Pas de livraison de cannes à Bois-Rouge le 2 août

Les planteurs prisonniers de l’Accord de 1969

13 août 2008, par Manuel Marchal

Le 2 août, les planteurs ont eu la surprise de découvrir que l’usine ne fonctionnait pas. Au-delà d’un manque de communication, c’est bien la crise structurelle de la filière qui est illustrée par cet exemple. Cette crise trouve son origine dans l’Accord de 1969, à l’origine du chômage de 20.000 travailleurs. En faisant du planteur un simple livreur de matière première, l’Accord de 1969 a permis la domination de l’usinier sur la filière. Une domination tellement flagrante que l’usinier peut se permettre de mettre le planteur devant le fait accompli en fermant l’usine et en refusant de recevoir, et donc de payer, selon leur richesse du jour, des cannes livrées d’après le planning décidé conjointement par les représentants planteurs et usiniers.

Le refus de l’usinier de recevoir les cannes à sucre qui devaient être traitées le samedi 2 août à Bois-Rouge est une illustration du déséquilibre des rapports de production dans la filière canne. Ce déséquilibre est l’héritage de l’Accord de 1969.
Avant cet Accord, le planteur était le propriétaire de la canne, de sa plantation à la fabrication de ces différents produits. Pour valoriser la canne, des transformations industrielles sont effectuées. Pour indemniser l’industriel, ce dernier recevait donc un tiers de la valeur de tous les produits de la canne (sucre, alcool...).
Une telle répartition des richesses trouvait ses origines dans la construction de la filière à La Réunion. Tout est parti des planteurs. Pour produire du sucre, les planteurs ont donc créé les usines. Et avant l’Accord de 1969, les usiniers étaient la plupart du temps de gros propriétaires fonciers. Ce qui veut dire que leurs usines avaient comme première mission de transformer leurs cannes. C’était le cas dans le Sud par exemple, où le Gol, les Casernes et Grand-Bois avaient d’abord comme objectif de traiter les cannes de la Société Bénard.

Qui décide ?

Autant dire que toute panne dans l’usine était préjudiciable non seulement aux planteurs, mais également à l’usinier qui était aussi un planteur. Autrement dit, avant l’Accord de 1969, il aurait été inconcevable de voir ce qui s’est passé l’an dernier. C’est-à-dire la totalité des usines qui démarrent la campagne avec plus d’une semaine de retard pour cause de défaillance technique liée à l’installation de nouvelles machines, sans que ce retard ne soit rattrapé.
En effet, l’Accord de 1969 a créé une situation inédite dans l’Histoire de la filière : le planteur n’est plus que le fournisseur de matière première, alors que l’usinier devient le propriétaire de la canne et de tous ses produits en échange d’un prix fixé à l’avance. Un prix qui, d’ailleurs, n’a pas bougé depuis 20 ans : 39,09 euros la tonne.
Cet accord a permis la séparation du capital foncier du capital industriel. C’est-à-dire qu’il a offert une porte de sortie aux usiniers qui voulaient vendre leurs terres à cannes pour ne plus à avoir à supporter les risques et les charges de cette culture. Et aujourd’hui, force est de constater que les usiniers n’ont plus la moindre terre à cannes. Ce qui ne les empêche pas de culpabiliser le planteur qui veut valoriser sa terre, afin d’augmenter ses revenus, d’une autre manière qu’en produisant prioritairement de la canne à sucre.
Depuis 1969, le planteur est donc devenu le propriétaire de toutes les terres à cannes. Mais la séparation du capital foncier du capital industriel fait qu’aucun planteur réunionnais n’est associé aux décisions stratégiques prises par ceux qui transforment la matière première. Les usiniers réunionnais ont décidé de se diversifier dans d’autres secteurs économiques et géographiques (notamment la Tanzanie), sans que les planteurs n’aient leur mot à dire. Ils peuvent également décider de la durée de la campagne sans consulter les planteurs. C’est ce qui s’est passé le 2 août dernier. L’usine de Bois-Rouge n’a pas fonctionné ce jour-là, c’est donc une journée de moins pour la campagne sucrière, et rien ne peut garantir que les planteurs auront droit à une compensation de la part de l’usinier. Or, c’est bien l’usinier qui a pris la décision, et donc la responsabilité, de refuser les cannes ce jour-là.

D’autres relations sont possibles

Ceci est bel et bien l’illustration de la crise structurelle que connaît la filière depuis l’Accord de 1969. D’un côté, le planteur est confiné dans un statut de livreur de matière première, et n’a aucun pouvoir de décision sur les choix stratégiques opérés pour valoriser ce qu’il produit. De l’autre, l’usinier a la garantie de la domination économique et idéologique de la filière.
Dans d’autres pays, la situation est différente. Il n’y a qu’à regarder ce qui se passe à Maurice. Pour anticiper sur la mondialisation du marché du sucre, planteurs et industriels ont tout mis sur la table pour aboutir à une réforme structurelle de la filière. Résultat : les planteurs sont assurés d’être les propriétaires de 35% de la nouvelle industrie de la canne. Or, étant actionnaires de 35% de cette nouvelle industrie, il est clair que les planteurs ne peuvent qu’être associés à toutes les décisions. Ils peuvent également peser pour que les décisions prises aient pour objectif de tirer un maximum de richesse de la canne qu’ils produisent, afin d’augmenter leurs revenus. Et de fait, ils ne peuvent qu’être informés de tout impondérable devant survenir pendant la campagne. Et puisque le planteur est également co-propriétaire de l’industrie, il peut directement bénéficier des mesures industrielles mises en œuvre par l’usinier pour rattraper sur le plan financier une journée perdue en termes de livraison de matière première.
Tout cela n’est possible que si la filière canne connaît une réforme structurelle, remettant en cause l’Accord de 1969 qui a ruiné des milliers de travailleurs.

Manuel Marchal

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