Une opportunité manquée

Pourquoi avoir refusé de construire une raffinerie à La Réunion ?

9 juin 2008, par Manuel Marchal

Au moment où les géants du marché sucrier européen cherchent à importer du sucre blanc, La Réunion aurait pu avoir une raffinerie capable de répondre à cette demande. Mais ce projet, qui ne peut qu’améliorer le revenu des planteurs, a été la cible d’une campagne de dénigrement reposant sur des craintes infondées. Du fait de cette campagne, le projet a été retiré. Résultat, plus de la moitié du sucre exporté par La Réunion est roux, non raffiné. Grâce à la construction de deux raffineries, les planteurs mauriciens exporteront du sucre blanc dès l’an prochain. Et ils abandonneront le sucre roux, payé 20% moins cher sur le marché que le sucre blanc.

Le 26 novembre 2002, le Conseil général donnait un accord de principe à la construction d’une raffinerie produisant également de l’électricité. Cette usine devait être implantée près de la zone portuaire, sur un terrain de huit hectares.
Dimensionnée pour traiter 700.000 tonnes de sucre, elle devait traiter du sucre brésilien. Ce sucre n’était pas destiné au marché européen. Ce projet aurait donc permis de créer une valeur ajoutée à La Réunion, tout en permettant de contribuer à l’objectif d’autonomie énergétique pour 2025.

Ce projet a dû essuyer le feu de détracteurs, dont la Relève. Il a été abandonné au terme d’une campagne de dénigrement qui s’est prolongée plus d’une année.

(photo toniox)

Parmi les craintes évoquées, celui de voir le sucre brésilien inonder le marché réunionnais. Ces craintes n’étaient pas fondées, le sucre vendu à La Réunion étant produit dans notre île. Cette protection accordée aux industriels du sucre sera renforcée par l’emploi d’une clause de sauvegarde dans le cadre des futurs Accords de partenariat économique entre l’Union européenne et les pays ACP.
En clair, il sera impossible d’importer à La Réunion du sucre pendant vingt ans. Il est à noter que cette interdiction ne concerne qu’un seul produit de la canne. L’importation récente de mélasse du Pakistan par les usiniers est là pour le rappeler.
Pour en revenir au sucre brésilien qui devait être raffiné par une usine réunionnaise, on ne peut donc que constater qu’il était et sera impossible de le voir concurrencer le sucre réunionnais à La Réunion.
Par contre, à partir de ce projet, nul doute qu’il aurait été ensuite possible de raffiner le sucre produit à La Réunion afin que les planteurs puissent tirer le maximum de valeur ajoutée de la canne comme c’est le cas à Maurice.
Dans le cadre du contrat avec Südzucker, ce sont 80% de la production totale mauricienne, soit 400.000 tonnes qui seront traitées dans deux raffineries construites sur le sol mauricien. On l’a vu, ce contrat est un partenariat "gagnant-gagnant" car Südzucker a besoin d’importer du sucre blanc pour compenser la diminution de quota que lui impose l’Union européenne. L’accord avec Maurice lui permet donc de préserver sa position de leader sur le marché sucrier européen.
Südzucker n’est pas le seul groupe européen a rechercher à importer du sucre blanc. Jean Noël Humbert, du Syndicat des sucres de Maurice, cite notamment Téréos, British Sugar et Ebro.
Si la raffinerie avait été construite à La Réunion, la filière aurait donc dans ses mains un outil pour être un acteur de cette redistribution des cartes dans le marché européen. Il aurait été sans doute possible d’adapter cette raffinerie pour raffiner ne serait-ce que le sucre roux exporté en vrac vers l’Union européenne, c’est-à-dire la moitié de la production sucrière réunionnaise 2007 (1).
Pour avoir une idée de cet investissement éventuel, il faut savoir que pour traiter 400.000 tonnes de sucre, c’est-à-dire davantage que le double de la production sucrière à La Réunion l’an dernier, le prix des deux raffineries mauriciennes est de 50 millions d’euros.
Mais le projet de raffinerie est tombé à l’eau à cause de la campagne menée par ses détracteurs, et avec lui un outil qui pourrait améliorer le revenu des planteurs, puisqu’en Europe, le sucre blanc est vendu 20% plus cher que le sucre roux.

M.M.

(1) Faisant le bilan de la campagne 2007 lors d’une conférence de presse de l’Interprofession, son co-président industriel avait annoncé que la moitié des sucres produits en 2007 serait des sucres spéciaux. Ce qui veut dire que l’autre moitié est donc du sucre roux en vrac.

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