Cinq années pour se remettre d’une campagne désastreuse - 5 -

Malgré le retard dans le démarrage des usines, une campagne sucrière raccourcie de deux semaines

(page 5)

8 décembre 2007, par Manuel Marchal

25 jours de moins pour Bois-Rouge, 14 jours de moins pour le Gol : les usines ont tourné moins longtemps cette année. Le retard au démarrage incombe à l’industriel. Mais ce sont les planteurs qui en paient le prix. Du début à la fin, les planteurs sont les perdants de la campagne 2007.

Il est un facteur conjoncturel qui a contribué à aggraver la situation des planteurs du fait d’une campagne sucrière désastreuse. Les usines de Bois-Rouge et du Gol ont ouvert avec au moins une semaine de retard. L’explication avancée par le propriétaire des usines consiste à faire état d’un problème dans l’entrée en production de nouvelles machines montées sur la chaîne. Ces nouveaux outils permettent à l’usinier d’avoir un procédé industriel moins gourmand en énergie. Au Gol, comme l’indiquait en novembre 2006 les syndicats d’ouvriers d’usine, le gain escompté pouvait aller jusqu’à 20% pour cette "première mondiale" dans l’industrie sucrière.
Ces nouvelles machines permettent donc à l’industriel de diminuer son coût de production, et d’augmenter son profit. Sur ces bénéfices supplémentaires, les planteurs ne touchent rien, car le prix payé par l’industriel pour acheter la canne n’augmente pas. Par contre, quand la machine se grippe, les planteurs sont touchés de plein fouet. C’est ce qu’a montré le retard dans le démarrage de la campagne.

Un retard imposé aux planteurs

Première alerte à Bois-Rouge. Alors que les planteurs commencent à livrer, l’usine s’arrête. Le nouveau procédé n’est pas au point. Pendant ce temps, les agriculteurs ont déjà commencé à couper, et des cannes sont prêtes à l’être car la date de leur livraison est prévue dans les jours à venir. Mais pendant une semaine, tout sera bloqué. Finalement, l’usine repart après plus d’une semaine de panne.
La situation se répète au Gol quelques jours plus tard. Le coup de poker tenté par l’usinier ne marche pas. Il était pourtant prévenu. En novembre 2006, les ouvriers de l’usine avaient dû faire grève pour alerter tous les acteurs de la filière : « si le nouvel investissement ne marche pas bien, ralentit l’usine et fait descendre la cadence à 300 tonnes par heure, il faudrait prolonger la campagne jusqu’en mars 2008, ce qui est impossible » (voir encadré).
A Bois-Rouge comme au Gol, le résultat a été le même : des machines insuffisamment testées ont été mises en production sur la chaîne de l’usine, et ce sont les planteurs qui ont payé le prix de la mise au point de ces nouvelles sources de profit pour l’usinier.

2.000 euros perdus pour un livreur de 800 tonnes

Car ces retards ont bel et bien pénalisé les planteurs. Comme le montre un document de la Chambre d’agriculture, « 5 jours de dégradation de la canne coupée au champ avant le chargement font perdre 50 tonnes pour un planteur qui livre 800 tonnes par campagne ». Autrement dit, si la richesse correspond à la "canne saine et loyale", l’usinier paye 39,09 euros par tonne. 50 tonnes de perdues, ce sont près de 2.000 euros perdus pour le planteur. Au-delà de la légitime indemnisation à laquelle doit avoir droit le planteur lésé par un accident industriel dans lequel l’usinier est le seul responsable, une manière d’atténuer les pertes aurait été d’allonger la période de coupe.
Force est de constater que cela n’a pas été le cas. A Bois-Rouge et au Gol, la campagne a été respectivement raccourcie de 25 (1) et 14 jours. Le résultat, ce sont des milliers de tonnes qui pourrissent sur pied. Ce point sera développé dans le prochain article.

(1) En 2006, un conflit social avait permis aux ouvriers de Bois-Rouge d’arracher plusieurs avancées. La lutte avait duré une semaine, pendant laquelle l’usine était quasiment à l’arrêt. Mais même en prenant en compte cette donnée, la campagne dans l’Est et dans le Nord a été raccourcie de deux semaines par rapport à 2006.

A suivre

Manuel Marchal


Les durées des deux dernières campagnes sucrières

Sucrerie du Gol : -14 jours
2006 : du 19 juillet au 13 décembre
2007 : du 27 juillet au 7 décembre

Sucrerie de Bois-Rouge : -25 jours
2006 : du 10 juillet au 15 décembre
2007 : du 20 juillet au 30 novembre

Ces données sont extraites des communiqués diffusés toutes les semaines par les industriels du sucre. Ces derniers précisent que ces dates sont décidées par les commissions mixtes d’usine.


Nouveau procédé industriel au Gol

Avant la campagne, tout le monde était prévenu : « Un coup de poker dangereux »

Mise en garde de l’Intersyndicale des ouvriers du Gol dès novembre 2006. L’installation qui a fait perdre une semaine aux planteurs rapporte des gains de 15 à 20% à l’usinier comme l’expliquaient le 7 novembre 2006 les travailleurs de l’usine. Nous reproduisons ci-après de larges extraits de cet article.

« L’annonce d’une première mondiale dans l’usine du Gol cristallise l’inquiétude des salariés. Si cet investissement stratégique ne marche pas, c’est toute la campagne sucrière 2007 qui est remise en cause ». Pour les syndicalistes de Sucrière de La Réunion, les conditions de l’échec sont réunies et les craintes sont fondées quant à l’avenir des 15.000 travailleurs de la filière.
C’est pour cette raison qu’hier, à l’appel de l’Intersyndicale CFTC-CGTR-CFDT-CGC-FO, le personnel de Sucrière de La Réunion était appelé à observer un débrayage. (...)
Ce mouvement unitaire visait à adresser un message fort à la direction du groupe, sur la question des investissements. « Le constat d’échec de nos investissements antérieurs et leurs conséquences confirment notre grande inquiétude quant aux futurs investissements de 2007 », note un communiqué de l’Intersyndicale.
Deux gros chantiers sont prévus l’an prochain à l’usine du Gol : un décanteur et une sixième caisse d’évaporation. Introduire dans la fabrication du sucre à partir de la canne une sixième caisse d’évaporation est un coup de poker dangereux, estiment les syndicalistes, qui craignent que l’échec de cet investissement sans précédent dans le monde soit à l’origine de graves difficultés pour toute la filière canne. Car, explique Jean-Marie Pothin, « il faudrait huit mois pour rétablir la configuration actuelle qui fonctionne, alors que la campagne sucrière ne dure que cinq mois ».
De plus, le sixième effet doit être opérationnel à 100% tout de suite : « au Gol, nous traitons 400 tonnes de cannes par heure, si le nouvel investissement ne marche pas bien, ralentit l’usine et fait descendre la cadence à 300 tonnes par heure, il faudrait prolonger la campagne jusqu’en mars 2008, ce qui est impossible ». Et le syndicaliste de poursuivre : « la question qui se pose, c’est qu’adviendra-t-il de toutes les cannes qui seront récoltées en cas de blocage ? C’est pour avertir l’ensemble de la filière et les services de l’État que nous avons débrayé, pour que personne ne puisse dire l’an prochain "je ne savais pas" ».


Démarrage tardif de la campagne sucrière

10 tonnes perdues par jour pour un planteur

Ce document extrait du site de la Chambre d’agriculture permet d’évaluer les pertes des planteurs qui ont dû laisser leur canne au champ pendant que l’usinier mettait au point un procédé industriel destiné à augmenter son profit.

Une canne qui attend au champ, c’est :

- Une perte de richesse ; même si l’évaporation de l’eau entraîne une faible évolution de la richesse durant les premiers jours, ce gain ne compense jais la perte de poids, donc de revenu, liée à l’évaporation.
La perte peut aller jusqu’à 2,4 points de richesse, sur 10 jours.

- Une perte de poids ; une étude de terrain menée auprès des producteurs de cannes par le CERF, en 2004, a mesuré la dégradation des cannes longues laissées au champ après la coupe. Ces résultats confirment ceux déjà obtenus en 2000 et ceux menés dans d’autre pays sucriers.
La perte est de 1% de poids par jour

- Une perte de revenu ; 5 jours de dégradation de la canne coupée au champ avant le chargement font perdre 50 tonnes pour un planteur qui livre 800 t par campagne.

- En conclusion, le planteur perd de l’argent en laissant “vieillir” au champ la canne coupée avant le chargement. Il ne faut pas dépasser plus de trois jours le délai entre la coupe et le chargement.

Source : Chambre d’agriculture


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