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par le Dr Raymond Vergès

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L’inquiétude grandit à La Réunion

Projet de réforme de l’OCM-Sucre

lundi 26 juillet 2004

"On nous dit que les DOM seront considérés comme les autres pays membres et à ce moment-là, il n’y aura plus de différence entre le sucre réunionnais et le sucre des autres États. Puis, on précise par ailleurs que les Régions ultrapériphériques bénéficieront d’un traitement spécial. (...) De même, on nous parle d’une indemnité compensatoire de 27 millions d’euros, puis de 37 millions d’euros. Sur les 27 millions, 12 millions iraient aux industriels. Il resterait ainsi 15 millions pour la profession. Cela compenserait la baisse des revenus de l’ordre de 60%. Et comment combler les 40% restants ? On ne sait pas non plus si M. Fischler va tenir compte des aides que les agriculteurs perçoivent déjà... Franchement, c’est le flou total. Nous nageons en pleine mélasse", a déclaré le président de la Chambre verte.

Discours étonnant

Ce dernier s’inquiète à la fois du montant des aides compensatoires mais aussi de sa répartition entre industriels et planteurs. Guy Derand renvoie alors sur les politiques réunionnais la responsabilité de son désarroi. Il déclare ne pas comprendre les prises de position divergentes des deux députés européens Jean-Claude Fruteau et Paul Vergès. Il appelle les élus à cesser "leur manège politicien" et à "se serrer les coudes" pour défendre ensemble la filière. Discours étonnant de la part d’un élu consulaire issu d’un milieu où les querelles de chapelles sont malheureusement monnaie courante !
Toujours est-il que Guy Derand annonce qu’il a pris une initiative politique : une demande a été faite à la présidente du Conseil général de prendre l’initiative d’une délégation de professionnels accompagnés par les parlementaires européens qui se rendrait à Bruxelles pour obtenir des éclaircissements ainsi que de plus amples garanties.
Il est clair que la position du président de la Chambre d’agriculture a évolué avec le temps. En affirmant se prononcer "à froid et à tête reposée" et après avoir bénéficié de concours d’experts, Guy Derand met implicitement en cause sa première réaction faite à chaud, il y a tout juste une semaine. Le président de la Chambre verte se montrait alors mesurément optimiste. Il estimait que "Franz Fischler a fait des propositions plafond pour se garder une marge à la baisse lors des prochaines négociations". "Le fait que les RUP européennes, y compris les DOM, sont cités d’emblée nous laisse un espoir. Tout est permis", déclarait le 14 juillet dernier le président de la Chambre.

Fruteau n’est plus rassuré

Plus significative encore est l’évolution constatée dans les prises de position de Jean-Claude Fruteau. Le député socialiste avait été le premier à s’exprimer. Il s’était "félicité” des propositions Fischler. Après avoir rencontré le commissaire européen, il y a 3 ou 4 jours, il était moins rassuré : "si la proposition de la Commission restait en l’état, les prix devraient chuter de 37% d’ici 2008, ce qui est inacceptable pour nos planteurs", aurait-il déclaré.
Plusieurs observateurs avaient insisté sur les nombreuses interrogations que laissait planer le projet de réforme ainsi que de la nécessité de mieux s’informer pour déterminer la démarche à prendre. Revenus de leurs premières réactions - quasi-euphoriques pour l’un et modérément optimistes pour l’autre -, Jean-Claude Fruteau comme Guy Derand donnent désormais la nette impression de mieux intégrer la complexité des données et les incertitudes que contiennent les propositions Fischler.

Quels interlocuteurs ?

En décidant d’interpeller le commissaire européen, comme l’a fait Jean-Claude Fruteau ou en proposant l’envoi d’une délation comme l’a proposé Guy Derand, les deux hommes se trompent manifestement d’interlocuteur. Non pas du seul fait que Franz Fischler ne sera certainement plus commissaire à l’agriculture d’ici novembre mais plus encore parce que le projet de réforme n’est plus du ressort de la Commission.
En effet, depuis le 14 juillet, l’avenir de l’OCM-Sucre va dépendre de l’avis que donnera le Parlement européen sur le texte présenté par la Commission et de la décision du Conseil des ministres des pays membres et donc du gouvernement français. Pour être efficaces, c’est donc à ces deux instances qu’il faut s’adresser, c’est vers elles qu’il faut faire converger les efforts. Avec ceci de particulier que l’accord signé entre le groupe socialiste et celui de la droite pour une direction commune du Parlement européen donne à Jean-Claude Fruteau et à Margie Sudre de larges marges manœuvres pour agir dans l’intérêt de La Réunion. Il leur suffit de convaincre les députés de leur groupe respectif du bien-fondé de leurs demandes. On verra s’ils pourront le faire à propos de la réforme de l’OCM-Sucre.
Quant à agir auprès du gouvernement, c’est la principale proposition qui est sortie de la réunion qui s’est tenue au Conseil régional, le 17 juillet dernier tandis que Hervé Gaymard, ministre de l’Agriculture qu’avaient rencontré Paul Vergès et Nassimah Dindar, avait convenu avec ses interlocuteurs du bien-fondé des initiatives à prendre pour des solutions partagées.


Réforme de l’OCM-Sucre

Michel Vergoz sans vision stratégique

Michel Vergoz, comme les autres dirigeants de la fédération socialiste de La Réunion, aiment à répéter qu’ils appartiennent à un grand parti, sinon le plus grand de France. Le secrétaire fédéral est un membre de la direction de ce parti, il appartient à son Conseil national. Ce rattachement des socialistes locaux à une formation métropolitaine leur a servi d’argument de campagne aux régionales et aux européennes.
Aussi, lorsque Michel Vergoz aborde le sujet de la réforme de l’OCM-Sucre, on était en droit d’attendre de lui qu’il nous donne l’analyse d’un dirigeant de grand parti, qu’il nous en donne une vision stratégique : comment, selon lui, la proposition de la Commission s’intègre-t-elle dans l’évolution globale du marché du sucre et dans le contexte de la mondialisation ?
À partir de cette analyse, on aurait apprécié qu’il en tire les implications pour La Réunion. Or, on commence à peine à comprendre les enjeux de la réforme. Pour sa part, le quotidien “Le Monde” analyse la proposition de la Commission comme la mise en œuvre d’un processus de concentration : la production sucrière européenne devrait, à terme, se faire dans trois pays, l’Allemagne, la France et la Pologne. Bruxelles étendrait à la betterave la même politique appliquée dans d’autres secteurs, comme la métallurgie ou la construction navale.
Quelle est l’analyse de Michel Vergoz sur l’ensemble du processus ? Selon ce que rapportent “le Quotidien” et “le JIR”, le dirigeant socialiste s’est contenté de livrer un succinct exposé sur les aspects de la réforme propres aux RUP. (1) Il ne s’est même pas interrogé sur ces points. Les premières observations notent pourtant des interrogations portant sur le contenu précis de ces mesures, leur financement, leurs modalités d’application et leur durée.

Vergoz fait dans la proximité

Incapable de nous fournir une vision stratégique sur un problème essentiel, Michel Vergoz a préféré faire dans la proximité. Dans un larmoyant “mea culpa” - "nous sommes tous responsables" -, où tout le monde est mis au même niveau - Bruxelles, Paris, les Réunionnais -, le dirigeant socialiste a décidé de "casser du sucre sur le dos du Conseil général et du Conseil régional", comme l’écrit “le JIR”.
De sa reconnaissance de culpabilité collective, on retiendra que le secrétaire du PS gomme ses propres responsabilités et celles de ses amis politiques. Lorsque, par exemple, il met en avant le basculement des eaux, que dira Michel Vergoz le jour où un de ses détracteurs lui fera remarquer que l’essentiel de ce dossier a été traité sous la responsabilité de la commission agriculture du Département et à une époque où celle-ci était présidée par l’ancien conseiller général de Sainte-Rose ?
Pour accentuer sa démarche, pour se distinguer un peu plus des autres politiques réunionnais, Michel Vergoz fait le “dégoûté” devant une photo montrant côte-à-côte le ministre de l’Agriculture, le président du Conseil régional et la présidente du Conseil général. Le hic est que le même jour où Michel Vergoz portait une telle appréciation négative, le Parlement européen portait à sa tête un président socialiste, cela suite à un accord passé entre le groupe de droite et le groupe socialiste.
Au sein de ce groupe, les socialistes français sont les plus nombreux et ils ont refusé tout autre accord alternatif. Où est la cohérence ? Où est la morale s’il devait en avoir une ? Serait-il “politiquement correct” de gérer avec la droite - considérée comme étant la plus réactionnaire - une institution européenne, et “politiquement incorrect” d’unir les efforts des Réunionnais pour défendre la filière canne ?
Il se trouve que Michel Vergoz n’est pas au diapason avec Jean-Claude Fruteau. Après avoir été le premier à se féliciter des propositions de Bruxelles, le député européen fait marche arrière et vient de faire connaître son scepticisme : "si la proposition de la Commission restait en l’état, les prix devraient chuter de 37% d’ici 2008, ce qui est inacceptable pour nos planteurs", vient-il de déclarer.
Il y a-t-il un partage des rôles entre l’élu et le responsable politique ? Ou, plus prosaïquement, n’y-a-t-il pas chez le dernier une sous-estimation, une déficience dans l’analyse ?
En refusant toute vision stratégique, Michel Vergoz méconnaît des données essentielles. Le président de la Chambre d’agriculture le rappelait lors de sa dernière conférence de presse : "le prix de la tonne de canne n’a pas bougé depuis 15 ans". Il aurait pu ajouter : du fait des instances européennes. C’est en tout cas un facteur qui a beaucoup influé sur l’évolution de la filière.
Michel Vergoz donne l’impression de l’ignorer en préférant polémiquer sur des aspects purement locaux. Ceci pour le passif. Quant aux perspectives, que se passerait-il si, comme le craint Jean-Claude Fruteau, les prix devaient baisser de 37%, d’ici 2008 ?
L’ancien maire de Sainte-Rose croit-il sincèrement que la solution se trouverait alors dans une meilleure approche foncière de la route des Tamarins, ou dans celle du basculement ? Nous l’avons déjà dit : c’est regarder le problème par le petit bout de la lorgnette.
Chacun appréciera le niveau auquel le secrétaire de la fédération du PS aura décidé de mener le débat. En tout cas, on n’a jamais vu François Hollande aborder un problème d’intérêt national en faisant des polémiques qu’il pourrait entretenir à Tulle, sa ville d’origine, le cœur même du débat.

(1) “Témoignages” n’a pas été invité à la dernière conférence de presse du PS et n’a pas reçu le document établi par Michel Vergoz sur la question de la réforme de l’OCM-Sucre.


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