La Réunion face à la réforme de l’OCM-Sucre

Ceux qui savent se taisent

18 juillet 2005

En distillant dimanche 10 juillet dernier quelques informations nouvelles, en s’interrogeant sur d’éventuelles perspectives pour la filière, les responsables de la FDSEA montrent qu’eux et leurs informateurs savent plus qu’ils ne le disent sur les conséquences de la réforme de l’OCM-Sucre pour La Réunion. Mais ils n’ont pas dit tout et se taisent sur l’essentiel tandis que débute aujourd’hui la série de réunions que les ministres de l’Agriculture de l’Union consacreront à la réforme. Or, l’Angleterre qui préside l’Union jusqu’en décembre a fait savoir, par un de ses ministres que l’OCM-Sucre est un anachronisme et qu’il faut la réformer !

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Ce lundi, le Conseil des Ministres de l’Agriculture des pays de l’Union européenne se réunira pour débuter une série de débats sur la réforme de l’OCM-Sucre. Cette première réunion permettra de mesurer les lignes de clivage et d’apprécier les forces en présence. Tous les États-membres n’apprécient pas de la même manière la réforme. Certains pays dont la production sucrière disparaîtra totalement sont défavorables aux propositions de Mme Fischer Boel. D’autres se montrent encore prudents et attentistes et une troisième catégorie est favorable à la remise en cause du système.
Ce même lundi, une manifestation est prévue à Bruxelles à l’appel de plusieurs organisations professionnelles.

Véritable tournant historique

Comme en témoigne la réunion qui a eu lieu le 13 juillet dernier au Parlement européen, de vives inquiétudes demeurent et la Commission apparaît comme peu susceptible de modifier sa ligne de conduite.
Par ailleurs, des informations en provenance de Londres sont venues jeter un froid. En application d’une règle de fonctionnement interne, depuis le 1er juillet et ce pendant 6 mois l’Union européenne est placée sous la présidence britannique. Les pays ACP comme Maurice attendaient de leur ancienne métropole une position qui leur serait favorable. Plusieurs parlementaires britanniques avaient exprimé dernièrement leur solidarité. Mais, interpellé jeudi devant la Chambre des Communes, le secrétaire d’État britannique au Développement international a estimé que le système sucrier européen était un anachronisme et qu’il fallait la réformer. Au passage, il s’est livré à de vive attaques contre les pays ACP fournisseurs de sucre à l’Europe. Une position qui, si elle était celle de Londres, constituerait un véritable tournant historique. Lors de son adhésion, la Grande-Bretagne avait exigé que l’Europe achète le sucre produit par des États membres de l’ancien Commonwealth. Il en est résulté le “Protocole sucre” qui a été adjoint à l’OCM-Sucre. Il est désormais clair que les Britanniques sont à ranger parmi les plus farouches réformateurs du système et qu’on le sentira sous leur présence à la tête de l’Union.
À La Réunion, l’élément le plus significatif qui est intervenu dans ce dossier a eu lieu à l’occasion de l’assemblée générale de la FDSEA du dimanche 10 juillet dernier à Sainte-Anne. Nous avions noté (voir “Témoignages” de vendredi dernier) la tournure politique prise.

Ils cachent la vérité sur l’essentiel

Citant des sources gouvernementales, les dirigeants du syndicat d’agriculteurs avaient indiqué que le manque-à-gagner pour la profession du fait de l’application de la réforme serait de 30 millions d’euros. Ils s’étaient publiquement interrogés pour se demander s’il fallait continuer à avoir des exploitants travaillant moins 7 hectares de terre et n’ayant guère de perspectives.
Certes, cette question du remembrement des terres agricoles n’est pas nouvelle. De manière assez régulière on se demande si un regroupement des surfaces jugées trop exiguës pour être rentables ne s’impose pas. Mais le fait que le sujet revient sur le tapis ces jours-ci n’est pas innocent. La réforme de l’OCM-Sucre ouvre la voie à une plus grande compétitivité. Il faudra tenir ou disparaître. Le discours tenu par les dirigeants de la FDSEA s’inscrit dans cette logique. Ils savent ce qui attendent les petits et moyens planteurs. Ils ont été vraisemblablement informés qu’au bout de la réforme il y a la ruine pour les plus faibles. Ils le savent mais ne proposent pas de solutions. Ils en disent pas assez ou trop. Ils cachent la vérité sur l’essentiel.


Audition au Parlement européen

Une réforme au goût amer

L’audition publique organisée mercredi dernier par plusieurs commissions du Parlement européen sur la réorganisation de l’OCM-Sucre a permis l’expression de très fortes inquiétudes. La réforme a souvent été jugée "incomplète" et "trop radicale".
Au nom de la commission de l’Agriculture, Jean-Claude Fruteau, a déploré que certains points de la résolution adoptée sur le sujet par le Parlement en mars dernier aient été écartés de la proposition de la Commission. "Le projet de réforme se concentre excessivement sur la compétitivité et ignore par trop les conséquences sociales", a-t-il expliqué. Jean-Claude Fruteau estime également que la Commission n’a pas suffisamment réfléchi aux nouveaux débouchés pour écouler les surplus de sucre : "À long terme, il nous faudra trouver des sources d’énergie alternatives. Dans ce cas, pourquoi ne pas miser sur le sucre pour fabriquer des bio-carburants ? La Commission n’a rien proposé de nouveau dans ce domaine".
Les critiques ont fusé de toutes parts. Hubert Chavannes, de la Confédération internationale des betteraviers européens, estime que la proposition de la Commission est "trop sévère en termes de réduction de prix et de production et qu’elle ne garantit pas la viabilité du secteur". Il pense aussi quel la Commission n’a pas "suffisamment songé aux aspects liés à l’importation tout en abandonnant toute perspective d’exportation de sucre européen". Ricardo Serra-Arias, vice-président de la Confédération des Organisations Agricoles européennes (COPA), en appelle au rejet de la proposition, qui a "confirmé toutes les prévisions les plus sombres du secteur" et manque de "solidarité, puisqu’elle entraînera une profonde division entre les producteurs".

Une étude d’impact demandée

La plupart des députés de la commission de l’Agriculture du Parlement européen ont exprimé des opinions comparables. La Commission européenne a préparé sa réforme "dans sa tour d’ivoire, sans aucune forme de consultation", a dénoncé le député grec de droite Georgios Papastamkos. Le vice-président de la commission de l’Agriculture, le polonais Janusz Wojciechowski a demandé à "la Commission de conduire une étude d’impact avant de mettre en œuvre une réforme d’une telle ampleur", tandis que l’espagnole Marìa Isabel Salinas Garcia et l’autrichienne Agnès Schierhuber ont respectivement jugé la réforme "disproportionnée" et "sans structure".
Parmi les rares défenseurs de la réforme, le directeur du Bureau européen des Unions de consommateurs (BEUC), Jim Murray a souligné que cette proposition met fin au dumping du sucre européen sur les marchés mondiaux. Il a aussi fait valoir que "les consommateurs ne devraient pas payer pour préserver une industrie du sucre dans 21 États membres alors que la production dans dix ou quinze pays serait suffisante". Les représentants du Comité des utilisateurs industriels du sucre, Alain Beaumont et David Zimmer ont estimé que la réforme était vraiment nécessaire car "les entreprises qui interviennent sur un marché concurrentiel doivent pouvoir acheter la matière première à un prix compétitif".

Cheval de Troie

Jean-Claude Fruteau a aussi dénoncé les carences évidentes de l’initiative "tout sauf les armes" (EBA) qui ne prévoit aucune mesure en cas de revente de sucre par des pays tiers à l’UE aux prix garantis par la Communauté européenne. Jean-Louis Barjol, de la Confédération européenne des producteurs de sucre, voit dans ces lacunes un "cheval de Troie" susceptible de ruiner l’industrie sucrière si aucune mesure n’ait prise. "Les dispositions de la réforme sur l’EBA doivent être revues", a insisté le Vert français Alain Lipietz.
Le représentant de l’Ile Maurice, Arvin Boolell et Derrick Heaven, président de l’Autorité de l’industrie sucrière de la Jamaïque ont défendu la cause des pays ACP. Ils ont rappelé que, sans un soutien substantiel de l’UE, les conséquences de la réforme seraient "désastreuses pour l’économie et pour le tissu social de leurs pays".
Stefan Tangerman, de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), est conscient pour sa part des pertes que devront subir certains pays ACP mais il estime qu’elles ne doivent pas faire obstacle à la réforme. Ces pays eux-mêmes pourraient en bénéficier, a-t-il fait valoir. "Les arrangements avec les ACP sont compréhensibles pour des raisons historiques mais ils rendent ces pays dépendants", a-t-il ajouté. La représentante de l’Australie, Alison Burrows, soutient elle aussi la réforme, d’autant plus que le système actuel n’est pas vraiment favorable aux pays en développement. Elle cite l’exemple de la Colombie, victime de la concurrence européenne, qui appelle la réforme de ses vœux.
"Toutes les commissions parlementaires vont évaluer sérieusement l’impact de la réforme mais si l’incertitude persiste sur son financement alors leur tâche ne sera pas facile", a mis en garde le président de la commission de l’Agriculture, Joseph Daul en concluant l’audition.

(Source : communiqué de la Commission de l’Agriculture du Parlement européen)


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