Soutien d’une filière dominante ou développement territorial ? Le cas du sucre à La Réunion - 5 -

« Un projet unique inscrit comme projet de territoire dans les documents d’urbanisme »

18 août 2008

« Qui produit ? Quoi ? Dans quel système de répartition des plus-values ? Où ? Comment ? », autant de questions qui restent aujourd’hui sans réponse de la part des usiniers. Malgré ces incertitudes, la canne en tant que matière première pour produire du sucre est un pivot de l’aménagement du territoire à La Réunion.

En 1996, le Livre vert de la canne publié par le Conseil général de La Réunion (1) alerte les acteurs de l’aménagement du territoire sur l’avenir de la filière et met en avant les conséquences prévisibles d’une disparition de la canne à La Réunion. Mais c’est son maintien, grâce à une politique volontariste qui est défendu. Parmi les mesures préconisées, la disponibilité d’une sole cannière de 30.000 hectares est requise, correspondant au seuil de viabilité des usines. Maintenir l’emprise "territoriale" de la canne (utile pour le dispositif industriel) et justifier de l’intérêt de la culture deviennent des objectifs prioritaires. Le Schéma d’Aménagement Régional conçu par la Région les intègre en 1995.

Aux niveaux communal et intercommunal, les schémas de cohérence et d’orientation du territoire (SCOT) et les plans locaux d’urbanisme (PLU), préconisés par la loi "Solidarité et renouvellement urbain", intègrent également les objectifs régionaux de la filière. La révision du schéma d’aménagement régional et le principe de compatibilité descendante des documents réglementaires provoquent une accélération des démarches SAR, SCOT et PLU, parfois plus concurrentielles que complémentaires.

Parallèlement, la poursuite de la réforme de la Politique agricole commune (PAC) et les négociations relatives à la révision de l’OCM-sucre (Organisation Commune de Marché pour le sucre) renforcent les enjeux et rendent d’autant plus importantes les démarches de planification à base spatiale.

Le succès et le développement rapides des systèmes d’information géographique (SIG) ont certainement contribué à renforcer ces antagonismes en permettant une dérive "spatiale", substituant la surface au territoire, la surface de la sole cannière à la richesse en sucre et à la valeur ajoutée, dans les démarches d’élaboration des documents d’urbanisme, même lorsque le document graphique est facultatif. Dans ce cas, il accapare souvent l’attention et les ressources disponibles, relativisant l’importance du rapport censé expliquer et justifier les orientations et les dispositions choisies. On pourra souligner ici le rôle prépondérant des fonctions visuelles et de représentation polysémique des enjeux fonciers, diversement interprétables selon le niveau d’information sur les rôles et logiques d’action des acteurs et des décideurs.

La tradition cannière réunionnaise, portée par un lobby sucrier très dynamique, a favorisé le développement d’une politique à dominante cannière. La nature des enjeux et le statut de ceux qui la portent favorisent une approche visant principalement les impacts quantitatifs sectoriels, en accordant une importance très relative à l’explicitation des effets généraux.

Qui produit ? Quoi ? Dans quel système de répartition des plus-values ? Où ? Comment ? Autant de questions souvent éludées. Le modèle de développement sous-jacent accepté comme modèle unique n’est pas complètement énoncé. Cela rend difficile la prise en compte de ses conséquences sur le long terme et délicate l’ébauche d’alternatives d’où la canne ne serait sûrement pas exclue.

Cécile Martignac

(à suivre)

Extrait d’un article paru en 2004 dans "Cahiers d’études et de recherches francophones / Agricultures. Volume 13, Numéro 6, 516-21"

Note
(1) Département de La Réunion. Livre vert de la canne. Saint-Denis de La Réunion : Département de La Réunion : 1996 ; 150 p.

Dossier suivi par Manuel Marchal

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