Témoignages - Journal fondé le 5 mai 1944
par le Dr Raymond Vergès

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Les années courage

Les combats d’un vétéran : Félix Gauvin - 3 -

mercredi 16 août 2006


Après Sé pa kroyab ! - pas croyable mais vrai -, deux autres expressions colorent le récit des combats que Félix Gauvin a menés avec le PCR : ’Je me demande comment un boug comme moi est encore vivant’ et aussi ’Qu’est-ce que j’ai pas fait dans ma vie !’ Ou les quatre cents coups d’un vétéran du PCR pour enterrer la colonie.


Pendant des décennies, la situation sanitaire a été une préoccupation aiguë des familles réunionnaises. Félix Gauvin a connu La Réunion d’avant 1946, la pénurie de médicaments, la pénurie de tout... et les batailles mémorables qu’il a fallu mener pour en sortir, quelquefois longtemps après 1946.
Au sortir de la guerre, l’amélioration de la santé publique est une priorité. La nouvelle municipalité créé des postes d’infirmiers, en 1945, dont un au Bois de Nèfles, le quartier de Félix Gauvin. "Il s’appelait Turpin. Le poste a été supprimé quand la droite a repris la direction de Saint-Denis". C’est-à-dire très vite. Et devant le retour de la pénurie, le manque de médicaments et "tant de gens malades", Félix Gauvin se fait infirmier : par amitié pour Raymond Vergès, infatigable directeur de la Santé (jusqu’en 1946) et aussi pour faire face aux attentes de la population, de ses voisins, de sa famille.

Plusieurs luttes contre la maladie

Sept enfants sont nés dans la famille Gauvin, six garçons et une fille pour lesquels il va se jeter à fond dans la bataille sanitaire. Contre le paludisme en premier lieu, dont il est lui-même atteint l’année de la naissance du premier fils, Vivian. "Vivian a eu le paludisme à 4 mois et demi ; Joël a fait une sorte de septicémie, heureusement que la pénicilline était arrivée ; Marie-Antoinette - Manette - a été atteinte d’une poliomyélite..." Lorsqu’un enfant était gravement malade à l’époque, le garder en vie était une vraie bataille.
Son aîné, après avoir eu le paludisme, a fait une bronchite tous les ans. C’est ce qui a décidé Félix à apprendre à “piquer” lui-même. Puis il a appris à son camarade Toto (Jocelyn) Nirlo, le seul qui ait accepté d’aller jusque-là avec lui. D’après ce qu’il en dit, l’apprentissage a été épique !
"Mon koshon lété malad ; koshon i gagne la bronchite osi sa...! Je faisais la piqûre au cochon. In jour in voisin i demand si mi pé pik son garson ; son garson na la fièv. “Mi pik pa demoun, mi pik koshon”"... Après cela, il a fait des piqûres de Bénerva matin et après-midi, contre les polynévrites.
Son cinquième fils est atteint d’une septicémie. "Heureusement que la pénicilline était arrivée ; mais c’était une pénicilline de toutes les trois heures. Tous les jours, il se levait sans fièvre et les après-midi, la fièvre revenait. C’est parce que la pénicilline devait être gardée à moins de 12 degrès et l’infirmière ne voulait pas la mettre dans la glace", se souvient-il.
Le petit faisait des abcès et un jour, l’un d’eux remonte au poumon. Par chance, le docteur Berg lui trouve deux flacons de Streptomicine. Félix raconte comment il est allé lui-même chercher de la glace et comment, dans l’attente, le Chinois d’une petite boutique, un camarade, lui a donné de quoi le dépanner en glaçons pour une nuit.
L’autre grande alerte a été la poliomyélite de l’unique fille, la dernière. "Si on prend à temps avec des bains chauds, ça tue le microbe". Félix se souvient d’une “miss” anglaise, en Sud-Afrique, qui avait alors popularisé une technique à base de compresses d’eau chaude ; et aussi d’un docteur de Saint-Denis qui, dans des conférences, préconisait des bains d’eau chaude salée. "On chauffait de l’eau, on déchirait des compresses avec Claire". Trois jours et trois nuits les parents se sont activés auprès de la petite.

Un jour, un ouvrier avec qui il construisait un mur est blessé. "Faire bouillir de l’eau de sel, il n’y a que ça à faire", dit Félix avec philosophie. Une philosophie qu’il a dû s’appliquer à lui-même, un jour. Il avait des vaches, sur une propriété à 1,5 km de l’école. Un ouvrier, Lolo, apportait le lait à 4 heures du matin. Un jour de défection de Lolo, Félix va chercher le lait lui-même : il en gardait une partie pour sa famille et vendait le restant. En descendant - trop vite - il fait une chute et l’arrosoir dans lequel il portait le lait lui tombe sur la figure ! Coupé net, son bout de nez n’était retenu que par un morceau d’aile. Il s’est rafistolé le nez avec une espèce de pâte faite de saindoux et de racines de curcuma. Il faut connaître l’histoire pour deviner la cicatrice...

Des péripéties toujours plus fortes

"Je me demande comment un boug comme moi est encore vivant !..." La bataille sanitaire, c’était pour sauver ses enfants ou porter secours à un voisin. C’était aussi une des priorités de la bataille politique, dans une île qui manquait encore de tout et dont les grandes avancées de 1946 étaient freinées des quatre fers par une bourgeoisie obtuse.
Mais lorsque ses souvenirs le ramènent vers ses propres accidents de santé, le récit de Félix Gauvin devient celui d’un trompe-la-mort de 93 ans qui se moque de ses plaies et bosses : du paludisme - auquel il a survécu - et d’une rate éclatée, entre autres !
Un jour qu’il chargeait son camion de cannes, il perd l’équilibre. "Je suis tombé sur le rein gauche, j’ai entendu pef ! J’avais dit à Toto (Nirlo) : “quand tu vois quelqu’un à terre, tu ne sais pas ce qu’il a, il ne faut pas le bouger”". Autour de lui, Toto s’affole... Personne ne sait quoi faire. Félix Gauvin est resté a tèr jusqu’à ce qu’il puisse se relever tout seul, avec de méchantes douleurs. Le soir, il souffrait énormément. Il doit se livrer à une gymnastique impossible pour monter sur son lit et le jour suivant, on le trouve très faible. À force d’insister, son fils cadet, Robert, obtient qu’il aille chez le médecin. Il a “4 et demi” de tension ! Il se souvient d’une perfusion et d’une ambulance qui le ramène à la maison... pour mourir ! "Finalement, le docteur Berg - le neveu du précédent - m’a opéré de la rate au grand hôpital".
Il a été jeté à terre par les rafales de vent du cyclone Jenny, en 1962. Le Préfet avait “oublié” de prévenir...

Un combat politique

Les autres coups durs lui sont venus par son engagement militant. Sa rencontre avec le communisme datait des années 30. "Il n’y avait pas de parti communiste ici. Raymond Vergès s’est inscrit au groupe communiste (PCF) à l’Assemblée nationale, en 1945. Ensuite un député communiste est venu quelque temps monter une fédération du PCF. Tout ce que je savais du communisme - on n’en parlait pas dans mon magasin ; il n’y avait pas de syndicat, pas rien...- je l’avais vu dans un journal : c’était un homme avec un couteau entre les dents". L’image a certainement frappé l’imagination du jeune employé, pour son côté très exotique, mais l’effet produit - s’il y en eut un - ne fut pas vraiment celui attendu. Dans la vie de tous les jours, les communistes se battaient pour installer la Sécurité sociale, développer les professions de santé (infirmiers, sages-femmes...) donner des fiches de paie aux salariés et défendre leurs droits, enrayer la mortalité infantile... La plupart de ces combats ont été victorieux, même s’ils ont été très longs parfois.
Félix Gauvin les a traversés passionnément, sans leur “sacrifier” sa famille : au contraire, c’est pour elle d’abord qu’il se battait. Sa seule défaite peut-être est de n’avoir rien pu contre la maladie de sa femme, Claire. Alors qu’elle était devenue directrice de l’école de Bois-de-Nèfles, elle tombe un jour dans la cour de l’école, après la guerre, et se fait un tassement de vertèbres. Elle en garde des douleurs telles que le couple fait un voyage en France, en 1955, pour chercher ce qu’elle avait. "On lui a parlé de sclérose en plaque, à Montpellier, mais elle n’a jamais perdu connaissance" objecte Félix, qui croit plutôt à une polynévrite. Ils reviennent en septembre 56. "Elle fait un tour de la cour et elle tombe" dit-il, comme revivant la scène.
Elle meurt quinze ans plus tard, en 1970, sans avoir retrouvé l’usage de ses jambes. Encore aujourd’hui, le récit qu’il fait des souffrances qu’elle a endurées est empreint à la fois de regret et d’admiration pour son dévouement, son courage et sa force.

Au plan politique aussi, il leur en a fallu, du courage et de la force, pour faire face ensemble aux années de répression.
"La force de Vergès , c’est d’avoir obligé Debré à lâcher bout par bout. Au fur et à mesure, on a obtenu l’égalité", triomphe-t-il. N’étant pas fonctionnaire, Félix n’a pas été frappé directement par “l’ordonnance 60”, ce qui lui laissait les coudées franches dans le soutien aux exilés : il a été de tous les meetings et réunions de protestation contre l’injustice.
Et des coups, là encore, il en a pris. Félix Gauvin revoit, dans les élections, les soldats malgaches, puis les tirailleurs sénégalais, puis les CRS. Un jour, dans un bureau de vote du Bois de Nèfles, il reçoit un sévère coup de chaise dans une bagarre.

À suivre...

Propos recueillis par P. David


Le 19 mars 1946, à l’initiative de nos 2 députés, Raymond Vergès et Léon de Lépervanche, l’Assemblée constituante vota à l’unanimité une loi qui abolit le statut colonial et créa le Département de La Réunion.

Extrait de “Nou lé pa plus. Nou lé pa moin. Rèspèk a nou :
Amplifions l’Appel pour que le 19 mars soit une date commémorative”, déclaration adoptée à l’unanimité par 1.200 vétérans réunis le 12 février à Sainte-Suzanne.


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