Prévisions très pessimistes pour la campagne sucrière

Canne à sucre : le résultat d’une lente érosion

3 octobre 2007, par Manuel Marchal

Décrite comme « la plus mauvaise depuis 30 ans », la campagne sucrière 2007 restera dans les mémoires avec une récolte comprise entre 1,5 million et 1,630 million de tonnes de cannes. Les industriels avancent comme argument les conditions climatiques. Si elles jouent un rôle important, force est de constater que c’est loin d’être la seule explication. Le recul des surfaces, l’abandon à la spéculation immobilière des terres les plus riches, la séparation du capital foncier du capital industriel et la concentration de l’industrie sucrière sont aussi des facteurs qui ont mené à ce résultat.

« L’impact majeur du cyclone Gamède et la longue période de sécheresse qui a suivi conduisent à revoir à la baisse les prévisions de tonnage de la campagne sucrière. (...) À titre indicatif, la récolte est estimée à 1 million 630.000 tonnes », autrement dit une baisse d’au moins 200.000 tonnes par rapport à 2006. Dans un communiqué diffusé le 22 septembre dernier, les industriels avancent leur argument pour expliquer une campagne sucrière désastreuse : le climat.
Mais afin que l’analyse soit plus complète, le résultat de la campagne 2007 doit être placé sous un éclairage historique. Les observateurs ont comparé Gamède à Hyacinthe. Ce météore avait frappé l’île en 1980 et a eu une incidence sur la récolte. Par rapport à 1979, une perte de 260.000 tonnes avait été enregistrée, soit approximativement l’évolution négative prévue entre la campagne 2006 et celle de 2007.
Mais, malgré tout, en 1980, les planteurs avaient récolté 2,140 millions de tonnes de cannes, soit 500.000 tonnes de plus que les prévisions les plus optimistes pour cette année ! Et il est à noter qu’entre 1983 et 1985, 3 années de sécheresse consécutives n’avaient pas empêché une récolte supérieure à 2 millions de tonnes, et cela sans irrigation, et avec un recours à la mécanisation beaucoup moins importante que de nos jours.
Il existe d’autres causes. Alors, que s’est-il passé pour en arriver là ?

Recul du foncier et concentration

Tout d’abord, il est important de rappeler que Gamède est une catastrophe naturelle et que, par conséquent, les planteurs ont droit à une juste indemnisation de leurs pertes. Car avec au minimum une baisse de 200.000 tonnes, leur situation doit être prise en compte, et le préjudice, réparé.
Ceci dit, l’argumentation des usiniers doit être complétée par quelques éléments qui permettent d’expliquer l’écart entre la récolte de 1980 et celle de 2007.
Tout d’abord, en 1980, la sole cannière atteignait 33.000 hectares, soit 6.500 de plus qu’aujourd’hui. Les surfaces ont donc subi une lente érosion. Tous les efforts ont permis d’aboutir pour le moment à une stabilisation. Mais parmi les terres perdues, figuraient des hectares au potentiel agronomique des plus intéressants. Ces derniers ont été livrés à la spéculation immobilière, et les terres "reconquises" pour tenter de compenser ces pertes n’ont pas toujours ce potentiel.
À cette diminution du foncier, s’ajoute une autre donnée : la restructuration de la filière industrielle. En 1980, la filière était en pleine concentration. Lors des 2 campagnes précédentes, 3 usines fermaient leurs portes : Stella, La Mare et Quartier-Français. Ne restaient plus alors que Beaufonds, Savanna, Grand-Bois, Le Gol et Bois-Rouge. Aujourd’hui, seules les 2 dernières subsistent. La lecture de la courbe de production depuis la fin des années 70 constate que ces fermetures ont un impact sur les récoltes, avec un effet retard. En 1979, année de fermeture de La Mare et Quartier-Français, plus de 2,4 millions de tonnes avaient été broyées. Sept ans plus tard, à la veille de l’arrêt de Savanna, la récolte n’est plus que de 2,1 millions de tonnes lors d’une année sans cyclone, ni sécheresse.

Plus grande vulnérabilité

Parallèlement à cette concentration s’est opérée une séparation du capital foncier du capital industriel. Les ratés du début de ce début de campagne ont coûté cher en termes de cannes récoltées. En effet, les deux usines ont ouvert leurs portes avec une semaine de retard. Raison invoquée : la mise en production de nouveaux procédés industriels pas suffisamment testés. À l’époque, un tel retard n’était pas possible, tout simplement parce que les usiniers étaient également à l’époque des propriétaires de surfaces cannières, ils n’auraient donc jamais mis en service une machine qui n’était pas totalement au point. Car tout retard leur était aussi préjudiciable car ils étaient également des propriétaires de cannes. Or maintenant, ce sont uniquement les planteurs qui payent les conséquences d’une expérimentation trop tardive.
Comme l’explique la lecture des bilans des campagnes sucrières, le climat influe sur la récolte. Et un cyclone comparable à l’intensité de Gamède conduit à une perte d’au moins 200.000 tonnes de cannes. Mais ce n’est pas Gamède seul qui est à l’origine de la récolte « la plus mauvaise depuis 30 ans » : à peine 1,6 million de tonnes pour faire tourner deux usines capables chacune de brasser un million de tonnes par campagne.
La campagne sucrière 2007 est le résultat d’un lent processus qui aboutit à une plus grande fragilisation d’une filière au moment où cette dernière arrive à une période charnière de son Histoire : celle de son intégration à la mondialisation ultra-libérale.

Manuel Marchal


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