Bruxelles prépare ses nouvelles propositions de réorganisation du marché sucrier européen

Aller plus loin et plus vite

17 mai 2005

Une baisse du prix du sucre plus importante que les 33% proposés dans le premier projet de réforme et étalée sur une période plus courte : ce sont des hypothèses que la Commission européenne semble travailler pour préparer ses nouvelles propositions de réorganisation du système sucrier de l’Union européenne. Le niveau de compensation des pertes resterait fixé à 60%. Tout cela au nom d’une plus grande compétitivité.

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Après la décision de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) condamnant le système sucrier européen, la question qui se pose est simple : quelle réforme proposera Bruxelles ?
Mariann Fischer-Boel, la commissaire européenne à l’agriculture, avait annoncé qu’elle tiendra compte du jugement de l’organe d’appel de l’OMC pour construire un nouveau projet.
Avant même de connaître la décision de l’organisation du commerce mondial, la représentante de Bruxelles avait annoncé la couleur : elle n’excluait pas que sa proposition aille plus loin dans les baisses des prix et des quotas de production par rapport aux préconisations du projet soumis en juillet 2004 par son prédécesseur, Franz Fischler. "La réduction proposée de 33% du prix et celle de 2,8 millions de tonnes sur les contingents étaient le minimum indispensable à une réforme efficace", expliquait-elle, le 10 mars à Strasbourg aux députés européens.

Une attitude catégorique

Depuis, à plusieurs reprises, la commissaire européenne a fait comprendre que c’est bien en ce sens qu’elle compte s’orienter. "La commissaire européenne à l’Agriculture, Mariann Fischer-Boel, qui participe actuellement à une World Trade Organisation Mini-Ministerial Meeting au Kenya avec son collègue du Commerce, Peter Mandelson, affiche une attitude catégorique par rapport à la réduction substantielle du prix garanti dans le cadre de la réforme du Régime Sucre de l’Union européenne (UE)", écrivait le 30 mars dernier “Le Mauricien”.
"En effet, dans une correspondance officielle adressée aux dix ministres de l’Agriculture de l’UE qui avaient contesté, lors d’une réunion du conseil des ministres, les propositions de réforme soumises le 14 juillet 2004, elle maintient que la réduction du prix garanti du sucre devra être substantielle", ajoutait notre confrère de l’île sœur.

Baisser le prix du sucre de 33 % ne suffit pas...!

Le journal de Port-Louis citait de larges extraits de la lettre écrite en anglais et adressée par Mme Fischer-Boel à ses interlocuteurs : "the institutional price reduction should be significantly less and more gradual than what the Commission has proposed (...) I firmly believe, however, that a reform has to involve an important adjustment in both quantities and prices (...) Why I believe it is necessary to undertake a significant reduction in prices in addition to the quantitative adjustment."
La commissaire européenne marquait ainsi à la fois son inflexibilité et sa volonté d’arriver à une diminution significative du prix du sucre.
Un mois plus tard, commentant à l’intention du journal économique le “Financial Times”, la décision de l’OMC, elle déclarait : "obviously 33 per cent is not far enough, I really want to make this a long-lasting reform and that is the way to do it".
Mariann Fischer-Boel répétait donc que, pour elle, une diminution du prix du sucre de 33% lui paraissait insuffisante (“not far enough”).
Son porte-parole, Michael Manne, précisait : "pour des raisons internes, nous allons proposer des réformes ambitieuses du régime sucrier. Nous espérons que le Conseil des ministres donnera rapidement son accord à nos propositions."

Vers une baisse des prix mondiaux

C’est sans doute l’évolution actuelle et à venir du prix du sucre sur le marché mondial qui pousse Mariann Fischer-Boel à obtenir une diminution plus importante du prix du sucre européen .
Depuis le début du mois de mars, les prix du sucre sur le marché de Londres sont en baisse en raison d’une hausse de la production en Inde qui est plus importante que celle prévue. Selon une revue spécialisée, l’Australian Bureau of Agricultural and Resource Economics, tablant sur une hausse de la production sucrière du Brésil, de l’Inde et de la Thaïlande, estime qu’une baisse des prix mondiaux du sucre est à prévoir pour 2005-06.
La capacité d’extension quasi illimitée au Brésil est considérée comme étant la principale source de pression sur le prix du sucre. Cependant, cette analyse ne fait pas l’unanimité. D’autres experts considèrent que les fluctuations du marché pétrolier, d’une part, et la parité euro-dollar d’autre part rendent difficiles toutes prévisions sur les évolutions du marché.

La commissaire veut accélérer la baisse du prix

Cependant, outre une baisse plus conséquente du prix du sucre européen, Mme Fischer-Boel compte aussi remettre en cause la progressivité de la mesure.
Son prédécesseur, Franz Fischler, envisageait d’étaler la diminution du prix sur 4 campagnes et proposait de réaliser un bilan au bout de 2 ou 3 ans. Mme Fischer-Boel ne veut plus de cet examen à mi-étape.
Devant le Parlement européen, la nouvelle commissaire européenne à l’Agriculture indiquait que "la proposition de la CE n’inclura pas la notion de révision à mi-parcours dans deux ou trois ans parce qu’une telle approche ne permettrait pas une perspective à long terme pour les agriculteurs". Elle a, surtout, laissé entendre que la baisse pourrait intervenir dans un délai plus rapproché que celui envisagé.

Une double pression sur la Commission européenne

En effet, la Commission de Bruxelles fait l’objet d’une double pression. Celle du Brésil, d’abord, qui pour des raisons évidentes, veut que l’Europe aille vite. Celle des industriels européens de l’agroalimentaire, ensuite. Ces gros utilisateurs de sucre expliquent que pour être concurrentiels, il leur faut un sucre européen compétitif, c’est-à-dire à un prix se situant au niveau du cours mondial du sucre.
Prenant comme exemple l’industrie du Royaume Uni, ils expliquent que celle-ci au cours des 5 dernières années a perdu 15 usines et 10.000 emplois et observait un mouvement de délocalisation vers les pays de l’Est. Un phénomène qui serait assez généralisé dans toute l’Union.
Or, l’industrie agroalimentaire européenne emploie 15 millions de personnes, tandis que l’agriculture en emploie moins de 11 millions. La Commission donnera-t-elle la priorité à son industrie agro-alimentaire ou à ses betteraviers ?
Pour certains experts, ce sont les besoins de l’industrie des boissons et denrées alimentaires de l’UE qui sont le moteur de la réforme du secteur sucrier européen et non pas ceux des producteurs de sucre de l’UE. La Commission devrait donc satisfaire à la demande de ces industriels et faire passer la réforme à la vitesse supérieure.

Une compensation très insuffisante

S’il est clair que Mme Fischer-Boel envisage une baisse plus importante du prix du sucre et, ce, à un rythme plus soutenu, en ce qui concerne le niveau de compensation à accorder, elle en reste aux 60% proposés par son prédécesseur.
À ses yeux, ce taux correspond à un niveau adéquat parce que "l’expérience avait montré que les pertes de revenus subies par les exploitations ne sont pas équivalentes aux réductions de prix", expliquait-elle le 10 mars aux eurodéputés.
Cette compensation est évidemment très insuffisante pour les planteurs.

Objectif : une meilleure compétitivité

Les hypothèses de travail de Mme Fischer-Boel sont donc connues : une baisse significative du prix du sucre accompagnée d’une baise des quotas, cela à un rythme sans doute plus accéléré et pour un niveau de compensation de 60%. L’objectif de la réforme est celui d’une meilleure compétitivité.
Pour atteindre cet objectif, Mme Fischer-Boel fait valoir que "le transfert de quotas pourrait faciliter le déplacement de la production vers les régions plus compétitives tout en permettant aux régions qui ne sont pas compétitives de renoncer à leur quota et d’investir leurs recettes dans des activités économiquement viables".
Ceci est à rapprocher du discours tenu dernièrement par la délégation de la Commission de l’agriculture du Parlement européen qui expliquait que la filière canne-sucre réunionnaise avait un délai d’une huitaine d’années pour faire la preuve, avec l’aide de l’Europe, de sa compétitivité. Sinon, il lui faudrait explorer d’autres voies et préparer sa reconversion.

J. M.


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