Baisse de 27% en trois mois

Sucre : instabilité des cours mondiaux

9 mai 2011, par Manuel Marchal

Des variations importantes des cours mondiaux du sucre sont provoquées par la spéculation. Comment garantir la pérennité d’une filière si la valeur de son produit principal peut être soumise à de tels bouleversements ? Et qui peut affirmer aujourd’hui que le sucre produit à La Réunion restera toujours en dehors du marché mondial ? Cela rappelle l’importance d’explorer toutes les valorisations possibles de la canne afin que cette plante puisse créer dans notre île un maximum de valeur ajoutée.

La baisse du prix du pétrole figure en bonne place dans les titres de la presse internationale, pour préciser aussitôt qu’avec la dépréciation de l’euro par rapport au dollar, la répercussion à la pompe pourrait se faire attendre.
Mais une autre baisse lourde de conséquences a lieu en ce moment, c’est celle du prix du sucre. En quelques mois, le monde est passé de la menace de la pénurie à celle de l’abondance. La spéculation est passée par là.
Dans un article publié la semaine dernière (voir encadré), le journal suisse "Le Temps" précise que cette évolution s’appuie sur des éléments concrets. Ainsi, il s’avère que la récolte 2011 est meilleure que prévu au Brésil. En Inde, pas de phénomène climatique extrême pour compromettre les rendements, et donc le deuxième producteur mondial va exporter cette année. Mais ce qui amplifie la baisse des cours, c’est la vente de positions acquises par des fonds spéculatifs. Pour ces derniers, le sucre est un produit financier comme un autre. Mais pour les populations qui en vivent ou qui en consomment, le résultat de cette spéculation a d’importantes conséquences.

250 millions d’euros de pertes

Pour le moment, notre île se situe à l’écart de ces mouvements. Le sucre produit à La Réunion est vendu sur le marché européen à un prix garanti, dans la limite d’un quota qui n’est jamais atteint : c’est l’OCM Sucre. Prix minimal garanti et quota, tel était également l’état de la relation entre les producteurs mauriciens et le marché européen, c’était le Protocole Sucre signé entre l’Union européenne et les pays du groupe ACP (Afrique Caraïbe Pacifique). Outre Maurice, d’autres pays étaient concernés par cet accord qui apportait un débouché à une importante industrie locale, comme aux îles Fidji.
En 2006, l’Europe imposait aux producteurs dépendants de l’OCM Sucre et du Protocole Sucre une baisse de plus de 30% du prix garanti du sucre. Cette décision était prise à la suite d’un conflit opposant l’Union européenne à plusieurs pays adhérents de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Condamnée par l’instance de règlement des différends de l’OMC, l’Europe était mise en demeure de changer les règles de son marché sucrier. La première étape a donc été la baisse des prix du sucre à partir de la campagne 2006.
La seconde étape est intervenue l’année suivante, en décembre 2007. Unilatéralement, l’Union européenne a décidé de mettre fin au Protocole Sucre, ne laissant qu’une campagne sucrière aux pays signataires de cet accord pour se retourner. C’était un changement considérable, car la fin du Protocole Sucre, cela signifie que le cours mondial du sucre devient la référence.
Les pays ACP ont protesté contre une telle décision. Ils ont affirmé qu’elle ne s’appuyait pas sur une « obligation légale » venant de l’OMC. Ensuite, ils ont estimé l’impact de cette décision à une perte de 250 millions d’euros pour leurs économies. L’Europe est restée inflexible, le Protocole Sucre abrogé et les producteurs de ces pays doivent maintenant se débrouiller avec les cours mondiaux, et ils sont maintenant en concurrence directe avec des pays qui ont un coût de production bien moins élevé.

L’inquiétant précédent de la banane

Comme l’indiquent les récentes évolutions, les cours mondiaux des différents sucres connaissent d’importantes variations. Ces dernières ne sont pas le résultat de décisions prises par les producteurs de sucre. Ce sont "les marchés" qui fixent le prix. Or, il existe des pays ACP pour qui l’industrie sucrière pèse 20% de la richesse nationale produite. Ce sont donc des éléments totalement extérieurs, et sur lesquels les producteurs ne peuvent pas peser, qui vont déterminer leurs revenus.
Ce que vivent aujourd’hui les pays d’Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique interpelle, car les faits montrent qu’il est difficile de croire que La Réunion ne sera pas concernée. Sur un autre produit, la banane, l’Union européenne a décidé d’ouvrir son marché à des pays concurrents des producteurs européens, et qui ont un prix de revient beaucoup plus faible. Pour cela, les droits de douane ont été considérablement diminués, de 176 à 114 euros la tonne. La méthode est différente de l’abrogation pure et simple d’un quota et d’un prix garantis, mais elle a un résultat identique, car des producteurs de l’Union européenne sont mis en concurrence avec des pays pour qui la référence est le cours mondial.
Mais dans la canne, il existe d’autres produits que le sucre qui sont autant de sources de revenus échappant aux spéculateurs internationaux. Par exemple, la bagasse produit de l’électricité, mais aussi du plastique. Ce sont des biens dont nous avons besoin à La Réunion, et que nous pouvons donc fabriquer sur place à partir d’une matière première réunionnaise.

Manuel Marchal


L’article du "Temps"

Un an plus tard, le marché du sucre vit son deuxième « krach »

Les cours mondiaux ont plongé de 27% depuis fin février. Les spéculateurs soldent leurs positions acheteuses. Comme il y a un an.

« Je simplifie : le sucre, Monsieur l’Inspecteur, c’est un pari. Un pari sur l’avenir. Aujourd’hui il est à 2.000 la tonne, l’autre jour il était à 1.850. Vous m’auriez pris un lot — un lot, c’est 50 tonnes — vous auriez payé 92.500. 92.500 ! Vous vendriez aujourd’hui, vous empocheriez 100.000. Moins 92.500, égale ? 7.500 francs… vous me suivez ? Champagne ! ». A l’heure où les cours du sucre font le grand plongeon, il faut revoir avec jubilation le plaidoyer de Roger Hanin — caricature du trader pied-noir — face à un Jean Carmet médusé, dans Le Sucre, film culte de 1978 ressorti il y a peu en DVD. Depuis fin février, la valeur du sucre roux a plongé de près de 30% à New York. L’automne dernier encore, les scénarios d’une pénurie — « phénomène mondial », résumait Gérard Depardieu dans “Le Sucre” — semblaient vouer l’édulcorant à une inexorable raréfaction.
Ceux qui n’ont pas soldé à temps leurs positions en sont aujourd’hui pour leur argent, alors que leurs conseillers révisent le scénario du grand déséquilibre mondial de la scène sucrière. « Hormis la possibilité que la Chine [profite de la baisse] pour stocker en avance, les principaux facteurs qui avaient poussé les prix à la hausse ne sont plus là », résument les spécialistes de BNP Paribas. Ces derniers rappellent qu’au Brésil, premier pays producteur où la récolte commence, « les quantités escomptées apparaissent déjà meilleures que prévu ». L’absence des phénomènes climatiques El Niño et La Niña permet à l’Inde, deuxième récoltant, « de s’attendre à produire cette année 24,5 millions de tonnes, soit plus que [ses] besoins, ce qui l’autorise à exporter 0,5 million de tonnes ». L’attente de quantités importantes en provenance de Thaïlande — le pays pourrait exporter 6,2 millions de tonnes — nourrit également le sauve-qui-peut sur les marchés. Les hedge funds et les autres intervenants financiers réduisent aussi vite que possible leurs positions acheteuses : celles-ci sont retombées à leur niveau de septembre.
Ces montagnes russes dans lesquelles est pris l’édulcorant n’ont rien d’atypiques. Il y a un an, les cours mondiaux enchaînaient un troisième mois de baisse leur faisant perdre 30%, alors que les positions spéculatives étaient réduites à tour de bras.
Ce yo-yo pourrait-il avoir un effet très limité sur des chocolatiers, utilisant en moyenne 430 grammes de sucre par kilo de chocolat ? Il y a un an, les sucreries Aarberg et Frauenfeld précisaient que les prix de gros en Suisse « n’étaient pas touchés » par ces fluctuations, dépendant avant tout de ceux en vigueur en Europe. Or, ces derniers restent déconnectés des marchés mondiaux, en raison de l’entrelacs de quotas régissant les betteraviers de l’Union. Aucun spécialiste des sucreries helvétiques n’était disponible hier pour commenter la situation. Selon leurs statistiques, en 2008, la moitié des 0,5 million de tonnes consommées dans le pays était produite localement, le reste provenant essentiellement des pays voisins.

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