Françoise Vergès et les débats à l’Assemblée constituante - 10 -

La doctrine de l’assimilation vue par les colonisés

27 avril 2006

Nous poursuivons la publication de la postface du livre paru en 1996 sur les débats parlementaires ayant conduit au vote de la loi du 19 mars 1946. Dans ce texte, Françoise Vergès analyse le combat de ceux qui à l’époque ont lutté pour l’abolition du statut colonial de La Réunion. Elle explique en particulier le contenu anti-colonialiste et anti-capitaliste donné par Raymond Vergès, Léon de Lépervanche et leurs amis au concept d’“assimilation” à la République, qui était au cœur de leur lutte. Les intertitres sont de “Témoignages”.

La doctrine de l’assimilation reposait sur deux grands discours :

- le discours de la révolution française, avec sa devise "Liberté, Égalité, Fraternité" ;

et le discours socialiste de la fraternité universelle des ouvriers.
Ces deux discours présentaient une vision de l’émancipation, qui fonctionnait aussi comme mythe légitimateur, mais, "au contraire de la plupart des mythes, celui-là ne trouvait pas sa légitimité dans un acte fondateur mais dans un futur à accomplir, dans une Idée à réaliser" (1). Ou plutôt, trois idées à réaliser : celles exprimées dans la devise républicaine.

Etre républicain c’est être anti-colonialiste...

La doctrine républicaine offrait donc aux colonisés une théorie de la citoyenneté qui leur permettait d’imaginer la transformation de la société coloniale et de se projeter dans un futur décolonisé.
Bien que la Révolution française ait proclamé l’égalité de tous les habitants mâles sur le territoire national et dans ses colonies, elle n’avait pas poursuivi la réalisation de cet idéal.

...et anti-esclavagiste

Les républicains français continuèrent à se battre pour la réalisation de leur idéal et virent, dans la Seconde République de 1848, son achèvement. 1848 signifiait la réaffirmation et la réalisation de 1789 (2), et, dans les colonies, la réalisation de la promesse de liberté annoncée en 1794.
Mais si 1848 avait indiqué qu’une partie importante de la population, les esclaves, entrait dans le groupe des citoyens (3), il n’y avait pas eu réalisation de justice sociale. Aussi longtemps que les riches étaient en mesure d’exploiter impunément les pauvres dans les colonies, la République était en contradiction avec sa doctrine.

1946 : "le 1848 des colonies"

Aux yeux des républicains coloniaux, 1946 était "le 1848 des colonies", sa révolution sociale.
Ainsi que Caroline Oudin-Bastide et Prosper Ève l’ont montré, la doctrine de l’assimilation était associée, en France et dans les colonies, au parti républicain, alors que l’autonomie était traditionnellement la demande de l’aristocratie foncière (4).

En finir avec "l’arbitraire des décrets"

Aimé Césaire avait exprimé cette distinction à la séance du 12 mars 1946 par ces mots : "la tendance de tous les régimes autoritaires qu’a connus la France a été de rejeter la Martinique et la Guadeloupe hors de la communauté nationale et qu’au contraire la tendance de tous les régimes libéraux qui ont gouverné la métropole a été d’arracher ces territoires à l’arbitraire des décrets, pour les admettre au bénéfice des générosités de la loi française" (5).
L’incorporation dans l’État français marquerait la fin de l’administration arbitraire qui avait été instituée par la Constitution de 1852 (6).

(à suivre)

Françoise Vergès

(1) - Jean-François Lyotard. “Notes on Legitimation”. Oxford Literary Review. 1987. pp 106-118. p. 113.
(2) - Voir William H. Sewell Jr, “Beyond 1793 : Babœuf, Louis Blanc and the Genealogy ofSocial Revolution", in François Furet et Mona Ozoufeds, “The French Revolution and the Creation of Modern Political Culture”. Vol. 3 - “The Transformation of Political Culture 1789-1848” Oxford. New-York Pergamon Press, 1989. pp. 509-526.
(3) - Il ne s’agit pas d’impliquer ici que cette intégration fut complète. Prosper Ève et Sudel Fuma ont montré que les discriminations contre les esclaves libérés continuèrent, que leur citoyenneté fut plus virtuelle que réelle.
(4) - Prosper Ève, “Le jeu politique à La Réunion de 1900 à 1939” - Paris. L’Harmattan - Université de La Réunion. 1994. Caroline Oudin-Bastide, “L’assimilation. La Stratégie du pouvoir. La lutte des colonies”. CARÉ. Février 1981. 1987 pp 889-119.
(5) - Annales de l’Assemblée Nationale Constituante. Séance du 12 mars 1946.
(6)- La Constitution de 1852 mettait les administrations des Vieilles Colonies et de l’Algérie sous le contrôle du Sénat, qui administrait par décret.


Nous considérant comme des héritiers et acteurs de la grande lutte pour le Respect de la Dignité des Réunionnais, nous approuvons les termes de l’appel invitant à la célébration du 60ème anniversaire de la loi du 19 mars 1946, dans l’Union la plus large de tous les Réunionnais et dans le respect des convictions de chacun.

Extrait de “Nou lé pa plus. Nou lé pa moin. Rèspèk a nou :
Amplifions l’Appel pour que le 19 mars soit une date commémorative”, déclaration adoptée à l’unanimité par 1.200 vétérans réunis le 12 février à Sainte-Suzanne.


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