Un article de Jean-François Reverzy pour le 60ème anniversaire de “Témoignages”

Douste-Blazy ou la trahison de la médecine

1er juin 2004

J’avais estimé Philippe Douste-Blazy quand il y aura bientôt deux ans, en octobre, il s’était engagé auprès de ses concitoyens au moment de la catastrophe de l’usine AZT de Toulouse. Il donnait l’image d’un maire investi de sa mission et l’assumant avec dévouement et courage. Il ne renvoie plus la même image, une fois devenu, par le jeu politique, ministre de la Santé.

Une évidence me frappe. Depuis quand l’ancien cardiologue de Lourdes n’a-t-il pas exercé la médecine ? Connaît-il encore les réalités de la pratique médicale ? Par ses propositions récentes concernant la réforme de l’assurance maladie et les hôpitaux, il ferait plutôt figure de médiocre transfuge de notre profession. Il est vrai que - comme l’énonçait déjà en 1953 mon père, médecin généraliste d’un quartier ouvrier de Lyon - un médecin ne doit jamais, s’il veut conserver son idéal, déchoir dans le politique et encore moins dans la bureaucratie... Douste ne se prendrait-il pas pour un de ces consultants experts ou technocrates, gestionnaires sans humanité, qui polluent les ministères et empestent les directions des établissements ?

Ses propositions sont médiocres, sans imagination, inacceptables pour tout médecin responsable. Elles font de plus figure - pour employer un cliché - de “cautère sur une jambe de bois”, où l’usage de gadgets coûteux comme le dossier informatique dit partagé serait censé faire figure de panacée universelle. On a déjà connu ça, il y a quelques années avec ce carnet de santé que nos clients - bons publics - nous amènent toujours à chaque consultation.
Je me suis personnellement opposé, dans le service dont je suis responsable et contre le dicktat de la direction, à la mise en place de ce dossier qui pour moi-même et mes collaborateurs comporte des risques importants sur le plan du secret médical et de la stigmatisation. La psychiatrie n’est pas une médecine comme les autres et a déjà conduit dans l’Histoire - en Allemagne, en France... - à des sélections ségrégatives et eugéniques.
Pour moi-même, un bon psychiatre ou psychothérapeute se doit avant tout de travailler sans dossier écrit ou informatique ; car si le lien de transfert qui s’est noué entre lui et son patient existe, le praticien garde dans sa mémoire l’histoire vivante de son client et cela suffit...

Quant à faire payer au client un euro non remboursé par consultation, c’est là un geste odieux et qui trahit les intentions sous-jacentes : la privatisation généralisée du dispositif de santé sur le modèle américain. C’est là le phare de nos technocrates et directeurs depuis des décennies, alors qu’outre-atlantique il est déjà contesté et frelaté...
Faire payer les retraités renvoie au combat de l’an dernier sur les retraites... Il serait temps d’aller à nouveau aux urnes pour nettoyer les ministères...

Quand mon père ouvrit son cabinet dans un quartier misérable de Lyon et le rouvrit après la libération, en 1945, l’assurance maladie n’existait pas dans sa forme actuelle. Jean Reverzy, confronté à la misère ouvrière du temps, soignait une grande partie de sa clientèle gratuitement. Il n’usurpa pas le surnom de “médecin des pauvres” qui lui fut attribué à sa mort ; ce ne fut qu’après la seconde guerre mondiale de 1939-45, grâce aux politiques de ministres communistes et socialistes, que le système actuel se mit en place et trouva son apogée avec le conventionnement des années 60.
Les médecins et leurs patients virent leur condition s’améliorer. Les Français se soignèrent mieux et s’éduquèrent à une santé désormais plus accessible et gratuite.
Douste-Blazy, après Mattei, voudrait-il nous ramener aux années 40 ? La question est posée et l’hypothèse tend à se vérifier.

Quant aux hôpitaux, c’est toujours la politique du pire, avec l’hospitalocentrisme et le modèle de rentabilité économique, symbolisé par la tarification globale : il s’agit pour les soignants de produire au maximum des objets appelés “soins” et de faire payer ceux-ci au client.
Douste a utilisé sans vergogne le chantage lors de son discours d’inauguration d’hôpital-expo. Un comportement fréquent des bureaucraties sanitaires : j’annule vos dettes, si vous acceptez d’entrer dans mon système.
La sinistre nouvelle gouvernance hospitalière de Mattei prépare en métropole comme ici - où elle a ses supporters - les catastrophes sanitaires de demain.
Je suis aussi inquiet quand je vois un Claude Évin, ancien ministre socialiste (rappelez-vous la tragédie et le scandale du sang contaminé) et président de la Fédération hospitalière de France, s’opposer certes aux propos de Douste-Blazy, mais tenir à sa manière le même discours recentrant la santé sur l’institution hospitalière et donnant plein pouvoir à ses gestionnaires, contre le corps médical... C’est une réflexion plus radicale qu’il faut mener et qui doit être menée d’abord par les usagers et les médecins eux-mêmes. Un front unitaire de combat à cet égard reste à créer...

Ce gouvernement - comme ses prédécesseurs - n’a pas eu l’audace de démanteler les forteresses hospitalières ni de sortir de la logique de l’hôpital entreprise et des concentrations aberrantes (comme l’hôpital Sud Réunion dans notre île).
Se voulant crypto-libéral, il ne fait pas confiance aux médecins et multiplie la bureaucratie du fonctionnariat administratif. Il n’a pas eu l’audace de développer la prévention et la création de structures légères d’accueil et de soins ; il n’a pas eu l’audace de mettre en place - grâce à l’associatif ou les mutualités - des centres de santé de première ligne, respectant le libre choix des patients...
Il n’a surtout pas l’audace de taxer le grand capital et l’industrie pharmaceutique - comme Synthé Labo et ses profits monstrueux - pour rétablir un équilibre compromis par leurs passe-droits et leur emprise sur les choix budgétaires...

Docteur Jean-François Reverzy,
médecin et psychiatre de base


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