38 millions d’euros de plus de l’État pour les industries sucrières outre-mer

Dernière occasion de sauver la filière canne-sucre

15 mai 2017, par Manuel Marchal

Le versement d’une aide annuelle d’État de 38 millions d’euros jusqu’en 2020 donne un sursis de trois ans à la filière canne-sucre. Cette période sera-t-elle utilisées pour créer les conditions nécessaires à la survie de ce secteur dans une économie mondialisée ? La canne à sucre assure un emploi à 18.000 personnes à La Réunion.

Le 12 décembre 2016, la Commission européenne a notifié à la France qu’elle validait le système d’aide d’État destiné à la filière canne-sucre des Outre-mer. Le décret transposant cette mesure dans le droit français a été publié le 10 mai au Journal officiel. C’est donc une des dernières mesures du quinquennat Hollande qui a été rendue publique par un communiqué du ministère des Outre-mer diffusé après que le gouvernement ait remis sa démission au président de la République. Il a donc fallu attendre 6 mois pour que cette question aussi importante soit traitée par Paris.

Un cadre pour 3 ans

Cette mesure fixe un cadre qui reste précaire pour la filière canne-sucre. Elle donne le droit à une subvention supplémentaire de 250 euros par tonne de sucre produite, alors que le différentiel de compétitivité avec le sucre fabriqué en Europe est estimé à 272 euros. Au total, les industriels des Outre-mer toucheront tous les ans 38 millions d’euros jusqu’en 2020, bien que les surcoûts estimés sont de 41,5 millions d’euros par an. La limitation de l’enveloppe a pour but d’éviter toute « surcompensation », écrit la Commission européenne dans sa décision. L’autorisation donnée à l’État va jusqu’en 2020, et court donc sur quatre campagnes sucrières. Si la Commission européenne a donné son accord, c’est parce qu’elle a des éléments qui lui permettent d’être sûre que la production sucrière n’augmentera pas dans les Outre-mer. Cela remet en cause l’objectif qui avait été longtemps affiché d’atteindre une récolte annuelle de 2,5 millions de tonnes de cannes à sucre, afin d’être capable de produire 300.000 tonnes de sucre pour arriver au niveau du quota alloué.

Augmenter le prix de la canne à sucre

Les discussions continuent de se poursuivre pour fixer le prix de la canne à sucre. La coupe doit commencer dans deux mois, et les revendications des planteurs se heurtent à celles des industriels. Les planteurs veulent en effet augmenter un prix de la canne à sucre qui n’a pas bougé depuis plus de 20 ans. Pendant cette période, le coût de la vie a connu une hausse, tout comme celui des produits nécessaires à la culture de la canne. Par ailleurs, le versement d’une recette bagasse de 12,30 euros par tonne de cannes livrée ne fait en effet pas partie de ce prix. C’est en effet une prime qui n’est pas payée par les industriels mais au final par les usagers d’EDF. Rappelons que pour leur part, les usiniers ne paient pas l’électricité et bénéficient également gratuitement de la vapeur en échange de la bagasse qu’ils envoient vers les centrales thermiques du Gol et de Bois-Rouge. Autrement dit, leur facture énergétique est prise en charge en grande partie. Ce n’est pas le cas des planteurs qui doivent passer à la caisse pour acheter le carburant de leurs véhicules.

Tout mettre sur la table

Dans cette négociation, les industriels disposent de tous les atouts. Ce sont en effet eux qui commercialisent le sucre. Ils connaissent donc la quantité de sucre qui leur a été commandée, et à quel prix. Dans l’industrie agro-alimentaire, les contrats d’approvisionnement courent souvent sur plusieurs années. C’est le cas notamment à côté de La Réunion, à Maurice. Les usines mauriciennes ont en effet la garantie d’écouler une partie de leur production à un prix garanti auprès de Crystal Union et British Sugar, deux concurrents de Tereos. De plus à Maurice, le Syndicat du sucre publie chaque année un rapport où sont détaillés les recettes obtenues pour chaque produit de la canne, avec même la répartition par pays vers lequel cette marchandise est exportée. Tereos Océan Indien, propriétaire des deux usines à La Réunion, met-il ces données sur la table ou demande-t-il à ses interlocuteurs de le croire sur parole ?

3 années décisives

Dans le monde, les besoins en sucre sont amenés à augmenter. C’est une des conséquences de la hausse de la population, et de la diffusion d’un mode de vie occidental dans d’anciennes colonies qui sont devenues des pays émergents, moteurs de la croissance économique mondiale. Dans ces conditions, le marché augmente. La fin des quotas permet aux usines européennes de produire à plein régime, mais sera-t-elle suffisante pour fermer toute possibilité de vente au sucre réunionnais ? Comment imaginer qu’avec ces conditions, il soit plus difficile de vendre du sucre dans le monde ?

L’application de la décision de la Commission européenne donne un sursis de trois ans à la filière canne-sucre. Rien ne dit que l’aide sera reconduite à partir de 2021, car les États de l’Union européenne vont entrer en négociation pour définir une nouvelle politique agricole commune. Cette PAC se fera dans un contexte inédit, marqué par le départ de la Grande-Bretagne. Le sursis accordé sera-t-il mis à profit pour imaginer un nouveau mode de commercialisation du sucre permettant de se passer de cette aide ?

Plus que jamais, la transparence sur les revenus tirés de la canne à sucre est nécessaire pour sauver une filière qui emploie 18.000 personnes à La Réunion.

M.M.

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