1944 - 2004 : 60 années de fidélité de “Témoignages” à l’idéal de son fondateur - 2 -

Avant-guerre, un état sanitaire alarmant

6 mai 2004

Hier, nous avons commencé à publier une série d’articles de Eugène Rousse retraçant le contexte dans lequel “Témoignages” a vu le jour le 5 mai 1944. À l’époque, La Réunion était encore une colonie, la plus grande partie de la population vivait dans la misère et connaissait un mauvais état sanitaire, dont les principales causes sont explicitées ci-après. Le dénuement dramatique de l’école publique sera traité par l’historien prochainement.

En 1937, on ne compte dans l’île que 24 médecins dont 30% exercent à Saint-
Denis. Ce nombre qui s’élevait à 8 en 1900 atteindra 30 en 1948 (contre 1.659 en 2002).
Cette même année 1937, on ne dénombre à La Réunion que 17 pharmaciens dont une minorité de titulaires du diplôme d’État (contre 411 en 2002) ; 9 dentistes (contre 371 en 2002) ; 17 infirmiers (contre 3.666 en 2002) ; 60 sage-femmes (contre 229 en 2002). Les autres professions de santé n’étant pratiquement pas exercées à La Réunion.

Insuffisance d’établissements sanitaires

Si l’on excepte le chef-lieu de la colonie sur le territoire duquel fonctionnent l’hôpital Félix Guyon (ouvert aux malades de toute l’île) en 1899, la maternité coloniale (en face de la Cathédrale), l’hôpital communal Saint-Jacques mis en service en 1830 et deux petites cliniques privées, les autres communes souffrent d’un tragique sous-équipement.
Quant aux malades mentaux, aux lépreux et aux passagers débarqués malades au port de la Pointe des Galets, ils sont parqués et isolés dans des locaux insalubres ("hôpital des fous" de Saint-Paul, léproserie de Saint-Bernard, Lazaret de la Grande Chaloupe). Ceux qui décèdent dans les deux derniers établissements sont inhumés sur le site même de l’établissement, comme l’exige leur statut d’exclus, voire de pestiférés.

Grande misère de l’habitat

Si l’on excepte quelques villas confortables implantées dans le centre de la majorité des villes et les vastes maisons bourgeoises des grands propriétaires terriens, situées hors des agglomérations, construites le plus souvent en bois avec toit de tôle ou de bardeaux, les logements sont d’une grande pauvreté à La Réunion. Il s’agit pour l’essentiel de paillotes.
La paillote, aux dimensions souvent modestes (4 mètres x 2,50 mètres) a généralement une ossature en bois, un toit de paille (canne, aloès, vétyver...), des murs en paille tressée fixée sur des piquets plantés dans le sol. Ces murs sont tapissés de vieux journaux. La paillote n’est jamais très haute afin de donner peu de prise aux vents. Elle est dépourvue de fenêtres. Son sol en terre battue est arrosée au moins une fois par jour. Le nombre de pièces d’une paillote varie entre une et trois. Est-il besoin de dire que ces paillotes ne sont alimentées ni en eau ni en électricité, que le mobilier y est sommaire et que les repas sont préparés en brûlant du bois sous un simple abri éloigné de la case ? Il convient de noter aussi que la paillote est dépourvue de plafond et de sanitaire, et qu’on s’y éclaire à la bougie ou à la lampe à pétrole.
Il est évident que la paillote présente des variantes selon les revenus de ses occupants.
Elle peut être plus vaste : trois à quatre pièces, avec murs en calumets tressés ou en planches. Les murs extérieurs peuvent être en torchis (terre argileuse mouillée, mélangée à de la paille hachée ou mieux du chiendent formant une pâte qu’on applique sur des pieux très rapprochés). Ce torchis dont la consistance est celle du béton est ensuite soigneusement badigeonné. Ce qui lui donne un bel aspect. Assez rarement, la paille du toit peut être remplacée par de la tôle ondulée et la terre battue du sol par des planches. C’est dans ce type de case que se sont écoulées mon enfance et une partie de mon adolescence, en compagnie de mes huit frères et sœurs, et de ma grand-mère qui occupait une petite dépendance au sol en terre battue.
On a de la peine à imaginer aujourd’hui qu’il y a un demi-siècle, la majorité des Réunionnais vivaient dans des paillotes aussi bien en ville qu’à la campagne. Il me suffit de rappeler que le cyclone des 26 et 27 janvier 1948 a détruit quelque 1.000 paillotes dans la seule commune du Port. Il me faut ajouter que les taudis faits de bric et de broc - qui sont progressivement remplacés aujourd’hui par des logements sociaux - abritaient une fraction importante de la population à l’époque coloniale.

(à suivre)

Eugène Rousse


K.O.I. fête l’anniversaire de “Témoignages”

Hier, Kanal océan Indien a consacré sa grille de programme matinale à une émission spéciale, animée par Sully Fontaine et consacrée aux personnes qui ont vécu la naissance de notre journal ou qui ont contribué à son existence au cours de ses premières années. Eugène Rousse a ainsi évoqué le contexte dans lequel le docteur Raymond Vergès a pris l’initiative de publier l’organe de défense des sans-défense. Pour sa part, Daniel Lallemand est revenu sur l’engagement militant quotidien nécessaire à la réalisation de notre journal, à l’époque où les démocrates de notre île étaient la cible de la répression. Des contributions remarquées qui ont permis aux plus jeunes de se rendre compte de l’importance décisive jouée par “Témoignages” depuis sa naissance dans toutes les luttes du peuple réunionnais.

Raymond Vergès19 mars

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