Xavier Thiéblin, président-directeur général du Groupe Quartier-Français :

’L’État français pourra compléter le dispositif de Bruxelles’

18 juillet 2005

’Devant une baisse forte du prix du sucre, il faudra une compensation qui soit la plus élevée possible, c’est un dossier à plaider surtout auprès du gouvernement français’, estime le PDG du Groupe Quartier Français. Pour l’industriel, ’nous sommes toujours dans la course’, ’tant que ce n’est pas fini, il faut rester unis’, ajoute-t-il, précisant que la mobilisation doit être unitaire pour préserver notre filière canne des conséquences de la réforme de l’OCM-Sucre.

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o À l’heure où nous parlons, la solidarité planteurs/usiniers a-t-elle encore un sens pour vous et jusqu’où irez-vous pour la mettre en œuvre ?

- Je suis surpris de la question car j’en reste au contenu de la dernière CPCS. Je reste sur une démarche totalement unitaire et mobilisée. C’était le thème dominant à la dernière Commission paritaire. C’est le thème général et c’est le seul moyen de défendre positivement les intérêts de La Réunion et des DOM. Le même thème est repris aux Antilles, en particulier à la Guadeloupe, très présente. Au-delà des coups de pique des uns et des autres, globalement, vis-à-vis de Paris et de Bruxelles, l’intérêt de La Réunion est de jouer groupés. Je reviens de Bruxelles où avaient lieu les auditions du parlement*. Nos députés étaient présents et nous avons entendu une intervention de la CIBE (Confédération internationale des betteraviers européens), une aussi de la Confédération des organisations agricoles européennes (COPA). Il y a des différences d’approche, mais le discours est le même.

o À propos de discours, celui des dirigeants de la FDSEA lors de la dernière assemblée générale laissait entendre que des calculs ont déjà été faits quant à une baisse du prix de la tonne de canne... D’où la question sur la solidarité.

- Je respecte la FDSEA, qui est un syndicat et qui fait ce qu’il veut. Les seuls chiffres officiels sont pour moi ceux donnés lors de la CPCS du 8 juillet par M. Chaud, du bureau sucre du Ministère de l’Agriculture. Il est trop tôt pour parler de la tonne de cannes, dont le prix dépend d’un accord interprofessionnel. Bruxelles a fixé le prix du sucre - 59,2 millions d’euros, rajoutés au POSEIDOM - en disant : “à vous de présenter votre plan de restructuration de la filière”.
Le souci de La Réunion est de chercher comment augmenter le financement de Bruxelles. Et comment, après novembre 2005, si le Conseil fait des propositions de Mme Fischer Boël un règlement définitif, trouver à ce moment-là les moyens de continuer l’activité canne-sucre.
Donc, pour nous, cela peut être résumé en deux points.
1) Comment améliorer le dispositif de Bruxelles ?
2) Tirer les conséquences avec le gouvernement français en tenant compte du changement de décor.

o Sur ces deux points, où en êtes-vous, à ce stade de la réforme ?

- Sur les dispositifs de Bruxelles, le gouvernement français réfléchit à un changement de références pour le calcul de l’aide à l’écoulement. Si celui-ci a pu sembler normal à Bruxelles, il est catastrophique pour La Réunion en raison notamment de son éloignement. La France doit négocier avec les autres pays un accord sur un règlement définitif, qui n’est pas forcément favorable à l’outre-mer. Mais là-dessus, nous avons bon espoir. Entre les 23 millions d’euros d’exécution budgétaire pour l’aide à l’écoulement 2004 et les 15 millions d’euros de 2001 pour l’ensemble des DOM, la France peut batailler à la marge pour modifier les références. Le deuxième problème concerne la compensation de 44 millions d’euros. Je ne sais pas si la France a des capacités de négociations avec les autres pays, déjà un peu jaloux du traitement réservé aux DOM français. Ces pays ont constaté que la Commission avait moins d’état d’âme devant une diminution de 4 à 5 millions de tonnes de leur production de betterave. Pour les DOM, c’est déjà une exception liée à la mobilisation générale. C’est pour cela que, de mon point de vue, tant que ce n’est pas fini, il faut rester unis.

o Pensez-vous vraiment qu’il y a encore quelque chose à attendre de Bruxelles ? Tout n’a-t-il pas déjà été dit ?

- Techniquement, tout peut arriver : des baisses de prix moins fortes, un étalement plus large... et jusqu’à une modification importante de la gestion des importations de sucre des PMA dans l’espace communautaire, d’ici à novembre 2005. Aujourd’hui, il n’y a pas de majorité qualifiée dans la Commission pour faire passer la réforme. La Commission et les états membres devront se trouver une majorité pour faire passer la réforme en novembre 2005. Car si elle ne passe pas, nous risquons le pire, c’est-à-dire de donner le feu vert aux libéraux. Je pense que la France peut continuer à défendre le dossier des DOM comme elle défend avec vigueur le dossier des ACP.

o L’inquiétude des petits planteurs, ici, tient à “l’effet de ciseaux” de la réforme qu’a décrit le président de la Région en conférence de presse. Quand vous dites que “techniquement tout est possible”, eux ne voient rien qui les mettrait à l’abri...

- Depuis vingt ans, l’ensemble des régimes agricoles en Europe est soumis à cette logique économique. Le prix du sucre est bloqué depuis quinze ans. Il y aura probablement à revoir des dispositifs, à accélérer des réformes, c’est clair. Mais tout le monde travaille et fait des gains de productivité. L’“effet de ciseaux” existe partout. C’est vrai que, devant une baisse forte du prix du sucre, il faudra une compensation qui soit la plus élevée possible ; c’est un dossier à plaider surtout auprès du gouvernement français. Je pense qu’une marge existe, qui permettra de trouver dans les textes les aménagements nécessaires. On parle beaucoup de “renationalisation” de l’Agriculture. M. Baroin devrait le dire la semaine prochaine (ces mardi et mercredi - NDLR) : l’État français pourra compléter le dispositif de Bruxelles.

o Dans les aménagements que vous évoquez, est-ce qu’un nouveau partage des sous-produits de la canne n’aurait pas sa place ?

- Les sous-produits de la canne, j’en entends parler depuis 1970, depuis que je suis à La Réunion. La question a été tranchée en 1969 mais c’est un débat récurrent. Pour moi, c’est un débat culturel et il n’est pas à l’ordre du jour.

o Y a-t-il autre chose que vous voulez souligner ?

- Ce qui ma fait plaisir, au parlement à Bruxelles, c’est que j’ai senti les parlementaires beaucoup plus mobilisés qu’il y a quelque temps. J’ai revu M. Joseph Daul (président de la commission Agriculture au parlement européen - NDLR) et il m’a dit qu’ils sont prêts à batailler avec la Commission et même avec le ministre britannique au sujet de la PAC. Il faut se mobiliser. C’est comme un concours d’obstacles. Tant qu’on n’a pas passé toutes les barrières, on ne peut pas dire qu’on est arrivé. Mais jusqu’à présent, nous sommes toujours dans la course.

Propos recueillis par téléphone par P. David, le 15 juillet 2005

* audition publique organisée conjointement par les commissions de l’Agriculture, du Commerce international et du Développement du Parlement européen.


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