Indemnisations de Diwa : les agriculteurs devant la Préfecture

’La situasion la tro duré’

28 août 2006

Huit mois après la tempête tropicale Diwa, les 900 agriculteurs sinistrés n’ont toujours perçu aucune indemnisation. Chikungunya et fortes pluies : par manque de trésorerie, leur activité est menacée. La CGPER revient encore à la charge pour rappeler l’urgence et réclamer les fonds. Hier matin, une centaine de maraîchers et éleveurs venus des quatre coins de l’île s’est rendue à la Préfecture pour y déposer une motion, souhaitant vivement que François Baroin ne vienne pas à La Réunion les mains vides.

La tempête tropicale Diwa et les fortes pluies de février ont fortement endommagé les exploitations des agriculteurs réunionnais. En mars 2006, le Comité départemental d’expertise agricole estimait les pertes à 22,5 millions d’euros, principalement dans les filières maraîchères, fleurs coupées, géranium, élevage et arboriculture fruitière. 900 dossiers sont bloqués à la DAF (Direction de l’Agriculture et de la Forêt).

Où sont les fonds ?

En plus de la perte totale de leur production, dans certaines zones, les agriculteurs ont également perdu leur outil de travail. En raison de l’érosion engendrée par les pluies, certaines exploitations sont devenues impraticables et attendent les indemnisations pour être réaménagées. Certains éleveurs n’ont plus de chemin d’exploitation, d’autres agriculteurs n’ont pas la trésorerie pour semer de nouveaux plants... "En plus du chikungunya qui a engendré une baisse de près de 30% de leurs ventes sur le marché forain, et avec les fortes pluies, les agriculteurs n’ont plus de trésorerie". Jean-Yves Minatchy, Président de la CGPER, parle d’une situation de détresse et d’urgence pour les exploitants maraîchers et éleveurs "sous estimée par les autorités locales". La campagne sucrière a débuté, mais bon nombre de chemins d’exploitation restent encore impraticables. De plus, le Président de la CGPER rappelle aussi que la forte sécheresse dans le Sud a gravement touché les cultivateurs de canne. "Certains n’ont rien pour récolter. Ils amènent à l’usine des cannes de 30 à 40 centimètres, les feuilles avec. Il faut une aide d’urgence".

Indemnisations plus rapides en Métropole

Le 18 avril 2006, lors d’une manifestation de la CGPER à la DAF de Saint-Denis, le Ministre de l’Outre-mer, François Baroin, avait assuré les agriculteurs que les indemnisations interviendraient d’ici quelques semaines. En juillet, la CGPER est à nouveau intervenue auprès de la DAF pour que les 900 dossiers soient instruits et régularisés dans les meilleurs délais, pour une indemnisation de 35% de pertes de fonds et 30% pour les pertes de récolte. Son Président avait alors assuré que si rien n’était fait rapidement pour porter secours aux agriculteurs sinistrés, "on reviendrait à la charge". Après de multiples démarches auprès des autorités, des conférences de presse organisées dans le Nord, l’Ouest et le Sud de l’île, la CGPER a transmis voilà 15 jours une lettre au Ministre de l’Outre-mer pour rappeler la gravité de la situation et le renvoyer à ses engagements.Ce rassemblement devant la Préfecture hier matin "sé pa in kou d’tèt. La situasion la tro dur. 900 agriculteurs lé touchés et toujours pas indemnisés 8 mois après Diwa. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Dans l’Hexagone, en cas de sécheresse, on constate que les indemnités sont versées deux à trois mois après maximum. Ici, huit mois après, toujours rien. On espère que Baroin vient avec quelque chose dans la main".


Pour la suppression de la taxe foncière non bâtie

Écart de charge énorme

À La Réunion, le montant de la Taxe Foncière Non Bâtie (TFNB) qui concerne 5.600 exploitants est l’un des plus élevés d’Europe avec une moyenne de 200 euros / ha contre 60 euros / ha. La CGPER demande à nouveau la suppression de cette charge pour permettre de baisser les coûts de production et de soutenir les jeunes agriculteurs.

"I fo i swa suprimé !"

Voilà 4 ans que la CGPER propose l’annulation de cette taxe pour les agriculteurs. En 2004, le Président Chirac se déclarait favorable à cette proposition, puis l’année suivante, le Premier ministre annonçait une diminution de 20% de son montant pour les exploitants agricoles. Selon le Ministre de l’Agriculture Dominique Bussereau, lors de sa visite en décembre 2005, cet allégement devait aussi valoir pour La Réunion. Alors que l’année touche à sa fin, la charge reste entière pour les agriculteurs locaux. La CGPER a donc remis une motion hier à la Préfecture, demandant la suppression pure et simple de la TFNB dès 2007 pour les petites et moyennes exploitations de La Réunion. Jean-Yves Minatchy précise que son montant est "surévalué". Il est en effet calculé en fonction de la surface totale détenue par le propriétaire, alors qu’à La Réunion, "le relief escarpé et accidenté, la forte pierrosité rendent certaines zones improductives". Si les pouvoirs publics veulent soutenir le dynamisme de l’agriculture réunionnaise, accompagner la reprise des exploitations par les jeunes, pour la CGPER, cette taxe doit sauter. "Nos handicaps lé reconnu par l’Europe, nou sé inn RUP... I fo i swa suprimé !".

S. L.


Témoignages

o Annie, exploitante maraîchère et de canne à Saint-Louis

"I promé, i promé..."

Annie est en colère. Avec les fortes pluies, le vent, elle et son mari ont perdu "presque la totalité" de leur production qui s’étend sur 10 hectares. "Sat té pa sou sèr la pa giny sové", déplore l’agricultrice. Si elle a fait le chemin jusqu’à Saint-Denis, soutenue par la CGPER en qui elle place toute sa confiance, ce n’est pas pour rendre une visite de courtoisie au nouveau Préfet, Paul-Henry Maccioni. Non, c’est qu’il y a urgence. "I promé, i promé, soman nou atann touzour, zamé i ariv (...). Si nou vien la, sé nou la bezoin". Quant à savoir si elle espère une intervention efficace du nouveau Préfet : "Si li sé inn réyioné, mi espèr li va komprann anou".

o Victoire Sergio, exploitant maraîcher et fruitier à Salazie

"Nou na pu pou kontinié. Koman nou fé ?"

Victoire dénonce l’incapacité des autorités alors que de nombreuses exploitations sont en sursis. "Pour percevoir les indemnités de Diwa, on nous demande des factures acquittées alors que nous n’avons plus de trésorerie pour pouvoir remettre en état les terres et acheter de nouveaux plants". Le préjudice est reconnu pour 900 exploitants, mais les fonds ne leur sont toujours pas versés. "Soi-disant que les dossiers ont déjà été traités par la DAF, mais on nous dit qu’il n’y a pas d’enveloppe. Nou na pu pou kontinié. Koman nou fé ?". À ses côtés, Robert Alix, agriculteur à la Plaine des Cafres, promet que "si lé zèd vien pa, nou va pass érémist. Nou na pwin inn salèr fix, nou giny mèm pa le SMIC. Alor la, i fo mèm pa esèy kompté... na pwin di tou". Puis Victoire rappelle que cette situation ne pénalise pas seulement les agriculteurs mais aussi les consommateurs. "Il faudrait mettre en place une enveloppe en début d’année pour, en cas de fortes pluies ou de cyclone, permettre une relance rapide des exploitations pour éviter la flambée des prix".

o Roger Gonthier, agriculteur retraité de Petite-Île

"Astèr, i travay pou pèy krédi"

Seul, assis sur un bout de muret face aux grilles de la Préfecture, Roger Gonthier, pensif, admet que "toute chose koméla lé pa fasil". À 71 ans, il a transmis ses 3 hectares d’exploitation maraîchère et canne à son fils pour prendre sa retraite, un peu forcée il faut bien le dire, car le travail de la terre, c’est toute sa vie. "Mi trouv touzour inn afèr pou fé, inn bou zèrb pou arashé. Tou lé zour mi kontinué alé dann lé shan", nous explique l’homme alerte qui accueille notre curiosité avec plaisir. Roger Gonthier n’a jamais posé un pied à l’école. Il a commencé le travail de la terre dès l’âge de 5 ans et ne l’a plus quitté. Bien qu’il ne sache pas lire, la vie lui a appris à compter. "Dann mon tan, navé pwin rien. Dans les années 70, i falé déjà un apport pour acheter quelque chose. Astèr, i travay pou pèy krédi". Les propriétaires faisaient du chantage au vote pour laisser cultiver leurs terres. "Si ou vot pa pou mwin, ou giny pa travay, explique Roger. Lontan i soisisé pou nou, soman mwin mi voulé èt lib". Alors il a travaillé et travaillé encore pour mettre un peu d’argent de côté et acheter sa propre terre à crédit. Un crédit qu’il a mis toute une vie à payer. "Tout ma vi mwin la batay pou donn in outil pou mon fils. Zordi mwin la nu la pou aport ali inn soutien". Et l’année est mauvaise sur l’exploitation Gonthier qui enregistre 20% de pertes. À cause de la sécheresse, la canne n’a pas poussé, aucun rendement. À cela s’ajoute le maraîchage sur le marché qui pose toujours problème avec des vendeurs qui proposent leurs produits avant l’heure autorisée. "Fo na d’respé inn pe. Mèr, politik, lé in pe menteur, i fé pa réspèkt la lwa". Roger Gonthier ne se plaint guère plus de son sort. Sa maigre retraite lui suffit car il a besoin de peu, mais on peut comprendre qu’il souhaite de meilleures conditions pour son fils et ses petits-enfants.


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus