Françoise Vergès et les débats à l’Assemblée constituante - 16 -

Assimilation : trahison ou étape ?

5 mai 2006

La postface du livre de 1996 sur les débats parlementaires ayant conduit au vote de la loi du 19 mars 1946 analyse les idées de ceux qui ont lutté pour l’abolition du statut colonial de La Réunion, il y a 60 ans. L’historienne Françoise Vergès y expose en particulier le contenu anti-colonialiste et anti-capitaliste donné par Raymond Vergès, Léon de Lépervanche et leurs amis au concept d’“assimilation” à la République, qui était au cœur de leur lutte. Toutefois, le fait de mettre en avant ce concept avec celui d’égalité n’est pas sans poser des questions. Les intertitres sont de “Témoignages”.

Devons-nous lire 1946 comme simplement un pur moment d’aliénation et d’illusion car l’État avait démontré dans le passé sa résistance à l’égalité entre les citoyens de son empire ? Ou bien, devons-nous lire 1946 comme un événement contenant en germe des demandes radicales ?
En effet, l’égalité demeure une aspiration jamais satisfaite, puisqu’elle nécessite une constante renégociation des termes du contrat entre ceux qui sont devenus égaux et ceux qui demandent à rejoindre la communauté des égaux.

Aliénation ?
Illusion ?

De nos jours, l’assimilation est vue, par des intellectuels, des militants et des étudiants de la décolonisation, comme le résultat de l’aliénation d’une petite bourgeoisie, comme l’illusion d’une élite éduquée, suffisamment crédule pour croire que des peuples colonisés pouvaient accéder à l’égalité par un compromis.
Le modèle de la décolonisation qui a prévalu dans l’histoire post-coloniale est celui de la libération nationale par les armes. Cependant, le mouvement de décolonisation après la Deuxième Guerre Mondiale ne fut pas inauguré par la lutte armée.

Une opportunité à saisir

Les mouvements anticolonialistes essayèrent d’abord de saisir l’opportunité offerte par la victoire des Alliés. Victoire qui avait réaffirmé les droits de la démocratie, les droits des peuples à disposer d’eux—mêmes et avait condamné toute forme d’asservissement.
Ces mouvements présentèrent des arguments justifiant la fin de la domination coloniale en prenant pour fondement les principes démocratiques avancés par les pouvoirs coloniaux. La Charte de l’Atlantique d’Août 1941 avait réaffirmé le droit des peuples à l’autodétermination, droit qui fut plus tard inscrit dans la Charte des Nations Unies (1).

Entre la lutte armée...

Le colonialisme français, cependant, offrit une résistance au respect de ses propres principes. La lutte armée apparut alors nécessaire aux anticolonialistes en réponse d’une part à la surdité têtue de l’administration coloniale française face à leurs propositions, d’autre part à la violation continuelle des droits humains dans les colonies (2).
Bien que, dans bien des cas, la lutte armée fut inévitable, il est intéressant de revisiter l’histoire de celles et ceux qui crurent à la possibilité d’accords sur une base de conciliation. Cette conception de la décolonisation a constitué, dans l’histoire de l’émancipation des peuples colonisés, un chapitre qui mérite d’être étudié.

...et la discussion

Ce chapitre de l’assimilation, de la conciliation, n’est cependant pas habité par le grand souffle des moments révolutionnaires. La narration d’un compromis dans lequel les principaux personnages essayent de convaincre par la raison n’exerce pas la même séduction que des histoires de héros. Les luttes héroïques de la décolonisation, où la dignité est retrouvée sur les ruines d’un colonialisme vaincu, offre une narration plus attirante que l’histoire de discussions, compromis et négociations.
Les héros de la décolonisation sont donc plus souvent ceux qui auraient pris les armes et se seraient dressés contre les colonialistes, que ceux qui se sont assis à une table et ont discuté avec l’ennemi.

De Ben Bella à Ho Chi Minh

On se souvient ainsi plus facilement des leaders du FLN comme Ben Bella, Ait Ahmed et Krim Beikacem que de Ferrat Abbas ou Messali Hadj, qui, bien que déterminés dans la lutte anti-colonialiste, cherchèrent toujours à unir et négocier.
On se souvient ainsi plus facilement du Ho Chi Minh du temps de Dien Bien Phu, de la guerre de guérilla, que du Ho Chi Minh signant l’accord du 6 mars 1946 avec Sainteny, envoyé du gouvernement français (3).

L’héritage de 1946

Mais cette conception de l’histoire de la décolonisation comme n’étant qu’une histoire de héros virils nie d’importants événements qui appartiennent eux aussi à l’histoire de la décolonisation.
Pour les quatre “vieilles colonies”, la loi de 1946 ouvrit la voie à des transformations économiques, sociales, culturelles et politiques importantes. Nous vivons encore l’héritage de ce moment, qui ne peut être compris dans les seuls termes de la narration héroïque.

L’histoire de l’émancipation

Il s’agit donc de présenter la généalogie de ce compromis, afin de l’intégrer dans l’histoire de l’émancipation, non comme un moment aberrant mais comme une tentative de retrouver une dignité, une liberté et une égalité. C’est la tentative de démontrer la position irrationnelle dans laquelle se mettrait la France si, tout en défendant des valeurs républicaines d’égalité et en soutenant le droit des peuples à l’autodétermination, elle voulait garder son empire. Les partisans du compromis faisaient appel à des principes moraux. Mais il nous faut aussi comprendre pourquoi les anticolonialistes demandèrent l’assimilation.

(à suivre)

Françoise Vergès

(1) - La charte des Nations Unies fut signée le 26 juin 1949 par les cinquante pays fondateurs, parmi lesquels la France. La Charte exprima l’engagement de ces pays à aider les populations sous domination coloniale à "développer leurs capacités à se gouverner elles-mêmes".
(2) - Voir Yves Benot, “Massacres coloniaux” Paris - Éditions La Découverte, 1994 ; Philippe Devillers, “Paris Saïgon Hanoï - Les archives de la guerre 1944 -1947”. Paris. Archives Gallimard, Julliard, 1988.
(3) - Voir sur les discussions entre les nationalistes vietnamiens et le gouvernement français (Philippe Devillers, op. cit).


Le 19 mars 1946, à l’initiative de nos 2 députés, Raymond Vergès et Léon de Lépervanche, l’Assemblée constituante vota à l’unanimité une loi qui abolit le statut colonial et créa le Département de La Réunion.

Extrait de “Nou lé pa plus. Nou lé pa moin. Rèspèk a nou :
Amplifions l’Appel pour que le 19 mars soit une date commémorative”, déclaration adoptée à l’unanimité par 1.200 vétérans réunis le 12 février à Sainte-Suzanne.


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