Françoise Vergès et les débats à l’Assemblée constituante - 19 -

Dès 1946, des oppositions, ici et à Paris, contre l’égalité

26 mai 2006

Nous continuons la publication de la postface du livre paru en 1996 sur les débats parlementaires ayant conduit au vote de la loi du 19 mars 1946. Dans ce texte, Françoise Vergès analyse les idées de ceux qui ont lutté pour l’abolition du statut colonial de La Réunion il y a 60 ans. L’historienne expose en particulier le contenu anti-colonialiste et anti-capitaliste donné par Raymond Vergès, Léon de Lépervanche et leurs amis au concept d’“assimilation” à la République, qui était au cœur de leur lutte. Les intertitres sont de “Témoignages”.
Comme nous l’avons vu dans nos précédentes éditions, ce concept d’assimilation fut parfois critiqué ’comme une autre forme d’asservissement’. Mais pour les anti-colonialistes qui l’ont mis en avant, il signifiait arracher pour les colonisés une extension de leurs droits. ’L’assimilation était vécue comme une conquête’ et elle fut jugée ’trop subversive aux yeux des opposants à la départementalisation’, comme on va le voir aujourd’hui.

À La Réunion, la loi du 19 mars 1946 avait rencontré de violentes résistances de la part des grands propriétaires terriens et de la bourgeoisie. Ils se mobilisèrent pour prévenir l’application des lois sociales dans l’île.
En 1948, l’Association des Droits et des Intérêts de La Réunion (ADIR) fut créée pour organiser la contre-attaque à la loi de 1946. Gabriel Macé, notaire à Saint-Denis, qui avait soutenu le régime de Vichy, en était le président. L’assimilation, disait-il, était un des aspects du complot communiste avec le but de "vendre La Réunion à la Russie" (1) . "L’assimilation est une hérésie criminelle, qui nous conduira à la ruine spirituelle" (2) .

"La Sécurité sociale, ... un mot à peu près vide"

En 1949, Raymond Vergès interpellait le Gouvernement. "La Sécurité sociale est une chose concrète et vivante pour les travailleurs de la métropole. Pour nous, gens d’Outre-mer, la Sécurité sociale n’est qu’un mot à peu près vide de substance dont nous devons faire une réalité par notre combat" (3).
Il refaisait alors un tableau de la situation de l’île : plus de gouverneur, certes, mais des chefs de service recrutés dans l’administration coloniale ; des routes dans un état lamentable ; pas d’eau potable pour la majorité de la population ; des classes de 80 à 140 élèves ; une mortalité infantile très forte ; des hôpitaux à "faire rougir de honte" ; un coût de la vie élevé. Le "seul bienfait évident pour les masses laborieuses a été la mise en route de l’A.M.G. (Assistance Médicale Gratuite)". "Tout notre effort, concluait le député de La Réunion, doit d’abord porter sur les réalisations économiques et sociales".

Plaidoyers de Raymond Vergès pour l’égalité...

Dans la mesure où la génération de 1946 força l’État et les opposants locaux à expliciter leur résistance à l’égalité, elle démontra les limites du discours républicain démocratique et questionna son universalisme.
Raymond Vergès déclarait en 1949 : "Nous sommes contre toute assimilation mécanique, contre toute assimilation illusoire" (4) . L’organisation sociale se fondait toujours sur l’exclusion de certains groupes. En 1952, Raymond Vergès insistait sur le "fait que le chômage sévit à l’état endémique dans les DOM et qu’il y a urgence à étendre à ces territoires le bénéfice de la législation métropolitaine sur le chômage" (5) . Enfin, le 2 juillet 1953, il demandait un vote de l’Assemblée nationale, un vote qui "soulignera quels sont les élus qui sont pour ou contre l’égalité des droits, pour ou contre les discriminations raciales".

... refusée par les gouvernants socialistes

Le gouvernement français, dirigé par les socialistes, s’enfonçait alors dans les guerres coloniales et la répression. Déjà en 1947, il avait ordonné la répression sanglante de la rébellion malgache. En Indochine et en Algérie, il refusait toute réforme.
Le projet d’assimilation comme projet de fraternité sociale porta au jour la complicité de l’État français avec les groupes économiques et politiques locaux qui voulaient maintenir leur contrôle sur l’économie de l’île.
Pour la Droite, l’assimilation avait toujours signifié désordre et troubles sociaux. Ainsi que le théoricien du racisme, Gustave Le Bon, l’avait dit en 1889, l’éducation dans les colonies était dangereuse car "elle ne faisait que montrer aux indigènes l’écart que nous avions mis entre eux et nous" (6).

(à suivre)

Françoise Vergès

(1) - “Le Progrès”, 26 juin 1951.
(2) - Cité dans Michel Robert, “La Réunion. Combats pour l’Autonomie”, Paris, L’Harmattan, 1976, p. 36.
(3) - Séance du 12 juillet 1949.
(4) - Raymond Vergès. Annales de l’Assemblée Nationale. Archives de l’Assemblée nationale. Séance du 30 juin 1949.
(5) - Séance du 23 octobre 1952.
(6) - Lewis, op. cit. p. 149.


À notre tour, nous appelons à amplifier le rassemblement pour que la date du 19 mars soit célébrée chaque année ! Elle est le point de départ de l’amplification et de l’accélération de la structuration de notre identité, condition absolue d’un développement durable et pour tous les Réunionnais.


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