La filière canne et l’intégration européenne

Une crise sans précédent

25 juillet 2005

Notre filière canne sucre traverse actuellement, du fait de la réforme en cours du régime sucrier européen (OCM sucre), une nouvelle crise liée d’une part à son intégration à l’Union européenne, aggravée d’une cause externe qui est l’intégration globale aux règles du marché mondial.

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Ce n’est pas la première crise, mais ce n’est pas faire du “catastrophisme” que dire que c’est probablement la plus grave jamais affrontée jusqu’ici. Pourquoi ? Parce que la “réforme” de l’Organisation communautaire du marché du sucre - dont la Commission européenne a présenté le 22 juin dernier les orientations retenues pour la dernière phase de la négociation - remet en cause les bases de la politique -quotas et prix garantis - qui ont fortifié la production sucrière européenne depuis les débuts de la construction européenne.
Il s’agit donc d’une étape sans commune mesure avec les précédentes. En effet, les précédentes crises étaient commandées par les phases d’agrandissement de la Communauté ; c’est particulièrement net en 1975, après l’entrée du Royaume-Uni dans la Communauté économique européenne et la fin du Commonwealth Sugar Agreement (CSA), qui a donné lieu aux accords de Lomé avec les pays ACP.
La crise actuelle est liée à la réorganisation des règles commerciales que certains voudraient imposer à l’ensemble de la planète, par le biais de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). C’est parce qu’elle a souscrit aux règles de l’OMC que l’Union européenne - passée de 15 à 25 membres (dont 21 sont producteurs de betteraves) - est aujourd’hui devant l’obligation d’une “réforme” qui prend de fait la forme d’un reniement de ses options d’après guerre, période de reconstruction des appareils productifs.

Dire la vérité

Toute comparaison avec les crises antérieures n’est donc pas nécessairement pertinente. Mais ce qui reste valable, d’une crise à l’autre, est l’attitude qu’on lui oppose : veut-on regarder les choses en face ou opter pour la politique de l’autruche ? Ceux qui en général choisissent la deuxième attitude partagent une même obsession : l’anticommunisme. Pourquoi ? Parce que le PCR pour ce qui le concerne et ses directions successives ont eu une position constante devant les difficultés de la filière : 1) tirer la sonnette d’alarme dès les premiers signes de détérioration ; et 2) dire la vérité à tous sur la situation.
Cette attitude a permis notamment d’envoyer au parlement européen à partir de 1979 un élu réunionnais (Paul Vergès) dont l’action auprès de Bruxelles a conforté la filière réunionnaise, jusqu’à l’inscrire dans la construction des Régions ultra-périphériques qui garantit, dans un des traités de l’Union, la spécificité de ces régions à économie fragile, dépendante et très éloignée de l’Union continentale. Cette spécificité est mentionnée noir sur blanc dans le document de juillet 2004. Donc on ne peut pas à la fois dire que la situation des RUP est confortée dans les clauses actuelles de la réforme et proclamer que l’action du “visionnaire” Paul Vergès ne tend à rien d’autre qu’à l’Apocalypse et à la destruction de la filière canne. Il faut choisir...

Un même front

Face à la réforme en cours, planteurs et usiniers ont choisi de défendre dans un même front la production réunionnaise devant Bruxelles, avec l’ensemble des partenaires de la filière. Si les uns et les autres ont pour intérêt commun la survie de l’activité, ils ont par ailleurs des intérêts catégoriels divergents. L’exemple type en est l’accord de 1969 - appelé “accord de trahison “par les petits et moyens planteurs, c’est tout dire... - qui a dépossédé les propriétaires de canne à sucre des divers bénéfices tirés de ses sous-produits (autres que le sucre : rhum, mélasse, bagasse...). Il a fallu beaucoup de batailles dans la dernière période pour restituer aux planteurs les miettes des importants bénéfices confisqués par l’accord de 1969. Les petits et moyens planteurs, qui sont à la fois les piliers de la filière et sa composante économique la plus fragile, ne peuvent accepter de rester dans ce cadre ancien alors qu’une large partie de la survie de la filière est liée à sa capacité de trouver d’autres valorisations de la canne.
D’autres problèmes ne vont pas manquer de surgir pendant la suite des négociations. Dans la complète refonte du système voulue par Bruxelles, il est inéluctable par exemple de procéder ici même à la mise à plat de tous les critères interprofessionnels qui jusqu’ici ont présidé au fonctionnement de ce système, dans son cadre ancien. Et il faudra constamment faire la preuve de la validité de l’union par sa capacité à faire faire de nouvelles avancées à l’ensemble des parties.
La Région Réunion a déjà indiqué que cette mise à plat devrait se faire dans la transparence. C’est aussi l’intérêt bien compris de l’ensemble de la filière.
Elle n’a en effet aucun intérêt - aucun avenir, dans le nouveau contexte - à laisser porter par les plus faibles tout le poids de la réforme, au risque de les fragiliser jusqu’au point de rupture.

P. David


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