Tous les soutiens institutionnels de la “filière canne” avaient rendez-vous avec les professionnels de la canne, lundi, sur la plateforme des “Tamarins”, à l’Hermitage, où le pôle Ouest du Centre d’Essai de Recherche et de Formation (CERF) a expérimenté une nouvelle variété. De son vrai nom R 92/4031, parce que l’hybridation (le métissage génétique) a eu lieu il y a déjà 15 ans, cette nouvelle variété est la 583e "libérée" par le CERF, ce qui veut dire qu’elle sort de la phase de contrôle technique pour être mise gratuitement à la disposition des planteurs.

Actuellement, les planteurs de la zone des hauts sous le vent cultivent principalement la R 577, tandis que la R 570 - autre variété réunionnaise - est plus adaptée à la zone littorale et s’est également beaucoup exportée. Par rapport aux résultats de la R 577, les tests réalisés par le CERF sur la R 583 promettent un tonnage supérieur de 27% et un taux de richesse en sucre de +5%, mais uniquement dans sa zone d’adaptation car en basse altitude, elle a de mauvais résultats en richesse.

Résistante à la sécheresse

Les planteurs qui l’ont reçue en phase d’expérimentation lui ont trouvé de solides qualités, à commencer par sa capacité de résistance à la sécheresse, ce qui est le lot des exploitations des hauts de l’Ouest, qui vont attendre encore plusieurs années le transfert promis des eaux de l’Est vers l’Ouest.
La présidente du Conseil général, Nassimah Dindar, a évoqué le chantier du transfert et la reprise des travaux au tunnelier à partir de janvier 2009, en souhaitant aux acteurs « la pérennisation de la filière et une meilleure rentabilité ». S’exprimant sur la compétence du Département dans le soutien aux filières agricoles, elle a refusé « d’opposer le développement de la canne à la consolidation des autres filières (fruitières notamment) ». Avec elle, parmi les partenaires institutionnels : le préfet, le président du Conseil régional, le président de la Chambre d’agriculture et un élu représentant le maire de Saint-Paul.
Jean-François Moser, représentant les industriels du sucre et, à ce titre, président du CERF, recevait également le président de Tereos, groupe sucrier français présent dans les deux usines sucrières de La Réunion.
Bernard Siegmund, actuel directeur du CERF, était entouré de deux de ses prédécesseurs - Michel Hoarau et Mick Hellmann - et des deux jeunes techniciens sélectionneurs qui ont travaillé à l’émergence de la R 583, Audrey Thong-Chane et Laurent Barau.
« Cette variété arrive au bon moment » a estimé Jean-Yves Minatchy, président de la Chambre d’agriculture qui, tout en rappelant que « la canne, ce n’est pas seulement le sucre », a souligné ce qu’il est convenu d’appeler la multifonctionnalité de cette graminée, à savoir son rôle économique, social et dans l’aménagement du territoire. « Allons de l’avant... augmentons la production ! » a-t-il lancé aux planteurs présents.
Emmanuel Séraphin, élu Saint-Paulois, a rappelé le rôle historique de la canne dans cette commune de l’Ouest et l’importance de quelques pionniers, tels Emile Hugot, fondateur de la distillerie de Savannah.

Sauver la canne du sort du géranium

Rappelant l’implication de la collectivité régionale dans la recherche, l’aménagement du territoire et le développement économique, Paul Vergès a évoqué le rôle structurant de la culture sucrière dans l’histoire de l’île. Mais il a surtout alerté les planteurs présents. « Nous devons tirer les leçons de l’histoire » a-t-il dit en les ramenant près d’un demi-siècle en arrière. « 1961. 13 usines. 23.000 livreurs de cannes et une production record de 261.000 tonnes de sucre ». Et 5000 planteurs de géranium et vétiver ruinés par les évolutions du marché mondial ! « Cela ne doit pas se renouveler avec la canne » a-t-il dit, après avoir rappelé le rendez-vous de 2014 (fin de la période d’adaptation au nouveau régime sucrier européen) et « l’inséparabilité » des planteurs et des usiniers dans la transformation de la canne. Des « frères siamois » confrontés ensemble à la plainte du groupe de Cairns, mais séparés par l’accord de 1969, qui a dépossédé les planteurs réunionnais des sous-produits de la canne. « Il faut trouver les moyens pour que les uns et les autres survivent » a-t-il ajouté en invoquant « l’énorme pari » que constitue la R 583 et sa teneur en fibre, dans le contexte mondial présent et à venir. Avec les élections européennes de 2009, le président de la Région a souhaité que l’île continue de parler d’une même voix et « que les avancées se traduisent pour tous ».
Le Préfet Maccioni a surtout remarqué l’intérêt de la R 583, sa production de biomasse et les dérivés que la recherche pourrait leur trouver dans le cadre de l’autonomie énergétique de La Réunion. « Il faut aller plus loin dans la méthode d’exploitation et vers plus d’intégration dans le programme énergétique » a-t-il dit.
Mais le président du CERF, Jean-François Moser, se donne encore un peu de temps pour la libération de nouvelles variétés à haute valeur énergétique. « Pas avant d’avoir obtenu d’EDF la revalorisation du kw/h bagasse » répond-il pour le moment. Avec la bagasse, les usiniers produisent l’énergie utile à la transformation de la canne et reçoivent d’EDF 30 centimes d’euro par Kw/h. Mais le planteur n’est pas associé à cette valorisation de la canne qu’il a livrée. Comment les deux parties s’entendront-elles pour mieux partager les fruits d’une productivité accrue et des valorisations mises au jour par la recherche ? « Il n’y a pas de sujets tabous » estime pour sa part Philippe Duval, président du Directoire de Tereos. Ce qui voudrait dire qu’il appartiendrait aux planteurs de pousser la porte ?
Hier, ils avaient surtout l’esprit à la fête, en recevant des différents officiels une symbolique botte de cannes, dont on saura dans quelques mois sur combien d’hectares elle aura été adoptée.

P. David

R 583, une généalogie métissée

Hybridée et sélectionnée il y a 15 ans, la R 583 porte le n° de l’année de sa naissance et de son rang dans la sélection (92/4031), tout comme sa “mère” et son “père”.
Elle est le fruit d’une généalogie très métissée, racontée par le président du CERF. La “grand-mère maternelle”, née en Inde, à Coimbatore et sélectionnée au Natal, en Afrique du sud (NCo 310) a été pollinisée par une variété mâle de l’île Maurice (N 907/61). Ensemble, elles ont donné la R 575, variété mère de la R 583.
Côté paternel, c’est une filiation hawaïenne. La variété mâle rapprochée de la R 575 est une H 72/8597, issue de deux autres variétés hawaïennes.