En pleine crise, un questionnaire adressé à des planteurs

Filière canne : enquête de l’Autorité de la concurrence sur la mélasse

5 juillet 2019, par Manuel Marchal

Des planteurs ont reçu un questionnaire de l’Autorité de la concurrence qui veut connaître quelle est la part des profits tirés de la mélasse, un co-produit de la canne, dans le prix de base de la canne payé par l’industriel au planteur. Cette enquête intervient alors que la filière constate que le montant correspondant à une aide compensatoire garantie par la signature de l’État n’a toujours pas été inscrit dans le projet de Budget 2020.

Pour une tonne de canne à sucre livrée, quelle est la part de la mélasse dans le prix de base payé par l’industriel ? C’est ce que cherche à savoir l’Autorité de la concurrence.

Avec le sucre et la bagasse valorisée en électricité, la mélasse transformée en alcool est un des principaux co-produit de la canne à sucre. C’est cette mélasse qui sert de matière première aux trois distilleries de La Réunion qui ont fabriqué en 2017 120000 hectolitres d’alcool pur (HAP). Selon la DAF, le chiffre d’affaires des trois distilleries est estimé à 38 millions d’euros dont 18 millions d’euros pour l’export. Cela correspond à plus de 10 % du chiffre d’affaires de la transformation du sucre, estimé à 240 millions d’euros en 2017.
Mais quelle est la part du planteur dans les bénéfices tirés de la transformation de la mélasse ? Une question à laquelle l’Autorité de la concurrence tente de répondre.
Le 5 octobre 2017, l’Autorité de la concurrence a été saisie « de pratiques mises en œuvre dans le secteur de l’approvisionnement en mélasse à La Réunion ». En conséquence, des planteurs ont reçu à la fin du mois dernier un questionnaire de l’Autorité de la concurrence à rendre d’ici le 12 juillet.

Formation du prix de la canne

Ainsi, ces planteurs sont invités à estimer la part moyenne des 7 éléments qui forment le prix de la canne : prix de base industriel, compléments de prix à la tonne de canne, complément de prix à la tonne de canne à 13,8 de richesse, recette bagasse énergie, variation du prix en fonction des évolutions du prix du sucre, prime de soutien à la compétitivité, prime de mécanisation et compensation du malus de mécanisation. Sur ce sujet, une réponse est possible par contre dès la suivante les choses se compliquent. L’Autorité de la concurrence semble vouloir faire la transparence sur la formation du prix de base, c’est-à-dire la somme versée par Tereos pour acheter une tonne de cannes à un planteur. Et se référant la Convention canne, elle précise que ce prix est fixe « en tenant compte de la recette sucre et mélasse des industriels et des aides compensatoires nationales et communautaires ». En effet, il est tout d’abord demandé de « préciser la part moyenne que représentent » les achats des sucrerie et « les aides compensatoires nationales dans le prix industriel de base », ce qui veut dire : quelle est la part des 28 millions d’euros de l’aide compensatoire à la suppression des quotas sucriers dans le prix de base.

Comment répondre ?

C’est ensuite que des planteurs se voient poser des questions sans avoir la possibilité d’y répondre. En effet, l’Autorité de la concurrence demande d’estimer comment ce prix de base payé par l’industriel « tient compte » de la recette mélasse. Elle veut savoir si la diminution ou l’augmentation de la recette mélasse « conduirait-elle à une diminution des revenus des planteurs ».
Enfin, l’Autorité de la concurrence veut des renseignements sur les conditions de la négociations du prix de base : quel cadre, quels acteurs, quelle procédure de révision, part des aides, comment est prise en compte la recette sucre et la recette mélasse des usines sucrières pour fixer le prix. En dernier point, l’Autorité de la concurrence demande s’il existe « un niveau de variation de la recette mélasse conduisant à la renégociation du prix industriel de base ».

Les planteurs ne pourront pas répondre aux questions demandant quelle est la part de la mélasse dans le prix de base, tout simplement parce qu’ils n’ont pas la possibilité d’accéder à cette information. Dans un document de la DAAF présenté lors du COSDA de mercredi, un graphique décomposant la recette totale du planteur sur la base d’une canne de richesse 13,8 ne fait pas apparaître une recette mélasse. Elle indique que l’industriel débourse 38,26 euros, dont 0,54 euros provenant des 28 millions d’aide d’État destinée à compenser le deficit de compétitivité lié à la suppression des quotas sucriers.
Le même document rappelle que la filière reçoit chaque année plus de 146 millions d’aides de l’État et de l’Europe. Sur cette somme, 41,8 millions d’euros sont versées à la production de canne à sucre, 6,9 millions d’euros pour le transport des cannes jusqu’à l’usine, et le reste, 97 millions d’euros, revient à Tereos.

Que faire sans les 28 millions ?

Il est à noter que cette enquête de l’Autorité de la concurrence arrive en pleine crise. Elle a été saisie le 5 octobre 2017, soit 5 jours après la fin des quotas sucriers qui a déclenché le versement d’une aide d’État annuelle de 28 millions d’euros pour compenser le deficit de compétitivité de la moitié de la production des usines sucrières réunionnaise par rapport aux usines de sucre de betterave située en Europe, le marché du sucre réunionnais.
Ensuite, le questionnaire de l’Autorité de la concurrence a été adressé à des planteurs un mois après que Tereos ait alerté le gouvernement sur la non-inscription de l’aide annuelle de 38 millions, dont 28 millions pour La Réunion, dans le budget 2020.
La semaine dernière lors de la conférence de presse de la Production locale réunie, Philippe Labro, président de Tereos Océan Indien, a annoncé que si l’aide n’était pas versée comme écrit dans la Convention canne, alors soit Tereos déduirait 28 millions du prix d’achat des cannes aux planteurs (ce qui correspondrait à une baisse de 14 euros par tonne en cas de récolte de 2 millions de tonnes de cannes - NDLR), soit il fermerait les deux usines sucrières de La Réunion l’année prochaine.
Après plusieurs semaines de grèves et de manifestation en 2017, Tereos a dû partager une partie des 28 millions d’euros, c’est le « soutien à la compétitivité » de 0,54 euros par tonne, soit près de 6 millions en cas de récolte de 2 millions de tonnes de cannes. Dans ce cas, c’est donc un peu plus de 75 % de cette aide qui serait défalquée, soit environ 10,50 euros.

Pression sur l’industriel ou les distilleries ?

Lors du COSDA de mercredi, Philippe Simon, directeur de l’Agriculture et de la Forêt, a indiqué que les comptes de l’industriel sont soigneusement examinés chaque année. Manifestement, la question de la vente de la mélasse produite par Tereos à partir des cannes des planteurs nécessite des précisions qui sont demandées par l’intermédiaire de l’Autorité de la concurrence. Finalement, le but de cette enquête n’est-il pas de démontrer qu’un partage différent des richesses tirées de la canne permettrait à l’État de ne pas avoir à verser une aide compensatoire, puisque la compensation pourrait être financée par une revalorisation de la part d’un produit comme la mélasse dans le revenu des planteurs ?
Dans son bras de fer engagé avec Tereos, le gouvernement chercherait-il à trouver un moyen de faire financer par l’industriel ou les distilleries le différentiel équivalent au montant de la subvention de 28 millions d’euros ?

M.M.

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