Entretien avec David Pagnier, consultant à l’AGORAH

Les agriculteurs ont des outils pour défendre leurs terres

30 juillet 2004

David Pagnier, de l’AGORAH (Agence pour l’observation de La Réunion, l’aménagement et l’habitat) nous explique entre autres que des moyens existent en matière d’aménagement et d’aide à la décision pour la répartition des terres, pour donner aux agriculteurs - dont les planteurs de canne - les arguments “techniques” pour défendre leurs parcelles.

“Témoignages” : La filière canne a besoin d’aller vers 30.000 hectares plantés en canne pour se maintenir. Cette défense des terres à canne suppose des compromis avec les besoins de l’urbanisation : quels problèmes cela pose-t-il ?

David Pagnier : Ça ne nous pose aucun problème. Nous sommes les premiers à l’AGORAH - et depuis longtemps - à défendre l’intérêt de la canne : d’un point de vue paysager, en termes économiques (pour l’emploi, le chiffre d’affaires du secteur).
La canne a un intérêt multiple. Et aujourd’hui on ne sait pas par quoi on pourrait la remplacer, avec autant de rôles : pour la protection des sols, pour l’emploi et le maintien d’une filière entière. Une diminution de la production de canne pourrait entraîner la fermeture des deux usines qui restent et la destruction de la filière toute entière. On a vraiment intérêt, aujourd’hui, à maintenir la culture de la canne.
Les arbitrages sont le fruit du travail réalisé par le Comité de pilotage de la canne, le Centre technique interprofessionnel de la canne et du sucre de La Réunion (CTICS) et de tous les organismes agricoles, qui apportent leur connaissance aux urbanistes pour savoir où il est impératif de protéger les surfaces agricoles et où il est possible de faire de l’urbanisme. Ils disposent aujourd’hui d’une “base de données” sur la canne qui permet de savoir où protéger et où construire. C’est un objectif majeur et nous avons besoin d’informations nous disant où il faut protéger. Il y a toujours des arbitrages nécessaires. Pouvoir maintenir des impératifs de protection, c’est déjà un moyen d’arbitrer.

Savez-vous mieux maintenant où il est possible de construire ?

- Je peux surtout répondre à partir de l’exemple du Schéma de cohérence territoriale (SCOT) de la CIREST. Les élus ont contacté les milieux agricoles pour leur demander un inventaire.
C’était un outil prioritaire et il a été intégré dans la démarche du SCOT.
Ce sont ces éléments qui ont servi de base, avec des arbitrages pris en fonction des intérêts des uns et des autres.

Dans ces arbitrages, qui tranche en dernière instance ?

- Les élus, bien évidemment.

Vous est-il arrivé de voir prendre des décisions choquantes ?

- En ce qui me concerne, je trouve la prise de conscience des élus plutôt bonne. Ils savent qu’une urbanisation à outrance n’est pas facile à gérer.
Plus on construit, plus les équipements connexes coûtent cher. Il n’y a pas beaucoup de communes qui peuvent se permettre des coûts d’investissement élevés. La voie suivie est celle de la densification. Il est plus facile de construire un tout-à-l’égoût ou de justifier la construction d’une station d’épuration quand l’espace urbain desservi est dense. Le même raisonnement prévaut pour les réseaux (eau, électricité, téléphone). De ce point de vue, la prise de conscience est assez générale : les élus savent qu’ils ont intérêt à densifier les espaces déjà urbanisés de leur commune.

La densification elle aussi doit drainer son lot de difficultés : lesquelles ?

- Nous sommes confrontés essentiellement à un problème de retard d’équipement. Cela nécessite de disposer de réseaux d’assainissement, notamment, adaptés à la densification. Cela aussi est coûteux et difficile à réaliser.
On ne peut densifier vraiment que dans les espaces où l’existence de réseaux et d’équipement le permet. C’est le cas de presque tous les centres villes de La Réunion. Pourquoi voit-on autant de grues au-dessus de Saint-Denis-centre ?
On y construit beaucoup, là où les promoteurs savent qu’ils vont trouver un environnement favorable. Ailleurs, là où les élus voudraient densifier, ils se heurtent soit à des propriétaires qui ne veulent pas vendre, soit à des problèmes d’indivision ou à des problèmes de coût foncier, ou encore à l’insuffisance des équipements et des réseaux. Dans l’ensemble, la densification de l’urbanisation comporte plusieurs problèmes dont il faut gérer la superposition : cela fait aussi partie des arbitrages à avoir par rapport à la défense des terres à canne.

Quels sont les points les plus sensibles auxquels vous êtes confrontés dans la définition des zones à urbaniser, ou au contraire des zones à protéger ?

- Des points sensibles... il y en a toujours mais ce ne sont pas des problèmes spécifiques à la canne. On se trouve toujours confronté à des problèmes de définition de l’intérêt général et de l’arbitrage entre intérêt général et intérêts particuliers - sans donner à ces derniers de contenus péjoratifs, surtout s’il s’agit d’agriculteurs qui défendent des parcelles agricoles et une activité.
De tels problèmes ne datent pas d’aujourd’hui. Jusqu’à maintenant, nous manquions d’outils. Ce n’est plus le cas. Les agriculteurs ont aujourd’hui les moyens de défendre leur position et leur point de vue de façon ferme. Ces outils permettent aussi aux collectivités de prendre des décisions, voire de déplacer les arbitrages “à la marge”.
D’une façon générale, la problématique des milieux agricoles et des élus est toujours un peu la même. Du fait de la croissance démographique, il faut se préparer à loger les gens. Sinon, ils vont se loger eux-mêmes là où ils peuvent et souvent sur des terres agricoles. Les arbitrages servent à cela, en vérité : échanger des terres agricoles de faible qualité contre un contrôle des espaces qui vont s’urbaniser.
Les agriculteurs trouveront toujours qu’on ne protège pas assez les terres agricoles. Il y a des constructions sauvages dans toutes les communes : en plein centre de Saint-Denis, au Port, à Saint-Paul, partout...
C’est un problème vraiment général, qui correspond au manque de logements sociaux. Dans un pays qui compte plus de 30% de chômeurs et le plus fort taux de érémistes... Ces gens ont le droit d’habiter quelque part. Tant que cette question du logement ne sera pas résorbée, on aura un problème.

Les cartes maintenant disponibles permettent-elles de s’attaquer plus résolument aux problèmes les plus aigus ?

- Tout le monde ensemble a fait ici de grands progrès dans le projet global : aujourd’hui la canne est défendue par tous. La connaissance met du temps à se produire. On a maintenant les moyens d’agir. Je pense que les choses peuvent s’arranger avec le temps. Mais de toutes façons, nous sommes face à des problématiques sans équivalent en France.
Les cartes agricoles, aujourd’hui disponibles, ne le sont pas depuis très longtemps. Mais plus elles seront connues, plus on pourra proposer des solutions adéquates pour les uns et les autres. Avec la connaissance des intérêts à protéger, on pourra agir plus efficacement.

Propos recueillis par Pascale David


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