Le témoignage d’un vétéran de la lutte pour la “loi Vergès-Lépervanche”

Marcel Noël : ’sèt loi la raporte anou bokou’

6 février 2006

Dimanche prochain à 10 heures au Bocage Lucet Langenier de Sainte-Suzanne, se tiendra une grande assemblée des vétérans du Parti communiste réunionnais qui ont participé aux luttes ayant conduit au vote de la loi du 19 mars 1946 et à celles qui ont suivi pour l’application de l’égalité. Parmi ces personnes, Marcel Noël de La Rivière des Galets (Le Port), 77 ans.

Marcel Noël est un vieux travailleur qui a œuvré dans les secteurs de la boulangerie, des docks et du bâtiment. Né en 1928 à Saint-Denis, il aura 78 ans le 9 avril prochain. Il vit une retraite paisible dans une petite case de La Rivière des Galets au Port. Le dimanche 12 février prochain, il compte bien se rendre comme d’habitude au rassemblement organisé par le PCR à Sainte-Suzanne dans le cadre des préparatifs de la célébration du 60ème anniversaire de la “loi Raymond Vergès - Léon de Lépervanche”. Une loi qui a officiellement aboli le statut colonial et permis l’accession de La Réunion au statut de département.
Marcel Noël se réjouit de participer à cette rencontre, malgré le chikungunya qui vient de le frapper ce week-end. Alors il se soigne comme il peut pour surmonter ses douleurs et pour pouvoir se déplacer dans l’Est avec ses camarades de la cité maritime.

"La femme de mon patron était pour Vergès"

Quand on lui demande comment il a vécu cette période historique qui a entraîné de grands changements à La Réunion à la moitié du siècle dernier et par la suite, Marcel Noël raconte : "je me souviens très bien de la campagne électorale pour les élections législatives d’octobre 1945. J’allais avoir 18 ans et je travaillais avec mon frère comme manœuvre et livreur à la boulangerie Jean Gauthier dans la rue de l’église à Saint-Denis. Je n’avais pas le droit de vote mais je m’intéressais à la politique car il y avait la misère. Je suivais le docteur Raymond Vergès dans toutes ses réunions.
Il nous disait qu’il va faire quelque chose de bon pour La Réunion s’il est élu à l’Assemblée constituante et à condition que le peuple soit uni autour de ce projet. Il demandait que La Réunion devienne un département pour ne plus être soumise au régime colonialiste".
Comment ce rassemblement s’est-il opéré ? "Il n’y avait pas seulement les classes laborieuses qui suivaient Raymond Vergès et Léon de Lépervanche. Les classes moyennes aussi ont voté pour eux. Mon patron suivait le socialiste Raphaël Babet mais sa femme était pour Vergès", se rappelle Marcel Noël, pour qui le vote de la loi du 19 mars fut "une grande victoire".

"On a séparé les fonctionnaires des travailleurs"

Que représente pour ce vieux militant la célébration du 60ème anniversaire de cette loi ? "Cela signifie beaucoup pour les Réunionnais. En effet, cette loi nous a permis d’avoir des allocations familiales, la sécurité sociale, la retraite des vieux et tous les autres droits sociaux, même s’il a toujours fallu se battre pour obtenir l’égalité de traitement avec les métropolitains. Les lois sociales c’est grâce à la loi du 19 mars 46. Sèt loi la raporte anou bokou".
"Malheureusement,
ajoute Marcel Noël, par la suite on a séparé les fonctionnaires des travailleurs, nous avons dû lutter tout seuls pour défendre nos droits, obtenir le même SMIC qu’en France. Les travailleurs sont restés en arrière. On s’est retrouvés souvent bien seuls, nous les ouvriers avec les planteurs, dans les luttes pour nos droits, contre la fraude électorale, contre la répression anti-communiste par tous les gouvernements, par l’Église catholique qui nous obligeait à abjurer si nous voulions que nos enfants soient baptisés ou fassent la communion".

Toujours rebelle et debout

Le rassemblement du 12 février est donc "très important" pour Marcel Noël. "Il va nous permettre de rappeler les batailles qu’il a fallu mener tous ensemble pour faire voter la loi de l’égalité. Il faut absolument le faire car beaucoup de jeunes réunionnais ne connaissent pas cela, ils ne savent pas qui a mené ces batailles jusqu’à la victoire. Il faut dire aussi que je me réjouis de retrouver à Sainte-Suzanne beaucoup de vieux et vieilles camarades avec qui on a lutté avant et après 1946".
Même âgé et usé par des dizaines d’années de travail pénible, Marcel Noël, soucieux de contribuer à la construction de la mémoire historique de ses jeunes compatriotes, garde aussi un œil sur l’avenir : "si l’on veut en finir avec tout ce chômage dans notre pays, avec toutes ces injustices qui sont la cause de nombreux problèmes comme la délinquance, il faut que les jeunes bougent. Si les jeunes laissent notre pays aller, il sera écrasé par le capitalisme. Il faut donc continuer la lutte, même si c’est très dur", conclut Marcel Noël.
Fatigué, chikungunyé mais toujours rebelle et debout.

L. B.


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