La longue marche vers la départementalisation de La Réunion - 3 -

Après la rue, les urnes

21 mars 2006

Dans ce 3ème volet de la description de la longue marche des Réunionnais vers le vote de la loi du 19 mars 1946, Eugène Rousse rappelle que cet événement historique n’est pas venu tout seul. Il a été préparé par une forte mobilisation des forces vives du pays, notamment par des grèves et des manifestations, dont celle du 1er mai 1938 à Saint-Denis, puis une série d’élections très importantes.

Moins de trois mois après cette grandiose manifestation du 1er mai 1938, on assiste à Saint-Denis à la naissance, le 21 juillet 1938, de l’Union départementale réunionnaise des syndicats et fédérations CGT. Le secrétariat général de cette Union est confié au docteur Raymond Vergès et son siège se situe rue Pasteur, dans une dépendance de la maison du syndicaliste Évenor Lucas.
L’organisation (appelée communément “l’UD”) compte quelque 5.000 adhérents. Grâce au matériel d’impression apporté d’Europe par le docteur Raymond Vergès, elle s’empresse d’éditer un bulletin de liaison : le journal "Libération", qui paraît pour la première fois le 8 août 1938. Un an plus tard, il sera remplacé par "le Travail", qui cessera de paraître lorsque éclatera la guerre.

La guerre, ses difficultés et la répression

Le tocsin qui retentit au clocher de toutes les églises de la colonie à l’aube du 4 septembre 1939 annonce non seulement le début de la Seconde Guerre mondiale mais aussi une ère de difficultés pour les travailleurs réunionnais, dont les dirigeants - notamment Raymond Vergès et Léon de Lépervanche - seront victimes d’une implacable répression.
Le ralliement de La Réunion à la France Libre du général de Gaulle a lieu le 28 novembre 1942, lors de la venue du contre-torpilleur “Le Léopard”. Ce ralliement est très largement facilité par Léon de Lépervanche, aidé des marins et cheminots du Port.
Il marque la reprise des activités de la Ligue des droits de l’Homme, véritable vivier de syndicalistes, de femmes et d’hommes politiques. La reprise également, dans toute l’île, des activités politiques et syndicales de ceux qui veulent changer la vie dans la colonie en la transformant en département de la République.

"Tous unis pour votre libération !"

Pour tous ces militants anticolonialistes, l’année 1945 est ponctuée de scrutins ô combien importants. Elle marque une étape décisive sur la voie de la départementalisation.
Au début de cette année, un appel à la mobilisation générale est lancé aux travailleurs et singulièrement aux syndiqués de la CGT, qui ne sont pas loin des 10.000.
Et c’est dans un enthousiasme indescriptible que se constitue à Saint Denis, le dimanche 11 mars 1945, le Comité républicain d’action démocratique et sociale (CRADS).
Ce comité, présidé par le docteur Vergès, "demande à tous les vrais républicains de faire bloc avec la classe ouvrière jusqu’ici systématiquement écartée des assemblées élues, pour que le Travail occupe demain la place à laquelle il a droit".
Le comité lance un appel qui s’achève ainsi : "Travailleurs, tous unis pour votre libération !"

Le rôle des femmes

En vue du financement des campagnes électorales qui s’étalent sur plus de la moitié de l’année 1945, le comité demande à chaque membre de la CGT de lui verser l’équivalent d’une journée de travail. En dépit du passage sur l’île les 5 et 6 avril d’un cyclone meurtrier, l’appel du Comité sera largement entendu.
Et dans les collectes des fonds, les femmes qui se préparent à se rendre aux urnes pour la première fois - en application d’une décision prise à Alger par l’Assemblée consultative provisoire présidée par le général de Gaulle - entendent prendre toute leur place. Elles entreprennent de faire du porte-à-porte et font entendre leurs voix au cours des innombrables meetings électoraux et sont naturellement candidates le 27 mai 1945 sur les listes du CRADS, malgré les mises en garde de l’Église catholique.

Victoire du CRADS aux municipales

À ces listes du CRADS, s’opposent aux municipales du 27 mai 1945 les listes "républicaines d’union démocratique et chrétienne".
Au soir du 27 mai, le verdict populaire tombe : le CRADS, dont les têtes de liste sont très majoritairement des cégétistes et des militants de la Ligue des droits de l’Homme, obtient la majorité dans 12 des 23 communes de l’île, dont Saint-Denis, Saint-Paul, Saint-Pierre, Le Port, Saint-André.
Après la voix de la rue, la voix des urnes : dans la marche vers la départementalisation, un pas important vient alors d’être fait. Les Réunionnais en ont clairement conscience, comme vont le montrer les scrutins suivants.

Eugène Rousse

(à suivre)


"Cependant, l’Histoire a révélé que, du fait de l’existence du statut colonial, nos ancêtres ont continué à subir, avec l’engagisme et la colonisation directe, les conditions de vies héritées du régime esclavagiste. Cela a duré 1 siècle."

Extrait de “Nou lé pa plus. Nou lé pa moin. Rèspèk a nou :
Amplifions l’Appel pour que le 19 mars soit une date commémorative”, déclaration adoptée à l’unanimité par 1.200 vétérans réunis le 12 février à Sainte-Suzanne.


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