Les pays ACP face à la réforme de l’OCM-Sucre :

Bruxelles ferait un effort supplémentaire

27 septembre 2004

Pour faire face à la réforme du système sucrier européen, Maurice en son nom propre ou comme chef de file des pays ACP fournisseurs de sucre de canne à l’Europe, a engagé depuis quelques semaines un long travail de lobbying. Des membres du gouvernement se sont déplacés en Europe pour obtenir qui un soutien du ministre de l’Agriculture d’un État membre de l’Union européenne qui a des contacts avec Bruxelles.

La semaine dernière, l’île-sœur recevait le ministre français, Hervé Gaymard, tandis que son collègue mauricien était lui quelques jours auparavant à La Réunion. Il doit rencontrer ses homologues de la Grande-Bretagne, de la Suède, du Danemark et du Portugal, du 11 au 14 octobre. Du 4 au 6 octobre, les pays ACP se réuniront à Bruxelles pour préparer les propositions à faire à la Commission.

De son côté, le vice-Premier ministre et ministre des Finances mauricien, Pravind Jugnauth, était en tournée auprès de l’Union européenne. Dès son arrivée, il rendait compte au Conseil des ministres des résultats de sa démarche avant d’en informer la presse. Il était porteur de bonnes nouvelles.
Selon “l’Express” daté de samedi "pour exprimer sa sensibilité aux préoccupations du bloc Afrique, Pacifique et Caraïbes, l’Union européenne (U.E.) a adressé une correspondance en ce sens, au Premier ministre, Paul Bérenger, le 16 septembre dernier. Cette lettre est signée conjointement par les commissaires européens Pascal Lamy (Commerce), Franz Fischler (Agriculture) et Poul Nielson (Développement)".

Des mesures "appropriées"

Le communiqué diffusé à l’issue du Conseil des ministres mauricien indique en effet que les commissaires signataires "ont souligné le fait qu’ils sont très sensibles à l’impact de la réforme du régime sucrier européen sur les pays ACP exportateurs du sucre". Ils assurent que des mesures "appropriées" seront prises pour, selon “l’Express”, à la fois "couvrir les aspects commerciaux et de développements" découlant de la réforme mais aussi "pour atténuer les effets socio-économiques de la réforme en sus des fonds déjà alloués". Cela fait écrire au journal mauricien que "l’Union européenne s’est engagée à apporter une aide financière aux pays ACP après la réforme annoncée de son régime sucrier".

L’argumentation développée par le ministre mauricien semble avoir porté. Au cours de ses entretiens, Pravind Jugnauth a expliqué à ses interlocuteurs européens "que le Protocole sucre n’est pas uniquement un accord commercial mais davantage un “outil de développement”". Il aurait donc plaidé la création d’un fond de soutien supplémentaire venant abonder les compensations annoncées dans le projet de réforme.
Malgré ces nouvelles plutôt optimistes, Maurice n’a pas l’intention de remettre en cause le projet de refonte de son propre système sucrier. "La réforme européenne du régime sucrier a incité Maurice à accélérer la sienne, enclenchée en 2001" écrit “l’Express”. Dans cette perspective, le comité mis en place par le gouvernement mauricien pour piloter le projet de réforme s’est réuni, pour la première fois, la semaine dernière. Tous les partenaires ont été appelés à faire des propositions à partir d’un document de travail élaboré par la Chambre d’Agriculture et le Syndicat des Sucres.


Pour le FMI :

Maurice le plus vulnérable

Le problème que posera aux petites économies insulaires la libéralisation des échanges commerciaux est décidément une question d’actualité. Avec la question du changement climatique, il a été au centre des débats de la 5ème conférence du Programme océanique pour l’environnement (PROE) qui était réunie à Papeete du 13 au 17 septembre. Il vient de faire l’objet d’une analyse du Fonds monétaire international (FMI).
Dans un document de travail disponible en anglais sur le site de l’institution et intitulé “The Impact of Preference Erosion on Middle-Income Developing Countries”, le FMI examine donc les conséquences pour les pays ayant des revenus moyens de l’érosion des systèmes de préférences commerciales. Le Fonds se penche plus particulièrement sur la refonte du marché de la banane, du textile et du sucre et sur la situation des petites économies insulaires.

Reprenant pour l’essentiel les analyses qui ont cous sur la fragilité de ces économies à cause notamment de leur éloignement des grands marchés solvables, le FMI souligne les sérieux ajustements ( les “serious adjustment challenges”) qui les affecteront. Pour l’institution internationale, ces petites économies seront les plus menacées par la remise en cause des préférences commerciales pour la banane ou le sucre ("small island economies that, for historic, geo-strategic or other reasons, enjoy deep preferences for banana exports (on the case of the European Union) and sugar (in the case of both the European Union and the United States) are projected to suffer most from liberalization in those two markets"). Le FMI estime que les États devront, par des contributions sur leur budget, supporter le choc de la réforme, notamment pour le sucre ("If the sugar sector accounts for a substantial share of total employment, the government budget may be required to assume part of the burden, by means of transfers such as unemployment benefits, re-training programs, etc."). Le FMI indique que l’érosion des préférences commerciales aura de multiples effets en cascade.

Pour les auteurs du document, Maurice sera une des plus exposés. Ils évaluent à 200 millions de dollars américains, le manque à gagner pour l’économie mauricienne d’une remise en cause du système sucrier européen. Les recettes de l’État mauricien diminuerait de 24,4% et le PIB de 4,4%.
Les conséquences pour l’économie mauricienne de la disparition du système des préférences commerciales ont fait l’objet d’une étude de la part de Bruxelles mais les conclusions de celle-ci n’ont pas, à notre connaissance, été rendues publiques. Les éléments fournis par le FMI sont cependant suffisamment éloquents pour donner à réfléchir.

(D’après un article du “Mauricien” du 23 septembre 2004)


Encourageant pour La Réunion

Les informations fournies vendredi à Port-Louis par le gouvernement mauricien sont un élément encourageant pour La Réunion. Cela signifie que la création d’un front commun, un bon travail de lobbying ainsi que le recours à des arguments percutants peuvent déboucher sur du positif. Après avoir mis l’accent sur un aspect et un seul, à savoir que le Protocole sucre qui lie Maurice à l’Union européenne n’est pas qu’un seul accord commercial mais un “outil de développement”, le gouvernement de Paul Bérenger et de Pravind Jugnauth a obtenu un infléchissement de Bruxelles qui se dit prêt à prendre des mesures "appropriées" pour aider les pays ACP à faire face.
Or, outre le fait de se présenter unie, la filière réunionnaise a de solides arguments à faire valoir. Elle peut expliquer la nécessité de conserver à La Réunion une importante production cannière au nom de la cohésion sociale de l’île, pour des raisons liées à l’environnement et à l’aménagement ainsi qu’au nom de facteurs économiques.

Il est clair que l’argumentation du gouvernement mauricien commence à porter.
Outre le courrier des trois commissaires adressé à Paul Bérenger, on peut ici faire prévaloir la récente prise de position de Franz Fischler, le commissaire à l’Agriculture qui, au cours d’une séance de travail avec la Commission de l’Agriculture du Parlement européen a fait état de la nécessité de respecter les engagements pris avec le Protocole sucre à l’égard des pays du groupe Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) et des engagements pris vis-à-vis de l’Inde. Enfin, Pravind Jugnauth a expliqué à la presse mauricienne qu’au cours d’une réunion de travail avec le représentant du bloc ACP à Bruxelles, le Portugal a soutenu la position du groupe. Or, a-t-il rappelé, c’est un Portugais, José Manuel Barroso, qui présidera à partir du 1er novembre la Commission de Bruxelles.


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