Avenir de la canne - 4 -

Alain Cataye (UFA) : ’L’agriculteur restera dans la canne s’il gagne de l’argent’

13 juillet 2006

Alain Cataye est Président de l’Union des Forces agricoles, un pôle de réflexion regroupant plusieurs syndicats agricoles créé ’pour développer et mettre en place une politique, un programme agricole’. À la base de sa réflexion, la défense des revenus agricoles passe avant la visée stratégique.

Quelle vision de la filière canne avez-vous développé dans votre pôle ?

- On en a une vision très claire : on croit en la filière canne, on veut la développer. On sait que c’est une culture qui pourra durer encore, et c’est la seule qu’on peut mettre sur 26.000 hectares. Même en diversifiant sur 3.000 hectares, on sait très bien que l’import peut inonder La Réunion de ce qu’il veut. On est aussi dans un environnement géopolitique africain qui ne peut pas acheter nos produits. On est loin de l’Europe, et on ne peut pas non plus exporter à outrance là-bas. Il nous reste quelques produits-phare comme l’ananas, la mangue, le passiflore ou le letchis, qui ont un avenir à l’exportation, mais qui ne peuvent pas remplacer la canne.

Le prix a baissé, mais le système est maintenu dans son principe...

- Notre canne est dans une organisation européenne, avec un prix connu d’avance. Il n’est plus aussi protégé par l’OCM mais le reste un peu, par des subventions européennes qui permettent de compenser les décalages avec les cours mondiaux. L’OMC oblige à produire au prix du marché mondial. Malgré cela, l’Europe maintient un cap assez haut, même si le prix baisse : le prix du sucre est passé de 600 euros à 400 euros. Les pertes pour les planteurs sont compensées, ainsi que pour les industriels. C’est ce qui permet de dire que la canne a encore de l’avenir si on arrive à faire une politique cohérente, à mettre des garde-fous pour protéger les terres agricoles - 26.000 à 30.000, c’est un minimum pour faire notre quota de 2,1 à 2,2 millions de tonnes de canne - et si l’agriculteur retire assez de revenus.

Vous centrez beaucoup votre réflexion autour du revenu de l’agriculteur...

- Notre groupement dit qu’un agriculteur ne doit pas gagner moins qu’un technicien de base (1.500 à 2.000 euros).
On a un prix gelé pour les années à venir, des intrants qui augmentent et un environnement où les prix pratiqués sont moins élevés, les lois sociales sont différentes : on le voit à l’île Maurice, à Madagascar, où le SMIC et la main-d’œuvre sont moins chers. Comment dans ce contexte dégager des revenus suffisants ? D’autres axes de réflexion portent sur la diversification, la transformation des produits de terroir. La Chambre d’agriculture avec la Région ont mis en place la certification (OCTROI) pour réaliser des productions de qualité. Pour répondre aux besoins d’une population à niveau de vie élevé - qui se soucie de savoir ce qu’elle mange - il faut pouvoir assurer une hygiène, une sécurité alimentaire. La Réunion a des armes pour cela et pourra faire la différence demain.

À quels garde-fous pensiez-vous ?

- Avec le maintien des terres agricoles, c’est la mécanisation, l’irrigation pour les terres où il n’y a pas d’eau et la diversification, surtout sur les petites surfaces, parce que cela permet de consolider les exploitations. Si on reste sur des “petits îlots”, il faut qu’on aille vers la diversification, vers les produits de terroir - des produits de transformation - pour capter la valeur ajoutée, en la gardant sur l’entreprise. Tant qu’on passera par des intermédiaires, les agriculteurs seront très limités. C’est un levier qui permet de garder en canne des petites surfaces, dans les hauts où il est parfois difficile de mécaniser.
Ce sont les 3 leviers qui peuvent permettre d’assurer aux agriculteurs un revenu correct. Si l’agriculteur ne dégage plus de revenu, il va faire autre chose, pour valoriser autrement son patrimoine.

Concernant la canne elle-même, peut-on la valoriser autrement ?

- Je ne crois pas cela possible. Tant que La Réunion vendra son sucre sur le marché européen, elle a intérêt à faire du sucre pour l’Europe. C’est un produit à valeur ajoutée très élevée. Je ne crois pas qu’on puisse faire de l’éthanol pour les autres pays. On fait déjà de l’électricité, il y a des recherches actuellement sur l’acide. D’autres cherchent vers les produits pharmaceutiques ; il se dit beaucoup de choses sur les propriétés de la canne... Mais aujourd’hui, on ne sait pas. Si demain on met au point de nouveaux produits, à un coût intéressant, on verra.

Aujourd’hui, 4.500 planteurs sur 7.500 produisent de la canne. S’ils suivent vos appels à diversifier, seront-ils aussi nombreux demain, pour un tonnage suffisant ?

- Beaucoup de terres ont été rachetées par d’autres agriculteurs qui ont agrandi leur propriété. La surface moyenne des exploitations est passée de 3 hectares en 1989 à 7-8 hectares aujourd’hui. Comme le coût de la vie augmente, les seuils de rentabilité se déplacent. Aujourd’hui, ceux qui veulent rester en canne doivent aller vers 15-20 hectares. Je suis sûr que les agriculteurs sont près à densifier et à faire de la canne s’ils gagnent de l’argent. Sinon, il ne vont pas faire de la canne pour les beaux yeux des industriels.

Propos recueillis par P. David


Incendie de cannes à Sainte-Marie

Une trentaine d’hectares partie en fumée

Un incendie s’est déclaré dans un champ de cannes, vers Beauséjour (Sainte-Marie) hier. L’agriculteur arrivé le premier sur les lieux, M. Naze, a appelé les secours, et les pompiers sont arrivés 10 à 15 minutes plus tard. Un vent puissant soufflait sur les champs, et l’avertissement donné aux pompiers de tenter de couper par le bas l’avancée des flammes n’a pu être pris en compte à temps. Les hommes du feu auraient constaté la présence de plusieurs foyers. L’hypothèse d’un incendie criminel a été émise. D’après les riverains - qui ont eu très peur, à cause du vent - cet incendie ressemble à celui qui a détruit, en 2004, environ 7.000 tonnes de cannes.
Les champs attaqués par les flammes sont cultivés par Jean-Yves Minatchy, M. Lebihan, Christian Urbain et Sylvette Robert. Les témoins présents sur les lieux ont décrit "une catastrophe", "un acte criminel et dangereux" qui "met les nerfs des planteurs à bout".

P. D.


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