Célébration du 19 mars 1946
Julie Pontalba : « Genèse de la loi du 19 mars 1946 »
Les interventions à la conférence du PCR célébrant le 70e anniversaire du statut colonial
Après la description de la situation de La Réunion en 1945, Julie Pontalba a expliqué pourquoi les Réunionnais ont choisi de revendiquer le statut de département, et rappelé les luttes du Parti communiste réunionnais pour appliquer la loi promulguée le 19 mars 1946.
Après la description de la situation de La Réunion en 1945, Julie Pontalba a expliqué pourquoi les Réunionnais ont choisi de revendiquer le statut de département, et rappelé les luttes du Parti communiste réunionnais pour appliquer la loi promulguée le 19 mars 1946.
Comme vient de dire Risham, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, il y a un mouvement des peuples colonisés qui veulent mettre fin à la domination de leur pays par le colonisateur. Pour vous donner une idée, la France occupait encore l’Algérie, le Vietnam, Djibouti, Madagascar… Ils veulent vivre libres et réclament l’indépendance.
Dans ce contexte mondial, que vont choisir La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane qui sont alors les 4 plus vieilles colonies de La France ?
Ils demandent l’abolition de la colonisation, par l’intégration au sein du pays colonisateur, la France. Ils réclament l’Egalité à travers le statut de Département.
La question est de savoir pourquoi ils ont choisi cette voie originale.
Poids de 3 siècles d’assimilation
Prenons notre cas, à La Réunion. L’histoire de notre peuplement et le poids de l’assimilation, les liens étroits entretenus avec La France, ainsi que la situation difficile que connaissait l’île ont largement influencé sur ce choix.
Il faut rappeler que notre île était une terre inhabitée. C’est en 1663 que deux Français, accompagnés de Malgaches, s’installent durablement. Puis, l’île passe sous la gestion du Royaume de France qui structure l’esclavage. La société réunionnaise sera régie par le Code Noir, écrit par Colbert, où il est dit qu’un Noir est un meuble. Après l’abolition de l’esclavage, en 1848, notre société sera régie par le système colonial direct, avec au début, la période de “l’engagisme”.
En 42 ans, de 1848 à 1890, ce sont plus de 100 000 personnes venues de Chine, de Madagascar, de l’Inde, d’Afrique qui seront introduites sur l’île. Le peuplement de l’île est donc très riche par sa diversité, mais le système colonial français est basé sur la volonté d’assimiler les populations colonisées. La langue et la culture de ces populations sont niées et combattues. Par exemple, la religion catholique est imposée à tous.
C’est ainsi que depuis le début de son peuplement jusqu’à 1946, le poids de trois siècles d’assimilation et d’intégration française pèsent déjà très lourd sur la mentalité des habitants de l’île.
Poids de la situation sociale
Ensuite, il y a le lien permanent qu’entretiennent les habitants de l’île avec l’extérieur via les très nombreux travailleurs du Port et du chemin de fer. Le Port est le lieu d’échange des marchandises, mais aussi des hommes et d’idées. Ainsi, les travailleurs sont au courant des avancées sociales obtenues par le Front populaire en France en 1936 : l’augmentation des salaires, la baisse du temps de travail, les congés, le droit syndical… Ici les travailleurs vivent l’exploitation coloniale. Les échanges d’informations sont constants entre syndicalistes et politiques réunionnais et syndicalistes français qui posent les pieds au Port. Ces échanges avec l’extérieur renforcent encore plus l’intérêt pour les revendications sociales.
Enfin, Il y a la situation catastrophique exposée par Risham. A la fin de la guerre, les Réunionnais manquaient de tout : de nourriture, de soins, d’éducation, d’infrastructure… seule une très faible minorité avait accès à l’éducation et à un confort relatif.
Si, aujourd’hui, on avait encore le taux de mortalité de l’époque et surtout la mortalité infantile beaucoup d’entre nous ne serait pas vivants. Et, comme l’espérance de vie était à peine de 40 ans, beaucoup d’entre nous étaient déjà morts.
La situation ne change pas
Alors, c’est devant cette situation désastreuse et avec tout le poids de 3 siècles d’assimilation que le choix de l’intégration s’est imposée pour sortir du régime colonial.
C’est pour toutes ces raisons que, dans l’année même de la victoire de la 2e guerre mondiale, les « Quatre vieilles colonies », aussi éloignées les unes des autres que le sont la Martinique, la Guyane, la Guadeloupe, La Réunion, ont réclamé, ensemble, le même statut en demandant l’abolition du régime colonial d’une part, et leur intégration à République française d’autre part, afin de bénéficier de l’égalité, de la liberté et du système de protection sociale français. C’est l’essentiel du contenu des revendications de Aimé Césaire, Raymond Vergès, Léon de Lépervanche, Léopold Bissol et Gaston Monnerville en 1946.
Cette volonté commune a donné la loi du 19 mars 1946 qui en trois articles prévoyait :
- d’ériger les “quatre vieilles” en département,
- et l’application aux nouveaux départements des lois en vigueur en France métropolitaine dès le 1er janvier 1947. Ainsi que l’application expresse des nouvelles lois applicables à la métropole
C’est ce qui était écrit et signé par Félix Gouin, le Président du 3e gouvernement provisoire de La République, par Marius Moutet, le ministre de la France d’outre-mer, et par André Le Troquer, le ministre de l’intérieur. Mais dans la réalité ce n’est qu’un leurre.
Si ! On obtient quand même quelques avancées immédiates, comme le régime de la sécurité sociale en 1947, l’allocation aux vieux travailleurs en 1948, les allocations familiales en 1949, et une dynamisation de la condition des fonctionnaires.
Pour les reste la situation ne change pas. Selon un rapport datant de 1950, notre département est l’un des plus pauvres. Le nombre de médecins n’augmente pas, les infrastructures non plus. il faut attendre 1951 pour avoir la base d’un SMIC, puis, 1987, après des années de lutte pour l’égalité des salaires. Les droits fondamentaux tels que la liberté d’opinion et d’expression, ainsi que le droit de culte n’existent pas. Toute expression identitaire comme la diffusion de la musique réunionnaise ou l’utilisation du créole sont sévèrement réprimées. Le droit de vote est bafoué puisque la fraude électorale est soutenue par le pouvoir en place.
L’avènement du PCR et ses luttes
C’est, notamment, à partir de ce constat d’échec de l’application de la loi du 19 mars et le refus du pouvoir parisien de faire appliquer l’égalité que, en mai 1959, la fédération du PCF à La Réunion devient le Parti Communiste Réunionnais avec à sa tête Paul Vergès.
Le mot d’ordre alors, est l’Autonomie : il s’agit de poursuivre le combat de nos aînés pour l’Egalité, et sortir La Réunion du sous-développement colonial par la création de la richesse économique.
Et, il fallait lutter sur 2 fronts : puisque la loi avait été votée, il fallait se battre pour la faire appliquer. Parallèlement, il fallait renforcer la lutte pour l’identité Réunionnaise et l’émancipation politique.
En résumé, Paul Vergès l’a encore rappeler à Antenne Réunion, mardi soir :
Respeck a Nou , dans Nout Pays !
Les militants du PCR et leurs alliés sont fiers d’avoir remporter d’importantes victoires pour notre peuple.
Des victoires sur le plan social
La démission, en 1987, des deux députés communistes Paul Vergès et Elie Hoarau a permis à l’ensemble des Réunionnais de bénéficier de l’égalité sociale individuelle. Ils ont refusé le statut de parité que d’autres élus voulaient encore imposer aux Réunionnais. Ils ont aussi montré par ce geste qu’il n’y a pas de carrière politique à construire mais un peuple à défendre. Et enfin, en 1996, (soit 50 ans après le vote de la loi du 19 mars 1946), la quasi-totalité de la législation sociale métropolitaine était enfin étendue à notre île. Ce sont des milliards de Francs qui d’un coup sont entrés dans la poches des plus modestes de notre population.
Faut-il rappeler le soutien apporté par le PCR a la lutte victorieuse des lycéens et Collégiens en 1984 pour la Bourse au Boursiers et la cantine gratuite.
Victoires significatives sur le plan identitaire et culturel
Le luttes du PCR ont apporté des victoires significatives sur le plan identitaire et culturel.
En 1976, lors du 4e congrès du parti, le premier disque de maloya apparait en public, il est sponsorisé par le PCR. La vente est organisée par ses militants. C’était une musique et une danse clandestines mais aujourd’hui, le maloya est largement diffusé ; aujourd’hui, il est inscrit au patrimoine mondiale de l’UNESCO. Grace, entre autre, à l’action de la Maison des Civilisations et de l’Unité réunionnaise et en particulier de Françoise Vergès.
Le 20 décembre, autrefois occulté, est depuis 1983, et grâce au combat du PCR un jour chômé et férié. Il y a même qui rajoute des feux d’artifices. Nous avons réussi à faire reconnaître que l’esclavage est un crime contre l’humanité et le 10 mai est célébré dans toute la France en mémoire des esclaves. Notre langue commune, le créole est le plus parlé. Notre histoire et notre littérature est de plus en plus diffusées. Témoignages était jadis le seul journal qui osait écrire des articles en créole et aujourd’hui, notre langue est entrée dans nos écoles, à la radio et la télévision officielle.
C’est tout notre peuple qui bénéficie de notre travail.
Victoires pour le respect de la démocratie
Nous avons remporté des victoires pour le respect de la démocratie.
La lutte contre la fraude électorale : le PCR est à l’initiative de l’ADNOE, (l’Association pour le déroulement normal des opérations électorales), qui rassemble un large front de protestation contre les mœurs électorales de l’époque. Cela a permis un meilleur déroulement des votes, un plus grand respect des opinions des réunionnais.
On peut aussi parler des luttes du PCR pour le respect des pratiques religieuses, son engagement pour la cause des femmes de La Réunion..
Paul Vergès disait dans le Journal de l’Humanité en 2005 : “Le PCR s’est donc toujours posé en défenseur des libertés d’opinion et de religion, de la presse et du vote. C’est celui aussi qui a jeté les bases de l’égalité et du développement.”
Hommages aux militants
Nous célébrons 70 ans d’histoire, dont 57 ans d’action du PCR.
Le PCR c’est avant tout des hommes et des femmes qui se sont mis au service de leur pays et qui se sont battus sans relâche, nous devons leur rendre hommage aujourd’hui.
Nous devons rendre un hommage particulier à ceux qui sont morts dans la lutte il s’agit de Marcel Dassot, Héliar Laude, François Coupou, Thomas Soundarom, Edouard Savigny, Joseph Landon et Rico Carpaye leur histoire est relatée dans ce livre “les 7 martyrs”.
Nous devons rendre hommage à tous ceux qui ont été victimes d’emprisonnement arbitraire, ou déportés, à tous ceux, donc, qui ont subit l’ordonnance d’octobre 1960. Cette ordonnance scélérate, appelée encore « ordonnance Debré » permettait d’expulser les fonctionnaires réunionnais sous la simple présomption de leur appartenance au PCR. Du jour au lendemain ils ont été expulsés de l’île, loin de leur famille, perdant leurs avantages. Nous pensons à notre cher camarade, disparu il y a 2 ans, Roland Robert, pour ne citer que lui.
Rendons hommage aux camarades de l’Ecole Réunionnaise, dont un des représentants est présent aujourd’hui. Ces Réunionnais ce sont battus pour instaurer une orientation réunionnaise au sein de nos écoles et malgré la menace, ils n’ont jamais courbé l’échine. Aujourd’hui nous assistons à tous les progrès qui ont été réalisés pour l’intégration de la langue, de l’histoire et de la culture réunionnaise dans les écoles.
Rendons bien sûr hommage à toutes ces femmes et tous ces hommes qui sont arrivés à La Réunion durant ces années de lutte et qui ont épousé la cause militante. Sans détour et avec tous les risques que cela comportait Ils se sont mis au combat. Ils sont toujours là et il y en a qui sont présents aujourd’hui avec nous. Nous leur rendons hommage.
Rendons hommage à toutes celles et tous ceux qui pendant la clandestinité de Paul Vergès pour le droit à la liberté d’expression, n’ont pas hésité à apporter leur aide, à accorder un espace pour une réunion “en cachette”, ou, ont tout simplement défié les forces de l’ordre pour assister aux réunions tenues par Paul Vergès. Vous avez entendu le groupe Résistance à l’ouverture de cette conférence et bien ils ont aussi joué pendant cette période de clandestinité. On peut les applaudir à nouveau.
Pour conclure, cette partie, nous dirons que grâce à la lutte, à l’engagement et au dévouement de tous, des victoires ont été arrachées. Mais, malgré tout, aujourd’hui ce régime a atteint ses limites et nous conduit à l’impasse.
Il nous faut une nouvelle politique.
Cette question sera traitée par le prochain orateur.
Merci de votre attention.