Le 21 octobre 1945, Raymond Vergès et Léon de Lépervanche sont élus députés de La Réunion

L’élection qui changea La Réunion

20 octobre 2007

Dès la signature, le 8 mai 1945, de l’amnistie annonçant la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France se lance, sur le plan politique, dans une série d’élections visant à renouveler tout son personnel politique


Une série d’élections

Les Municipales prévues pour le début du mois de mai seront repoussées au 27 mai à La Réunion à la suite du passage sur l’île, les 6 et 7 avril, d’un cyclone. Des Cantonales se dérouleront le 7 octobre, et le 21 octobre, ont lieu, à la fois, un référendum et l’élection de députés à une assemblée chargée de rédiger une nouvelle Constitution.
Au référendum, l’électorat est appelé à se prononcer sur deux questions :
« 1) Voulez-vous que l’assemblée élue ce jour soit constituante ?
2) Approuvez-vous que les pouvoirs publics soient, jusqu’à la mise en vigueur de la nouvelle Constitution, organisés conformément aux dispositions du projet de loi dont le texte figure au verso de bulletin ? »
Pour la première fois, en application de l’ordonnance signée le 21 avril 1944 à Alger par le Général De Gaulle, chef du Gouvernement Provisoire de la République Française, les femmes peuvent participer au scrutin.
À La Réunion, le gouverneur, André Gapagorry, fera tout pour que l’on rompe avec les pratiques frauduleuses d’avant-guerre et pour que les scrutins se déroulent normalement. Il avertit que « quiconque osera attenter directement ou indirectement à la liberté d’expression du suffrage universel sera impitoyablement (...) traduit devant les juridictions répressives ». Il interdit la vente de rhum les jours du scrutin.
Pour les Législatives, le scrutin se déroulera de manière normale, sauf à Saint-Benoît où Alexis De Villeneuve, Maire de la commune et candidat, obtiendra 5.050 voix sur les 5.077 électeurs inscrits.

La création du CRADS
Pour affronter cette série d’élections, des hommes et des femmes, des communistes notamment, mais aussi des syndicalistes, des membres de la Ligue des Droits de l’Homme ou des francs-maçons se regroupent pour constituer le CRADS (Comité Républicain d’Action Démocratique et Sociale) dirigé par le docteur Raymond Vergès.
Les élections municipales de 27 mai connaissent une forte participation (73,5%). Le CRADS enlève 12 communes sur 23 dont toutes les grandes villes (Saint-André, Sainte-Suzanne, Saint-Denis, Le Port, Saint-Paul, Saint-Louis, Saint-Pierre). Il totalise alors 71% des suffrages exprimés. Il obtient 22 des 36 sièges aux Cantonales du 7 octobre. Le CRADS remporte les Législatives du 21 octobre où il enlève les 2 sièges à pouvoir. Il avait appelé à voter “oui” au référendum. Dans la première circonscription, celle qui va de Saint-Benoît à Saint-Denis, Raymond Vergès l’emporte devant Alexis De Villeneuve, tandis que dans la seconde circonscription, Léon de Lépervanche, Maire du Port, bat Raphaël Babet (candidat socialiste) et Fernand Sanglier (candidat de l’Union Démocratique et Chrétienne).

Un message de rénovation sociale
« La volonté politique exprimée lors des premières échéances électorales de l’après-guerre est avant tout un message de rénovation sociale. C’est un vote contre la régression sociale accentuée par les années de guerre. Comme le note le journal “Le Progrès”, on a voté contre la bourgeoisie locale et sur le slogan “Le Pouvoir au peuple” », écrivent Yvan Combeau, Prosper Eve, Sudel Fuma et Edmond Maestri dans l’ouvrage collectif “Histoire de La Réunion : de la colonie à la région”. Les mêmes auteurs notent que « les campagnes électorales lors des scrutins (Municipales et Législatives) de l’année 1945 confirment une mobilisation favorable à la naissance d’un département à La Réunion ».
Les mêmes auteurs soulignent que « l’axe principal » de la campagne électorale des Législatives est « la transformation de la colonie en département. Le changement de politique social, la plus grande participation des Réunionnais à la vie politique et économique de l’île, passe par ce tournant institutionnel ».
Les deux nouveaux élus quitteront La Réunion durant le mois de novembre. Ils s’inscrivent au groupe communiste, première force politique nationale. Ils déposeront un projet de loi demandant la transformation de La Réunion en département français. De leurs côtés, des députés antillais et guyanais - dont Aimé Césaire - demandèrent la transformation de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane en départements français. Le 14 mars 1946, l’Assemblée constituante vota l’ensemble de ces propositions de loi qui devinrent une seule loi : celle du 19 mars 46.
Une page importante de l’Histoire de La Réunion se tournait. D’autres batailles s’annonçaient.
Dans ce contexte, réunis le 30 novembre 1947 à l’Hôtel de ville de Saint-Denis, plusieurs centaines de délégués décident en la présence de Raymond Vergès et de Léon de Lépervanche de la création, à La Réunion, d’une fédération du Parti Communiste Français. Une nouvelle page de l’histoire politique de l’île était écrite.


• Raymond Vergès

Né à Saint-Denis le 15 août 1882, fils de pharmacien, il entreprend simultanément des études de médecine et de mathématiques supérieures. Il sera donc à la fois ingénieur et médecin.
Volontaire pendant la guerre, blessé, il est professeur, ingénieur et médecin en Chine, puis consul de France au Siam.
Raymond Vergès revient à La Réunion en 1931. Il est nommé directeur du service de santé, s’engage dans la défense des pauvres, ce qui l’amène à se syndicaliser à la C.G.T. Sa popularité est telle qu’il est élu en mai 1945 dans trois communes. Il décide cependant de prendre la Direction de la Mairie de Saint-Denis. Élu député en octobre 1945, il occupera ce poste jusqu’en 1955. Il regroupera derrière lui au sein du CRADS beaucoup d’hommes et de femmes venus de tous les bords politiques.
Le 5 mai 1944, il fonde notre journal “Témoignages”. En 1946, avec Léon de Lépervanche, ils proposent la loi de départementalisation. L’île accède à son statut de Département français d’Outre-mer le 19 mars 1946.
Raymond Vergès siégera pendant 10 ans comme député. Agé de 73 ans, il décide de passer le relais pour les Législatives du 2 janvier 1956 qui verront l’élection de Paul Vergès et de Raymond Mondon. Il consacre alors le restant de sa vie au Conseil général, à la Mairie de Saint-André et à “Témoignages”. Il décède le 2 juillet 1957. Les élections municipales organisées à Saint-André pour son remplacement marquent le retour de la fraude organisée et des violences électorales.


• Léon de Lépervanche

Il fit ses études au lycée Leconte-de-Lisle à Saint-Denis puis devint cheminot au Port. La création du chemin de fer et du port avait donné naissance à une classe ouvrière réunionnaise relativement peu nombreuse, mais soudée et décidée à faire reconnaître ses compétences et ses droits.
Dès son entrée à la compagnie du Chemin de Fer de La Réunion, Léon de Lépervanche révéla des opinions marxistes et devint un syndicaliste actif au sein de l’Union des syndicats du C.P.R. et des Dockers.
Il regroupa, en 1936, 37 syndicats dans la Fédération Réunionnaise des Travailleurs (F.R.T.) affiliée au Parti communiste, dont il fut le secrétaire général. Leader des cheminots et des dockers, il mena les grèves du Front Populaire en 1936, revendiquant l’égalité avec la Métropole et le statut départemental.
Léon de Lépervanche participa à la création de la Fédération réunionnaise du Parti Communiste Français.
Résistant sous Vichy, il joua un rôle actif dans la libération du Port.
En 1945, Léon de Lépervanche devint maire du Port et conseiller général. Député en 1946, il présenta avec Raymond Vergès le projet de loi demandant la départementalisation de La Réunion. Favorable à une intégration du mouvement communiste réunionnais au sein du PCF, Léon de Lépervanche n’accepta pas l’idée proposée par Paul Vergès de créer à La Réunion un Parti de la Libération Réunionnaise (PLR). Le compromis entre les deux thèses aboutit à la création en 1958 du Parti Communiste Réunionnais. Opposé au mot d’ordre d’autonomie, Léon de Lépervanche pris alors ses distances avec le PCR.

PS. Pour mieux connaître la vie de ses deux hommes et leurs actions, nous renvoyons nos lecteurs à la lecture des tomes 1, 2 et 3 de “Combat des Réunionnais pour la liberté” d’Eugène Rousse, des tomes 3 et 4 de “La commune du Port a cent ans” du même Eugène Rousse, de la biographie de Raymond Vergès réalisée par l’historienne Chantal Lauvernier.

Raymond VergèsLéon de Lépervanche

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