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Appel du PCR pour un nouveau rassemblement

Pour rompre avec 70 ans de néocolonialisme et pour faire face aux défis à venir

lundi 21 mars 2016, par Manuel Marchal


Ce samedi 19 mars à Sainte-Suzanne, le Parti communiste réunionnais tenait une conférence pour célébrer le 70e anniversaire de la loi du 19 mars 1946, qui a aboli le statut colonial à La Réunion. Sur la base d’une analyse montrant qu’au régime colonial s’est substitué depuis 70 ans un néocolonialisme, et compte-tenu des défis qui attendent La Réunion, le Parti communiste réunionnais a appelé à un nouveau rassemblement pour une nouvelle politique.


Samedi 19 mars 2016 à Sainte-Suzanne, le PCR a commémoré l’anniversaire de l’abolition du statut colonial, et a fait le bilan des 70 ans qui se sont écoulés depuis cette date. Il a présenté ensuite son analyse de la situation qui attend La Réunion dans une perspective de plusieurs décennies. Sur cette base, le PCR appelle les Réunionnais à un nouveau rassemblement.

La salle Rwa Kaf était remplie à l’occasion de la conférence organisée par le Parti communiste réunionnais pour célébrer le 70e anniversaire de la loi du 19 mars 1946. Une exposition réalisée par les militants de Sainte-Suzanne accueillait les participants. Juste à l’entrée de la salle, ils avaient ensuite la possibilité d’acheter des livres sur l’histoire de grands personnages de notre île, comme Raymond Vergès. Ils pouvaient aussi se documenter sur le Code noir, une brochure éditée par l’association pour la promotion du génie collectif réunionnais. Ils pouvaient enfin échanger contre la somme de 2 euros le dernier livret du PCR édité à l’occasion de ce 19 mars : « 70 ans après la loi du 19 mars 1946, un nouveau rassemblement pour une nouvelle politique, mettre fin au néocolonialisme ». Ce document présente la perspective déclinée ce matin-là au travers de trois interventions de membres de la direction du PCR.

Des centaines de militants venus de toute l’île étaient présents, notamment des délégations de Saint-Louis et celle de La Possession avec Philippe Robert. Plusieurs personnalités avaient également répondu à l’appel. On a notamment reconnu Guy Ethève, militant de l’École réunionnaise, ancien maire de Saint-Louis, Michèle Caniguy, conseillère départementale, André Oraison, professeur d’Université spécialiste des questions institutionnelles, Rajah Veloupoulé, ancien élu responsable de la Culture à la Région Réunion. Paul Vergès et Élie Hoarau, les deux anciens députés de La Réunion dont la démission a permis aux Réunionnais d’obtenir l’égalité sociale étaient également présents au premier rang.

C’est tout d’abord la Troupe Résistance menée par Simon Lagarrigue qui a ouvert la conférence au rythme du maloya. L’occasion de rappeler le rôle du PCR pour la survie de cette pratique culturelle, et pour sa promotion au plus haut niveau : depuis 2009, le maloya est inscrit par l’UNESCO sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité.

Plusieurs orateurs se succèdent alors. Dans ses prochaines éditions, « Témoignages » aura l’occasion de revenir plus en détail sur les interventions. Voici donc l’essentiel de ce qui a été dit.

Rationnement et surmortalité

Maurice Gironcel, secrétaire général du PCR et maire de Sainte-Suzanne prononce le mot de bienvenue : « nous célébrons aujourd’hui le 70e anniversaire de l’abolition du régime colonial que notre île a connu. Tous les pays colonisés honorent la date de leur libération du joug colonial. La Réunion doit en faire autant et nous applaudissons l’initiative du camarade Paul Verges qui a présenté au Sénat une proposition de loi visant à faire du 19 mars un jour férié et chômé », déclare-t-il avant de préciser : « nous célébrons la fin du régime colonial mais pas la politique qui a été mise en place après le 19 mars 46 et qu’on appelle la départementalisation ». « C’est cette politique qu’il nous faut radicalement changer », souligne-t-il.

Risham Badroudine décrit ensuite le contexte de La Réunion en 1945, l’année où les Réunionnais se sont rassemblés et ont créé les conditions politiques de l’abolition du statut colonial. La Réunion est un pays marqué par la malnutrition et un terrible sous-équipement en matière de santé. « Le problème de ravitaillement rendu aigu par l’absence de production locale (tissus, vêtement, médicament…) et la rupture des communications maritimes ordonnent la mise en œuvre d’une politique de rationnement et avec l’instauration d’une carte d’alimentation. Les produits comme le pain, le riz ou encore l’huile étaient également rationnés à partir de 1941 », explique-t-il. « Au niveau social la carence alimentaire entraine des conséquences graves sur le plan de la Santé publique : la variole, le paludisme (33 % de la mortalité), la tuberculose, la diphtérie et le tétanos constituent autant de fléaux supplémentaires et le taux de mortalité infantile bat des records. La ration alimentaire des Réunionnais, déjà réduite avant la guerre, est désastreuse au lendemain de celle-ci. À titre de comparaison, le Français moyen disposait de 25 kilos de viandes par habitant et par an en 1946 contre 9 kg pour le Réunionnais ».

La bataille pour l’égalité sociale

Julie Pontalba explique la genèse de la loi du 19 mars 1946. Le poids de trois siècles d’assimilation, la mise en place sous la colonie d’une société ouvrière et la force des revendications sociales a déterminé la revendication réunionnaise d’une voie originale de décolonisation, partagée par les Guadeloupéens, Guyanais et Martiniquais : l’intégration en tant que département français. « C’est pour toutes ces raisons que, dans l’année même de la victoire de la 2e guerre mondiale, les « Quatre vieilles colonies », aussi éloignées les unes des autres que le sont la Martinique, la Guyane, la Guadeloupe, La Réunion, ont réclamé, ensemble, le même statut en demandant l’abolition du régime colonial d’une part, et leur intégration à République française d’autre part, afin de bénéficier de l’égalité, de la liberté et du système de protection sociale français. C’est l’essentiel du contenu des revendications de Aimé Césaire, Raymond Vergès, Léon de Lépervanche, Léopold Bissol et Gaston Monnerville en 1946 ». Mais le changement attendu n’est pas là

« C’est, notamment, à partir de ce constat d’échec de l’application de la loi du 19 mars et le refus du pouvoir parisien de faire appliquer l’égalité que, en mai 1959, la fédération du PCF à La Réunion devient le Parti Communiste Réunionnais avec à sa tête Paul Vergès.

Le mot d’ordre alors, est l’Autonomie : il s’agit de poursuivre le combat de nos aînés pour l’Egalité, et sortir La Réunion du sous-développement colonial par la création de la richesse économique ».

Elle rappelle qu’en 1987, la démission des deux députés communistes Paul Vergès et Élie Hoarau a permis enfin l’égalité sociale au bout de cinquante années de luttes. Des décennies marquées par la répression contre les militants épris de justice et de libertés. Julie Pontalba cite le nom de 7 Réunionnais qui sont morts pour leurs idées : Marcel Dassot, Héliar Laude, François Coupou, Thomas Soundarom, Edouard Savigny, Joseph Landon et Rico Carpaye. « Rendons bien sûr hommage à toutes ces femmes et tous ces hommes qui sont arrivés à La Réunion durant ces années de lutte et qui ont épousé la cause militante. Sans détour et avec tous les risques que cela comportait Ils se sont mis au combat », dit-elle.

Système néocolonial

Yvan Dejean, secrétaire général du PCR, présente l’analyse faite par le Parti communiste réunionnais des 70 dernières années. Au lieu d’appliquer la loi du 19 mars puis d’accompagner le développement du pays, les gouvernements ont mis en place à La Réunion un système néocolonial à partir de trois décisions :

« Première décision : garder le monopole du commerce avec le colonisateur. Cela continue jusqu’à maintenant. L’essentiel de nos échanges commerciaux c’est avec la France et l’Union européenne ».

« Deuxième décision : pour avoir un marché plus grand dans la colonie le gouvernement va maintenir pour les fonctionnaires le supplément colonial. Comme la population augmente, le nombre de fonctionnaires augmente, les transferts publics augmentent aussi. Cela représente un pouvoir d’achats et un marché importants. Des milliards qui attirent à La Réunion les monopoles métropolitains ».

« Troisième décision : toujours pour, faire, faire, des profits aux capitalistes de métropole le gouvernement va supprimer le chemin de fer.

Or, le chemin de fer c’était un des plus performants au monde, avec un tunnel de 12 km : le train assurait le transport de marchandises, de voyageurs, etc. Le pouvoir supprime le chemin de fer.

C’est l’installation des monopoles pétroliers et automobile. L’importation de véhicules et carburants ce sont un milliard d’euros tous les ans. Et pour encore mieux rafler la mise ils ont évincé les Réunionnais qui avaient investis dans ce secteur ».

D’où cette conclusion : « on crée une classe de consommateurs avec le transfert de crédits publics. On crée une classe solvable et on fait venir les monopoles qui aspirent cet argent public et le transforme en bénéfice privé et le tout au profit des colonisateurs.on a donc transformé La Réunion de terre de production qu’elle était en 1946 en un pays de consommation ».

Les conséquences économiques et sociales sont catastrophiques : la moitié de la population sous le seuil de pauvreté, plus de la moitié des jeunes au chômage, plus de 110.000 illettrés.

Propositions du PCR

C’est avec cette crise que La Réunion doit faire face à « l’évolution du monde avec les 4 grands phénomènes qui vont bouleverser la planète : démographie, les changements du climat, la mondialisation des échanges commerciaux
et les progrès techniques ». Et de souligner « l’exemple de Madagascar [qui] va devenir un pays émergent. Et pour se développer Madagascar aura besoin de personnes qualifiées. Ici nous avons plus de 7000 bacheliers tous les ans ! ».

Les accords de partenariat économiques entre l’Union européenne et les pays voisins obligent La Réunion à s’intégrer dans une vaste zone de libre-échange dans sa région.

D’où la proposition du PCR de donner les moyens aux Réunionnais de s’intégrer dans leur région tout en maintenant les acquis sociaux issus de l’égalité.

« Par le biais de l’égalité réelle qui est pour nous le PIB par habitant, par le biais d’une politique des revenus plus égalitaire, par la contribution de la française des jeux, des grosses sociétés opérant à La Réunion, il est indispensable de créer un fonds de développement régional au service du développement de La Réunion », précise-t-il tout d’abord.

Ensuite, « sur le plan politique il faut arrêter de diluer les responsabilités. Nous disons qu’il faut une Assemblée Unique élue à la proportionnelle intégrale et dotée de délégations de compétences de la part de l’Etat, en dehors des domaines régaliens qui lui sont réservés, pour négocier et signer des accords avec les pays voisins mais aussi l’Europe et d’autres pays ».

Et de souligner que « tout ce que l’on vient de dire : liberté de commerce, assemblée unique, un fonds de développement, tout cela était contenu dans les thèses de la fondation du Parti en 1959. Tout cela était l’essence même du contenu de l’Autonomie portée par les thèses du Congrès fondateur du PCR. Et nous tenons à rendre hommage à leurs auteurs et principalement à Paul Verges qui il y a 57 ans ont eu la lucidité de définir la seule voie possible ».

L’appel au grand rassemblement

Sur la base de l’analyse du bilan des 70 ans qui se sont écoulés depuis l’abolition du statut colonial et qui ont vu la mise en place d’un néocolonialisme, compte-tenu des défis qui attendent La Réunion, et notamment son intégration dans son environnement régional, le PCR lance un appel à un nouveau rassemblement présenté dans la conclusion du discours de Yvan Dejean :

« Ce que nous venons de dire sur le fonds de développement, sur une assemblée responsable, sur la nécessité d’ouvrir La Réunion sur sa zone sont les vrais problèmes auxquels il faut apporter des solutions.

Si on ne s’attaque pas à ces problèmes, on en restera aux proclamations verbales et on utilisera les mêmes subterfuges pour continuer la politique néo coloniale de ces 70 ans.

C’est ce débat de fond que nous voulons lancer dans l’opinion.

Et nous devons le faire vite parce que le Pouvoir veut faire voter dans les mois qui viennent une loi dite d’égalité réelle qui engagera La Réunion sur plusieurs décennies.

Allons au fond des choses. Posons les vrais problèmes devant les Réunionnais. Débattons entre nous pour arriver à élaborer un projet partagé entre nous et pour le mettre en œuvre.

Il faut donc changer radicalement le système. Mais le contenu du changement doit être porté par le plus grand nombre. Nous appelons à un grand rassemblement.

En 1946, sortir du régime colonial n’était pas facile. Mais Raymond Verges et Léon de Lepervanche ont su créer un grand rassemblement. Ce rassemblement n’était seulement celui de la gauche. Mais celui de tous les réunionnais qui voulaient mettre fin au régime colonial. Ils ont gagné.

Il faut aujourd’hui faire la même chose.

Les conditions ne sont plus celles de 1946. Elles sont nouvelles.

Peut-être plus difficiles qu’hier. Mais c’est de notre responsabilité de trouver les solutions. Nous invitons tous les réunionnais à ce grand rassemblement. Nous sommes prêts à apporter notre contribution.

Si tout le monde est dans ce même état d’esprit ce rassemblement aura lieu et les Réunionnais - es seront trouvés comme en 1946 la juste voie pour sauver leur pays et avec lui les nouvelles générations de La Réunion ».

Messages de Jean Piot, Catherine Gaud et de la jeunesse

Guy Ethève

La conférence s’est conclue par des messages de personnalités et d’organisation. Celui de Jean Piot a été lu par Guy Éthève, ancien maire de Saint-Louis et compagnon de route d’Hyppolite Piot. Jean Piot remercie les organisateurs du rassemblement de ce samedi. Il rappelle que le problème des droits fondamentaux est loin d’être réglé.

Maurice Gironcel a lu le message de Catherine Gaud. L’ancienne élue de l’Alliance salue l’exemple donné par nos aînés. 70 ans après le vote de la loi, la précarité, l’injustice sociale et le chômage impactent sur la société, a-t-elle écrit, soulignant qu’il n’y a pas d’autre solution qu’une réforme en profondeur, décidée par les Réunionnais. Elle appelle toutes les forces vives de La Réunion à s’unir sur l’essentiel.

La jeunesse de Sainte-Suzanne a ensuite adressé son message aux participants à la conférence. Les jeunes rendent hommage aux luttes des camarades qui ont permis d’obtenir de précieuses victoires au cours des 70 dernières années. Ils affirment que le système devra compter avec une jeunesse rebelle, prête à reprendre le flambeau et le combat de nos aînés.

Les jeunes demandent un moratoire dans les recrutements dans la fonction publique pour en favoriser l’accès aux Réunionnais. Ils souhaitent s’investir dans le co-développement et rappellent, reprenant les mots de Lucet Langenier : « le combat continue pour la liberté et l’avenir de notre jeunesse ».

Maurice Gironcel a conclu la conférence en rappelant que le contenu des interventions peut être approfondi à la lecture du document réalisé par le PCR : « 70 ans après la loi du 19 mars, un nouveau rassemblement pour une nouvelle politique ». Il a présenté également le nouveau média du PCR : www.kanalreunion.com. Sur ce site Internet, il est déjà possible d’écouter l’enregistrement de toute la conférence.

C’est la troupe Résistance qui a clôturé la conférence au son du maloya.

M.M.

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