La longue marche vers la départementalisation de La Réunion - 15 -

La presse d’opposition muselée

4 avril 2006

La loi d’égalité Vergès-Lépervanche du 19 mars 1946 n’a pas été respectée, ni appliquée par les différents gouvernements ayant dirigé la République durant les décennies qui ont suivi. Cela a entraîné de grandes discriminations entre Métropolitains et Réunionnais, non seulement dans le domaine des droits sociaux mais aussi dans celui des libertés publiques, des droits humains et du suffrage universel. C’est ce que nous avons vu hier à travers l’ordonnance du 15 octobre 1960. Nous le verrons aujourd’hui à travers les atteintes à la liberté d’expression, comme nous le rappelle l’historien Eugène Rousse.

Quand on parle de presse d’opposition à La Réunion, il s’agit essentiellement de “Témoignages”. Ce journal a été fondé le 5 mai 1944 par le docteur Raymond Vergès. Celui-ci en devient le directeur en décembre 1947.
À ce moment-là, il est député. Il est donc protégé par l’immunité parlementaire. Mais en application de la loi Minjoz-Soustelle, visant à museler la presse, le député Raymond Vergès doit obligatoirement s’adjoindre un directeur délégué, susceptible d’être l’objet de poursuites judiciaires à tout moment.

Alice Pévérelly, Bruny Payet, Raymond Vergès, tous condamnés...

Dans ces conditions, 2 co-directeurs vont se succéder à “Témoignages” jusqu’à la fin du mandat de député du docteur Vergès, le 1er janvier 1956. Ce sont Alice Pévérelly, puis Bruny Payet.
Ces derniers sont impliqués tous les 2 dans des délits de presse. Ils seront lourdement condamnés et seront dépouillés de tous leurs biens personnels.
Le docteur Vergès lui-même ne sera pas épargné par la répression : le 4 juin 1957, soit moins d’un mois avant son décès le 2 juillet 1957, il est condamné à 50.000 francs CFA d’amende.

13 saisies de “Témoignages” par un préfet...

Paul Vergès, qui a été élu député avec Raymond Mondon le 2 janvier 1956, succède à son père à la Direction de “Témoignages” le 18 juillet 1957. Mais il n’est couvert par l’immunité parlementaire que jusqu’en novembre 1958.
À partir de cette date, il passe presque autant de temps au Palais de justice de Saint-Denis qu’au siège de son journal. En effet, “Témoignages” fait l’objet de pas moins de 13 saisies, du 30 mai 1961 au 2 mars 1963, sur ordre du préfet Jean Perreau-Pradier.

... puis 31 saisies du journal par un autre préfet

Ces saisies de “Témoignages” sont autant d’expressions d’un "abus de pouvoir caractérisé et illégal", reconnaît le Conseil d’État dans un arrêt rendu le 1er décembre 1965.
Après le départ de Jean Perreau-Pradier et son remplacement par Alfred Diefenbacher, les saisies de “Témoignages” se poursuivent. Elles se chiffrent à 31 entre 1963 et 1966. Ce qui fera au total 44 saisies de “Témoignages”.

Condamnation de Paul Vergès et clandestinité...

Quant aux multiples poursuites du directeur de “Témoignages” devant les tribunaux de Saint-Denis, l’une d’elles débouche le 4 juillet 1963 devant la Cour d’Appel de Saint-Denis sur une condamnation de Paul Vergès à 3 mois de prison ferme et à 100.000 francs CFA d’amende. Telle est la sanction infligée au directeur de “Témoignages” pour un délit de presse relatif à la guerre d’Algérie et qui s’était achevé par un acquittement en première instance.
La Cour de Cassation ayant confirmé le verdict de la Cour d’Appel en mars 1964, Paul Vergès explique le 17 mars au procureur général de La Réunion qu’il ne se laissera pas emprisonner tant que les auteurs et responsables des fraudes électorales ne seront pas poursuivis par la Justice. Commence alors pour lui l’épreuve de la clandestinité, qui ne prendra fin que le 28 juillet 1966.

... suivies d’un non-lieu

À sa sortie de la clandestinité, Paul Vergès doit répondre à une convocation du juge d’instruction de la Cour de Sûreté de l’État. Il est poursuivi devant cette juridiction pour "atteinte à l’intégrité du territoire national", uniquement parce que dans “Témoignages”, il avait souligné la nécessité de changer le statut de La Réunion, dans le respect de la Constitution.
Après 3 jours passés à la prison de Saint-Denis et 9 jours à la prison de la Santé à Paris, il est définitivement libéré et bénéficiera rapidement d’un non-lieu.

Fête de “Témoignages” et défilé du 1er mai interdits

Outre cet acharnement de la Justice de l’époque contre les directeurs de “Témoignages”, signalons l’interdiction par le préfet Paul Cousseran de la fête de “Témoignages” en décembre 1970.
Cette atteinte aux libertés fondamentales sera suivie 4 mois plus tard de l’interdiction par le même préfet du traditionnel défilé du 1er mai, sous prétexte qu’un tel défilé "risque d’entraver la circulation".

Eugène Rousse

(à suivre)


nouveaux défis ont surgi et qui nécessitent un engagement résolu de toutes les générations.

Extrait de “Nou lé pa plus. Nou lé pa moin. Rèspèk a nou :
Amplifions l’Appel pour que le 19 mars soit une date commémorative”, déclaration adoptée à l’unanimité par 1.200 vétérans réunis le 12 février à Sainte-Suzanne.


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