1,5 million de tonnes, pas de prime bagasse à verser au planteur. Ce qui n’empêchera pas l’usinier d’utiliser la bagasse pour faire tourner son usine et de faire acheter par EDF le surplus d’énergie produite à partir de la canne livrée par les planteurs. D’où cette question : l’usinier a-t-il intérêt à voir évoluer la répartition des richesses tirées de la canne ?
Pour le planteur, la situation est différente. En cas de mauvaise récolte, c’est l’aide publique qui doit venir à son secours pour lui maintenir la tête hors de l’eau. Plus les conditions climatiques sont difficiles, moins la production et la richesse sont bonnes. Conséquence, l’usinier paie moins cher la canne qu’il achète. Mais si le prix varie, la masse vendue reste la même, tout comme le travail fournit par le planteur pour livrer sa canne. Or, la canne est une matière première de choix pour d’autres produits que le sucre. Des produits sur lesquels le planteur ne gagne rien.


Une défaillance industrielle contribue à une campagne désastreuse

Plusieurs dizaines de milliers de tonnes à terre

Chacun a encore en mémoire le démarrage à retardement de la campagne sucrière. A Bois-Rouge, puis au Gol, ce sont une semaine qui ont été perdue parce que l’usine n’était pas prête à recevoir les cannes récoltées par les planteurs.
Ce retard incombait uniquement à l’usinier. Ce dernier a en effet mis sur la chaîne de production des matériels qui n’étaient pas encore au point.
Au plus fort de la campagne, une semaine de coupe, ce sont près de 90.000 tonnes. Le Gol et Bois-Rouge sont d’ailleurs dimensionnées pour traiter ensemble 93.500 tonnes hebdomadaires.
Cela donne une idée de ce que les planteurs ont pu perdre à cause de ce retard. Elevées pour être livrées au moment où elles peuvent rapporter le plus au planteur, les cannes ont dû attendre. Chaque heure qui passe signifiait perte de richesse, perte de revenu pour le planteur. Une perte qui n’est pas de son fait, mais dont il est seul à payer les conséquences.
Car pour l’usinier, les pertes ont été beaucoup plus relatives. Tout d’abord, si des cannes ont pu malgré tout être livrées, beaucoup sont restées trop longtemps coupées au bord du champ, l’usinier les a payées moins cher car elles étaient moins riches en sucre. Le planteur sera-t-il indemnisé par l’usinier ?
En effet, la canne est toujours vendue à la tonne, et l’usinier achète la tonne moins cher du fait de la baisse de la richesse en sucre. Mais l’usinier peut toujours faire brûler la bagasse pour vendre de l’électricité à EDF et produire du rhum à partir de la mélasse, la vente de ces produits lui donne une marge de manœuvre que n’a pas le planteur.
Par ailleurs, que la campagne débute avec une semaine de retard ou pas, c’est-à-dire que les moulins du Gol ou de Bois-Rouge fonctionnent une semaine de moins ou pas, l’usinier touchera toujours les 31,5 millions d’euros que lui verse l’Europe au titre de l’adaptation de l’industrie sucrière.
Nul doute qu’avec une répartition plus équitable des produits tirés de la canne, comme c’était le cas avant l’accord de 1969 (deux tiers pour le planteur, un tiers pour l’usinier), un tel retard aurait été difficilement envisageable. Car dans ce cas-là, le revenu de l’usinier est lié directement au revenu du planteur car il est calculé sur la richesse totale que produit la matière première. L’usinier a donc tout intérêt à éviter les expérimentations industrielles hasardeuses en pleine période de production.


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