Le Parlement européen et la réforme de l’O.C.M. - Sucre

Coup d’envoi d’un long débat

2 décembre 2004

La réunion de travail d’avant-hier mardi à Bruxelles sur le projet de la réforme de l’OCM-Sucre amorce un processus de discussions, négociations voire de marchandages. Malgré de nombreuses et vives critiques, le représentant de la commission est resté inflexible. La réponse ambiguë sur les RUP - à mot couvert la possibilité d’une reconversion a été évoquée - laisse perplexe - Paul Vergès a demandé que les études d’impact social que Bruxelles compte mener soient étendues aux régions ultrapériphériques où il a souhaité que l’instance bruxelloise réponde à une exigence de cohésion dans sa politique.

(Pages 4 et 5)

C’est devant un hémicycle comble - signe de l’intérêt que représentait le sujet - que trois commissions du Parlement européen (Agriculture, Commerce et Développement régional) ont auditionné une douzaine de personnes sur le projet de réforme de l’Organisation communautaire du marché du sucre (OCM-Sucre).
Contrairement à ce que l’on pouvait penser, cette réunion ne constituait pas une réunion de travail interne au parlement mais une initiative originale pour faire le point sur "les inquiétudes et les espoirs" soulevés par le sujet. Outre une rapide présentation de la réforme par le représentant de la Commission, Bruno Buffaria, l’assistance a pu entendre des courtes interventions du rapporteur de la commission Agriculture, Jean-Claude Fruteau, du rapporteur du Comité économique et social européen, Rudolf Strasser. La parole fut aussi donnée à neuf experts. Les uns ont développé des aspects de la réforme liés à l’Europe elle-même. L’ambassadeur de la Jamaïque à Bruxelles a donné le point de vue des ACP tandis qu’un universitaire brésilien, le docteur Alexandre Rando Barros, a fourni des éléments sur la situation de la filière dans son pays. Le représentant d’une organisation non gouvernementale, OXFAM-International, est venu expliquer quelles seraient les conséquences de la réforme pour les pays en voie de développement.

Délégation réunionnaise

Organisée en deux demi-journées de travail, la rencontre s’est déroulée sur un schéma simple : 3 à 4 interventions suivies d’une séance à chaque fois de courtes questions et de courtes réponses, le tout s’achevant par une séance de conclusion finale. Une quarantaine de parlementaires dont Paul Vergès et Margie Sudre ont pu interpeller les intervenants et, plus particulièrement le représentant de la Commission.
Une délégation de professionnels réunionnais (Xavier Thieblin, Guy Dupont, Jean-François Moser, Jean-Bernard Hoarau, André Minatchy) et d’EuraDom a suivi la totalité des travaux.
De cette journée, que faut-il retenir ?

Éléments à retenir

D’abord des précisions quant au calendrier de travail du Parlement et celui de la Commission de Bruxelles. La commission de l’Agriculture du Parlement européen va continuer à débattre du projet de réforme jusqu’à mai/juin voire juillet avant de présenter un projet de résolution. La Commission, elle, pense pouvoir présenter une proposition de règlement en avril 2005. De fait, elle attend de connaître la décision finale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur la plante introduite par le Brésil. Le Conseil devrait pouvoir se prononcer avant la fin de l’année et la réforme entrerait en application en 2006. Certains intervenants ont souhaité qu’elle sont mise en œuvre après la campagne sucrière 2005/2006.
Au cours de son intervention, Bruno Buffaria fit une annonce qui surprit.
Afin de mieux préparer ses propositions législatives, la Commission va engager des études d’impact social et économique de la réforme. Des intervenants ont fait remarquer que la Commission aurait dû commencer par là avant de proposer sa réforme. Pour sa part, saisissant la balle au bond, Paul Vergès demande que la procédure soit étendue au RUP. Deuxième observation : le ton général était à la critique. Bruxelles fut accusé de manque de démocratie. Si une majorité se dégage pour dire que la réforme est nécessaire, c’est son contenu et ses conséquences qui sont discutés. On craint à la fois pour l’Europe, les pays ACP et les PMA.

Critiques et propositions

Les arguments pour contester le projet de réforme ont été nombreux et multiformes. La majorité des intervenants - à l’exception de l’universitaire brésilien, seul à se féliciter de l’initiative bruxelloise - et la quarantaine de députés qui sont intervenus dans le débat ont développé une large panoplie de critiques. Tous ont aussi fait des propositions pour une meilleure réforme possible.
Troisièmement, en réponse aux interpellations et aux critiques, le représentant de la Commission est resté ferme : il a défendu le projet de réforme et n’a fait aucune concession. Certes, Bruno Buffaria est un haut fonctionnaire de l’instance bruxelloise ; il n’a pas rang de commissaire et n’est sans doute pas habilité à élaborer publiquement des contre-propositions. Il n’en reste pas moins que sa maîtrise du dossier ainsi que son inflexibilité ont impressionné.
Mais nous ne sommes qu’au début d’un long débat qui s’amorce. Celui-ci durera toute l’année 2005. En conclusion de la journée, le président de la commission Agriculture, le député UMP français Joseph Daul, a fait deux propositions. D’une part, semer une réflexion qui va au-delà de 2008/2009, terme prévu de la réforme. D’autre part, rechercher des convergences avec les pays ACP et PMA pour proposer une plate-forme commune. Deux initiatives ajoutées aux résultats des études d’impact de la Commission à la décision finale de l’OMC sur la plainte du Brésil qui pourraient faire changer les choses d’ici la fin 2005.

J. M.


Fruteau souffle la question

Les premiers éléments de réponse du représentant de la Commission sur les RUP ont laissé perplexe. On a alors vu Jean-Claude Fruteau quitter sa place au premier rang, traverser tout l’hémicycle pour venir rencontrer Margie Sudre. Le député socialiste était venu demander à sa collègue de réagir aux propos de Bruno Buffaria et d’exprimer son insatisfaction. C’est ce que fit l’élue UMP.
L’entente passée au sommet entre la droite et le groupe socialiste pour co-diriger le Parlement européen venait de trouver une application particulière.
Question : pourquoi Margie Sudre n’a-t-elle pas eu la présence d’esprit de réagir ? Pourquoi Jean-Claude Fruteau ne l’a-t-il pas fait ?


Ne pas avoir d’illusions

De la rencontre qui a eu lieu, avant-hier à Bruxelles, il n’est sorti qu’une seule certitude : la route qui conduira à une décision définitive du Conseil est encore longue. Toute l’année 2005 devrait être occupée aux préparatifs et à l’élaboration de la réforme. C’est en tout le mérite de l’initiative qui a été prise par les trois commissions du Parlement européen d’avoir précisé le calendrier. On sait que la commission de l’Agriculture travaillera encore le sujet jusqu’à mars/avril avant de présenter un projet de résolution, tandis que la commission de Bruxelles attendra la décision finale de l’OMC sur la plainte du Brésil pour rédiger ses propositions législatives.

Pas de décisions définitives

En tout cas, contrairement à ce que certains pensaient, la rencontre des 3 commissions du Parlement n’a pas abouti à des décisions définitives. Les deux séances de travail, celle du matin et celle de l’après-midi, la multitude des exposés, la diversité des questions et les éléments de réponse qui ont été fournis ont permis d’aborder de nombreux aspects de la réforme. Il n’est pas certain, au bout du compte, que les inquiétudes nombreuses et multiples qui seront exprimées ont trouvé de quoi être apaisées.
La quarantaine de députés qui sont intervenus dans le débat ont multiplié les critiques sur tous les plans, ont abordé les problèmes des intérêts de leur pays, l’argument de l’un n’étant pas toujours celui de l’autre. Au départ, en septembre 2003, la commission avait proposé trois options possibles : le statu quo, une remise en cause radicale par la libéralisation totale du marché ou un compromis visant à réguler le marché. Aucune de ces solutions n’est acceptée et même celle retenue par Bruxelles, le compromis, est combattue. Si une majorité se dégage pour accepter le principe de la réforme, les critiques et les réserves sont nombreuses pour dire, ou qu’elle intervient trop tôt, ou qu’elle va trop loin, ou qu’elle va à l’encontre des intérêts des européens, des pays ACP ou des PMA liés à l’Europe.

Point de vue du Brésil

Une part des réponses aux inquiétudes qui se sont exprimées, pour ne pas dire l’avenir même de la réforme vont se jouer dans le dialogue qu’il y aura entre l’Union européenne et le Mercosur, le regroupement régional des pays de l’Amérique du Sud. Pour être plus précis encore, c’est dans la résolution des contradictions entre l’Union européenne et le Brésil que se dessineront à la fois les contours de la réforme et l’avenir de la filière européenne.
Le pays de Lula a joué tout au long des échanges de ce mardi le rôle de bouc émissaire. Il a été critiqué pour son absence de tout système de protection sociale dans le secteur sucrier et ailleurs, pour ses salaires dérisoires, les atteintes à l’environnement, les destructions de forêts par l’implantation de champs de cannes, son prix du sucre très bas, etc, etc... Il a été présenté comme le futur géant mondial du sucre. De nombreux intervenants ont indiqué qu’ils ne souhaitaient pas en arriver là. Malgré cette pluie de critiques, le représentant - non officiel - du Brésil a plaidé la cause de son pays en disant que pour sortir du sous-développement et effacer son héritage colonial, il se devait de développer le secteur où il est le plus performant et le plus compétitif. Mais surtout devant une assistance craintive quant à l’avenir de sa filière, il a tracé toutes les perspectives que le sucre ouvre à son pays : construction en cours de 22 usines, possibilité de produire 3 millions 840.000 tonnes de sucre en plus, développement de nouvelles technologies dans toute la chaîne de production du sucre, du champ à l’usine, développement innovant de production d’éthanol, etc, etc... Si le Brésil récupérait pour sa production la quantité de sucre que l’Europe devrait produire en moins, cela se traduirait par la mise au travail de 2,6 millions de Brésiliens qui sortiraient ainsi de la pauvreté. Sa démonstration a illustré l’affirmation comme quoi il n’y a qu’un seul pays au monde capable de produire de grosses quantités de sucre à un prix très bas.
Tout va donc se jouer dans le marchandage qui aura lieu entre l’Union européenne et le Brésil, le tout sur un arrière-fond d’idéologie ultra-libérale exacerbée.

Comment défendre les intérêts des RUP et de La Réunion ?

Dans ce grand jeu de contradictions à l’échelle mondiale, comment défendre au mieux les intérêts des RUP et de La Réunion ? Il ne faut pas se faire d’illusions : ce ne sera pas chose aisée. Le Réunionnais Jean-Claude Fruteau qui a été désigné rapporteur de la commission Agriculture du Parlement Européen va se retrouver dans une position inconfortable : participer concrètement à la définition d’une réforme de l’OMC-Sucre tout en défendant la production sucrière des RUP et de La Réunion.
Or, parmi ceux qui doivent s’interroger sur l’avenir de leur filière se retrouvent les régions ultra-périphériques.
À la clôture des débats, le représentant de la Commission, Bruno Buffaria a répondu à toutes les interpellations dont l’instance à laquelle il appartient a fait l’objet. Alors que Bruxelles avait essuyé tout au long de la journée une pluie de critiques, son délégué est resté inflexible. Il a diplomatiquement mais fermement dit que la réforme se fera à peu près dans les termes définis par la communication de Franz Fischler du 14 juillet dernier. Aux questions qui lui ont été posées à propos des RUP, Bruno Buffaria a commencé par des propos généraux sur les possibilités d’adaptation de niveau de production d’un État-membre : "je voudrais rappeler que nous sommes dans un marché unique et cette réforme doit être l’occasion de faire nettement entrer l’agriculture dans le monde unique. On ne peut donc pas avoir une approche État-membre par État-membre".

Études d’impact : pas de réponse

Ensuite, il a précisé sa pensée à propos des zones défavorisées, des garanties de production et l’approche de la “multifonctionnalité”. Il a déclaré exactement : "dans les traités ou les règlements où l’Union européenne a pris l’engagement d’une continuité de la production agricole, cet engagement ne portait pas sur une production agricole, cet engagement ne portait pas sur une production déterminée mais surtout sur la poursuite de l’activité agricole dans son ensemble. C’est également bien là le sens de la multifonctionnalité". Une réponse qui sous-entendait qu’en tant que zones défavorisées, les RUP devaient dans le cadre de la réforme se préparer à une reconversion. Des propos qui n’ont pas satisfait et qui a amené Margie Sudre a demandé des précisions. Bruno Buffaria à alors déclaré : "la situation des RUP est prise en compte par la Commission par la dérogation qu’on leur accorde dans le fait de pouvoir ne pas mettre en œuvre directement le “découplage” mais utiliser ces fonds là pour le développement économique global". Un complément de réponse qui n’a pas contribué à lever les ambiguïtés. Loin de là !
Il est aussi à noter que le représentant de la Commission n’a pas répondu à la demande de Paul Vergès d’étendre les études d’impact de la réforme aux RUP et à leurs conséquences sociales dans ces territoires. C’est sans doute parce que c’est le sujet qui fait le plus mal. C’est bien en mesurant en combien de chômeurs ou de érémistes va se traduire la réforme dans les RUP que l’on aura une idée du prix à payer.

J. M.


Quelle cohésion ?

Dans le cadre des débats organisées, les députés avaient la possibilité de poser une courte question. Paul Vergès a demandé les précisions suivantes :

"Ma question concerne les régions ultrapériphériques de l’Union européenne. Prenons le cas de La Réunion.
Premièrement, au nom du développement durable, l’Union européenne consacre depuis 40 ans le plus gros de ses investissements agricoles à la filière canne-sucre. Ses résultats sont éloquents : 1/3 de la production agricole finale, 25% de la production électrique, les 3/4 des exportations. Et au bout de 40 ans, on décide de diminuer les quotas et le prix.
Où est la cohésion de la politique européenne dans les régions ultrapériphériques ? Deuxièmement, la Commission peut-elle s’engager à ce que les études d’impact social qu’elle prévoit en 2005 comportent un volet adapté à la réalité des RUP ?
Troisièmement, s’agissant des interactions des régions ultrapériphériques, producteurs européens de sucre, ces RUP présentent une vulnérabilité particulière de part de leur voisinage avec les pays ACP et PMA. Quelle cohésion la Commission entend-elle établir entre la réforme de son marché du sucre, la révision des systèmes de préférence et des règles d’origine et les renégociations des accords partenarials ?"


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