Filière canne : une crise structurelle - 9 -

Productivité des planteurs et protection des terres agricoles : l’usinier désigne des responsables

13 février 2008, par Manuel Marchal

Que cela soit en termes de productivité ou de protection des terres agricoles, l’usinier met la pression sur les autres partenaires de la filière, à savoir les planteurs et les pouvoirs publics. Or, il est pour le moins paradoxal de constater que les usiniers ont vendu des milliers d’hectares et n’investissent pas dans le foncier agricole. Cette contradiction illustre la domination politique et idéologique de l’usinier sur la filière. Il peut se permettre de désigner des responsables, tout en s’exonérant de ses responsabilités.

À l’occasion d’une interview accordée à “l’Eco Austral” d’octobre 2007, l’usinier affirme que « l’avenir dépendra de la capacité des exploitants agricoles à augmenter leur productivité et des politiques à sauvegarder le foncier, d’où notre fort investissement dans ce domaine ». C’est-à-dire que l’usinier montre du doigt les deux autres acteurs de l’Interprofession : les planteurs et les pouvoirs publics. Or, il s’avère que cette attitude est une confirmation d’un fait : la domination politique et idéologique de l’usinier sur la filière canne.
En effet, en termes d’augmentation de la productivité, et de préservation des terres agricoles, ce sont les planteurs et les pouvoirs publics qui investissent essentiellement dans ce domaine, pas l’usinier.
Au sujet de la productivité, les planteurs et les pouvoirs publics ont fait de nombreux efforts pour atteindre des rendements supérieurs à 70 tonnes de cannes à l’hectare, et à plus de 7,5 tonnes de sucre par hectare. Mais il est à noter que ces valeurs stagnent depuis vingt ans (1).
Une comparaison avec la situation mondiale est intéressante. En termes de tonnes de cannes à l’hectare, le rendement moyen mondial est en effet passé de 50 tonnes/hectare en 1961 à 65 tonnes/hectares en 2005 (2). Même avec l’extension de l’irrigation à La Réunion, la marge de progression est donc étroite. En effet, la CNUCED révèle le cas isolé de l’Australie, qui produisait 12 tonnes de sucre par hectare. Mais son suivant immédiat, le Mexique, stagne à 9 tonnes à l’hectare. D’ores et déjà, les planteurs réunionnais figurent donc parmi les producteurs les plus performants du monde.

Plus de 10.000 hectares vendus en 9 ans

Il est à noter que les mesures favorisant l’augmentation de la productivité sont avant tout financées par les fonds publics. C’est notamment le chantier du Basculement des eaux. Ce sont également les actions de formation à destination des planteurs financées, là aussi par les pouvoirs publics.
Concernant la protection des terres agricoles, l’Histoire est là pour rappeler que c’est l’usinier qui a été le principal acteur de la perte de milliers d’hectares.
En 1957, trois usiniers produisaient 70% du sucre de La Réunion, tout en étant de grands propriétaires fonciers. Les Etablissements Léonus Bénard, les Sucreries d’Outre-mer et les Sucreries de Bourbon étaient respectivement propriétaires de 4.000, 5.000 et 4.600 hectares (3). Soit un total de près de 15.000 hectares, sur une surface totale plantée en cannes de 40.000 hectares. Force est de constater que les usiniers se sont empressés de se débarrasser de leurs terres dès que l’Etat leur en donna la possibilité à travers la création de la SAFER : « Entre 1966 et 1975, la SAFER vend un peu plus de 10.000 hectares de terres cultivables à près de 2.000 agriculteurs » (3). Aujourd’hui, l’usinier ne détient plus un seul hectare de terre à cannes. C’est la principale conséquence de la réforme agraire : les usiniers se sont totalement désengagés du foncier : ils ont vendu plus de 15.000 hectares. Ce qui veut dire que la protection de la sole cannière n’était pas leur préoccupation.

Le planteur piégé

Cette réforme agraire réactionnaire, car réalisée au profit du dominant de la société coloniale, a en effet permis à l’usinier de disposer des liquidités suffisantes pour diversifier ses activités dans des secteurs bien plus rentables que l’agriculture, notamment dans le capitalisme financier.
La réforme agraire a également condamné le planteur à supporter toutes les charges de l’usinier, et à s’endetter pendant des dizaines d’années pour acheter un foncier qu’il a pourtant lui-même mis en valeur par la force de son travail. Autrement dit, il paie deux fois. Un foncier dont il ne peut pas valoriser à sa guise.
À l’heure où l’usinier met en avant le maintien des surfaces agricoles comme condition du progrès de la filière canne, il est révélateur de constater qu’il n’investit pas dans le foncier agricole. Eu égard à la vérité historique, comment l’usinier peut-il alors rendre les pouvoirs publics et les planteurs les uniques responsables de la protection du foncier agricole ?
Cela ne fait qu’apporter la confirmation d’une réalité : la direction politique et idéologique de la filière par l’usinier. Ce déséquilibre persistant illustre la crise structurelle que connaît la filière canne à La Réunion, et la rend d’autant plus vulnérable aux aléas climatiques.

Manuel Marchal

(1) Voir “Témoignages” du 17 décembre 2007
(2) Source CNUCED
(3) Sudel Fuma, “Histoire d’une passion - Le sucre de canne à La Réunion” - Océan Editions


Relance de l’industrie sucrière en Angola

Le Projet Agro-pastoral et Industriel "Aldeia Nova", développé dans la région de Waco Kungo, province de Kwanza Sul, prétend, à long terme, relancer l’industrie sucrière avec lexploitation de 120 hectares de canne à sucre. Selon la 18ème édition du Bulletin Informatif "ÉCOS", la direction du projet a planté en 2007 sur une étendue de 12 hectares, deux variétés commerciales et génétiques. La publication souligne qu'après la visite au Brésil et en Ouganda du directeur général de l'Aldeia Nova, José Cerqueira, en 2007, 120 tonnes de deux variétés d'origine indienne ont été acquises et plantées à l'industrie Sango Bay en Ouganda, par recommandation de la société consultante. Selon la publication, en Angola, le projet idéalisé pour la relance de lindustrie sucrière grandira essentiellement à Waco Kungo et dans la province du Cunene.
Les bénéfices directs et indirects de l`industrie sucrière seront le marché de l’emploi pour plus de 40.000 personnes et la création de petites et moyennes entreprises.


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