L’Union européenne sur la sellette, les A.C.P. montent au créneau

Le ton monte autour des plaintes contre le Protocole Sucre

24 avril 2004

Notre économie sucrière a un rendez-vous important en juillet prochain dans le cadre de la réforme du règlement sucrier européen (OCM Sucre) : la proposition d’un nouveau règlement par le commissaire Fischler juste avant le renouvellement des instances européennes. Un règlement sucrier qui fait l’objet d’une procédure contentieuse devant l’organisation mondiale du commerce (OMC), où vient de s’ouvrir le 21 avril la seconde phase de l’examen des plaintes déposées par l’Australie, le Brésil et la Thaïlande.
C’est le moment qu’a choisi l’ONG britannique Oxfam pour faire paraître, le 14 avril dernier, un rapport polémique sur le régime sucrier européen - rapport que les pays ACP « ont étudié avec soin » et auquel ils viennent de répondre en pointant poliment quelques-unes de ses plus importantes contradictions.

Sous le titre "Dumping mondial : comment la politique sucrière de l’Europe agresse les pays pauvres", la multinationale humanitaire Oxfam - un réseau d’officines dans cinq ou six capitales mondiales et douze antennes opérationnelles dans des pays développés - vient de publier un rapport qui se présente comme un réquisitoire contre la politique sucrière de l’Union européenne. Ce rapport est paru une semaine jour pour jour avant la deuxième vague d’examens des plaintes déposées à l’OMC (Organisation mondiale du commerce) contre la politique sucrière de l’Union européenne, dont Oxfam estime qu’elle "gêne les efforts faits pour réduire la pauvreté".
Si le résumé mis en ouverture du rapport est très virulent contre l’Union européenne et son système d’aide à la filière sucre, le contenu du rapport - un ensemble de 62 pages - est beaucoup plus contrasté et met en relief l’extrême complexité des mécanismes à l’œuvre, tout en soulignant l’originalité du système européen. Une originalité qui dérange, dans un monde “globalisé” -apparemment parfait !- où "le commerce implique des interdépendances et des responsabilités partagées" (p. 5) et où les Européens ont l’air de faire "bande à part" (p. 10), en dépit d’une pratique mondialement généralisée de soutien à la production de sucre, "y compris dans les pays en développement" (ibid), comme en Thaïlande par exemple. (Voir aussi, dans le schéma ci-dessous, les subventions australiennes à la production sucrière de ce pays).

Matière à controverse

Résumant le contentieux ouvert devant l’Organisation mondiale du Commerce, Oxfam expose (p.16) que "les “aides croisées“ aux exportations du sucre hors quota constituent une subvention indirecte aux exportations du sucre contingenté et une subvention directe à l’exportation d’un tonnage supplémentaire équivalent aux importations des pays ACP". Ces “aides croisées” sont d’une part le soutien inscrit au budget de l’UE et d’autre part celui que les consommateurs apportent au sucre “hors-quota”.
La thèse soutenue par Oxfam est que le règlement sucrier - prix garanti, barrière douanière à l’importation et aides à l’export - après avoir fait la preuve de son efficacité pour répondre aux besoins de la consommation des pays membres - est un frein au développement des pays producteurs parmi les plus pauvres de la planète. Cette thèse donne matière à controverse (voir plus bas). La démonstration d’Oxfam s’appuie sur les mécanismes de la production des quotas et de la production “hors quota”, liés aux échanges préférentiels construits avec les pays ACP et avec les PMA dans le cadre de l’initiative “Tout sauf les armes”. Mais il ne propose aucune solution alternative pour ces pays.

Des pays inquiets

Le propos affiché par l’ONG britannique est que les dispositifs européens devraient être davantage mobilisés en soutien aux pays pauvres en développement et les adversaires du régime sucrier européen pensent y arriver en obtenant que l’Europe cesse de mettre ses surplus sur le marché mondial, lesquels représentent 14% des 32 millions de tonnes mises sur le marché mondial.
Les propositions d’Oxfam viennent à point nommé pour appuyer l’argumentation des plaignants auprès de l’OMC, ce qui pourrait jeter un doute sur l’impartialité de sa démarche, dans le grand théâtre d’ombres des coulisses de la mondialisation économique. À quoi bon dénoncer les gros betteraviers britanniques et européens - et leur rapacité, sans doute bien réelle, en matière de subventions - si c’est pour permettre à d’autres géants mondiaux du sucre d’affermir leur mainmise sur le marché mondial, d’où resteraient exclus et marginalisés les petits producteurs ?
Ceux-ci ne s’y trompent pas et les réactions observées, tant de la part des ministres des PMA, le 3 mars dernier à Bruxelles, que du Groupe d’experts des ACP hier (voir encadrés) , montrent que ces pays sont inquiets d’éventuelles décisions qui viendraient déstabiliser les rapports construits avec l’UE autour de leur production sucrière.

Pascale David


Les pays A.C.P. : Un sujet complexe

Le Groupe d’experts des pays ACP pour le sucre (1) a rendu public hier le communiqué de presse suivant :
"Les États ACP signataires du Protocole Sucre ont étudié avec soin le document d’information d’Oxfam paru le 14 avril (...). Ils saluent le fait que Oxfam reconnaisse aujourd’hui qu’une réduction des prix européens “constitue une sérieuse menace pour un large groupe de pays ACP, dont certains devraient faire face à de sévères coûts d’ajustement et à la menace d’une désorganisation sociale et économique”.
Les ACP se réjouissent également de ce que Oxfam souligne que “pour cette raison, il est impératif que l’UE apporte un soutien généreux et opportun dans l’aide aux pays en cours d’ajustement”. C’est aussi un sujet de satisfaction de voir que Oxfam approuve aujourd’hui que le futur régime sucrier européen puisse être basé sur un système de quota. Oxfam reconnaît qu’un système ainsi administré ne compromettrait pas les intérêts des États ACP et des PMA sur deux points. “Cela ne les exposerait pas à la compétition avec des exportateurs à bas prix, tels le Brésil et la Thaïlande, et cela ne baisserait pas les prix que ces pays pourraient obtenir sur un marché européen protégé”.
La révision du régime sucrier de l’Union européenne est un sujet complexe. Le rapport d’Oxfam comporte des éléments qui appellent une analyse plus poussée et une clarification. Les pays ACP se rapprocheront de Oxfam à cette fin dans un futur proche."

(1) Le Groupe d’experts des ACP pour le sucre se compose des ambassadeurs en Europe des Pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) signataires du Protocole sucrier (77 pays liés par l’accord de partenariat ACP-UE du 23 juin 2000). Il siège à l’ACP House, à Bruxelles.


Les propositions des P.M.A. : Un moratoire de dix ans

Le 3 mars dernier, à Bruxelles, les ministres des PMA (Pays les moins avancés) ont rencontré les commissaires européens Pascal Lamy, (Commerce) et Franz Fischler (Agriculture) auxquels ils ont présenté leurs propositions, réunies dans un document intitulé Propositions des PMA relative à l’adaptation de l’initiative “EBA” pour le sucre et au rôle des PMA dans l’orientation future du régime sucrier européen.
Les propositions du document visent globalement à garantir l’accès actuel et futur de ces pays au marché européen du sucre "à un prix rémunérateur". Elles demandent à l’Europe de reporter de dix ans la suppression progressive des droits de douane, pour leur donner le temps de faire les investissements nécessaires à la filière et d’augmenter leur production à l’export (de 15% chaque année).
À ces conditions, les PMA prévoient de pouvoir exporter vers l’Europe 1,6 million de tonnes en 2013. Ils ne sont pas en mesure -ils le disent eux-mêmes- de produire à cette date les 2,7 millions de tonnes qu’Oxfam leur assigne généreusement, dans une proposition pour redistribuer les quotas d’exportation.
Vingt-huit des quarante neuf PMA sont des pays producteurs de sucre.


O.M.C. : Le contentieux dans sa deuxième étape

Lors de la première audience de la procédure contentieuse (panel) de l’OMC, tenue du 30 mars au 1er avril, les trois pays plaignants - Australie, Brésil, Thaïlande - ont été entendus ainsi que l’Union Européenne et vingt-deux pays parmi les “parties tierces” (ACP, USA...). Les pays ACP ont souligné à cette occasion que leurs intérêts vitaux, voire dans certains cas la survie de leurs économies, seraient menacés si le “panel” concluait en faveur des plaignants.
Depuis le 21 avril, les protagonistes sont engagés dans une deuxième étape, avec le dépôt d’un deuxième mémoire de la part des différentes parties. La deuxième audience est prévue pour les 11 et 12 mai. Un rapport intérimaire devrait être publié le 29 juillet et le rapport final est attendu pour le 23 septembre 2004.
A noter que le Brésil est lié à l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay au sein du Mercosur, dont le calendrier des rencontres avec l’UE a pour objectif de déboucher avant la fin de l’année 2004 sur un accord de libre échange.


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