70e anniversaire de l’abolition du statut colonial

Paul Vergès propose une loi pour la reconnaissance du 19 mars

12 février 2016, par Manuel Marchal

2016 marque le 70e anniversaire de la loi qui a fait évoluer La Réunion du statut de colonie à celui de département. Lors d’une conférence de presse hier, Paul Vergès a expliqué les raisons de cette voie originale de décolonisation. Ce 70e anniversaire ouvre aussi une nouvelle ère, un sentiment de plus en plus partagé. Le sénateur a fait plusieurs propositions pour que ce changement puisse avoir des répercussions positives à La Réunion, en particulier le développement d’une Université de l’océan Indien, pierre angulaire de l’intégration de notre île dans un environnement en pleine mutation.

Paul Vergès, sénateur de La Réunion.

Voici 70 ans, une revendication portée par les Réunionnais, les Antillais et les Guyanais amenait la transformation des « Quatre vieilles colonies » en département. C’était la première fois que le changement était initié par l’outre-mer, alors que jusqu’alors les évolutions étaient la conséquence de décisions prises à Paris.

Paul Vergès est tout d’abord revenu sur la construction de La Réunion. Île déserte au moment de sa découverte au 17e siècle, elle a connu une évolution originale. Au moment du peuplement, une décision était à prendre : quelle société construire ? « Un homme d’État, Colbert, a choisi un régime esclavagiste. Dans son zèle, il organise le fonctionnement de l’esclavage. C’est le Code Noir. Un document rédigé par quelqu’un de présenté comme exemplaire ».

Colbert et Bonaparte partisans de l’esclavage

Paul Vergès rappelle qu’à ce moment, l’esclavage était aboli depuis longtemps en Europe, et son principe était remis en cause par des mouvements notamment religieux. Il a fallu attendre 1794 pour que la Convention abolisse l’esclavage. Mais cette décision n’a pas été appliquée à La Réunion, car les propriétaires d’esclaves ont interdit à la mission chargée de la mettre en œuvre de débarquer.

En 1802, un autre homme d’État a décidé d’annuler l’abolition de l’esclavage, c’est Napoléon Bonaparte. « Il a prolongé de plus d’un demi-siècle le régime esclavagiste. On ne peut pas comprendre la situation sociale, politique et économique, si on ne prend pas en compte la durée d’un régime esclavagiste créé par la Métropole. Pendant près de 2 siècles, la plus longue période du peuple réunionnais était l’esclavage ».

Après l’abolition de 1848, le régime colonial direct a duré un siècle. En 1946, une nouvelle ère s’ouvre. « Elle est l’expression de la volonté réunionnaise et antillaise ».

Pour le sénateur, ces différentes étapes pèsent sur la mentalité réunionnaise.

C’est le transfert dans nos îles d’une idéologie institutionnelle qui vient de la France. Héritée du droit romain, sa marque était le centralisme, l’intégration à l’intérieur des frontières de cet État de populations différentes. C’est l’assimilation.

Ces traditions historiques se sont imposées dans les lieux colonisés par la France, l’Espagne et le Portugal. Quand les territoires étaient suffisamment grands, un État centralisé a succédé au pouvoir colonial. « Quand ce sont des îles modestes, comment peut se traduire la centralisation, l’intégration et l’assimilation à 10.000 kilomètres de distance ? », interroge Paul Vergès.

Poids de trois siècles d’intégration

Après la victoire sur le nazisme en 1945, « tous les peuples colonisés se sont orientés vers la reconquête de leur autonomie ou de l’indépendance. Les seuls qui ont choisi une voie opposée, ce sont ceux qui ont subi trois siècles d’intégration et d’assimilation », rappelle Paul Vergès, « ils ont demandé une solution qui a étonné tout le monde, l’intégration à la République. Car ils avaient eu des siècles de déculturation et de pression par l’assimilation ».

Cette revendication est née dans un contexte particulier. Après la perte d’Haïti, la France a imposé la culture de la canne à sucre à La Réunion et aux Antilles. « C’est la seule culture tropicale qui exige une transformation sur place » et explique l’industrialisation de La Réunion sur la base de l’héritage de l’esclavage avec une classe moyenne très peu nombreux et un prolétariat largement majoritaire.

« Les 12 usines sucrières, le chemin de fer et le port ont créé une structure sociale avec une classe ouvrière comparable à la France. Cela explique la puissance des syndicats et de la gauche ». Les conséquences de la déculturation et de l’accent mis sur la classe des prolétaires font que les revendications sociales ont primé. Au même moment, la France a connu de grandes luttes sociales : elles ont abouti au Front Populaire et au programme du Conseil national de la Résistance. « Il était logique que les syndicats demandent le bénéfice de ces avancées sociales. Cela explique la demande de l’égalité sociale, et a facilité le maintien de la politique historique de la France », poursuit Paul Vergès.

La Chine et l’Inde réunies à 800 kilomètres de Marseille

70 ans après, les opinions arrivent à la conclusion les progrès issus de la loi du 19 mars prennent fin. C’est l’idée du changement, de la rupture, de faire autrement… « Cette période a déjà commencé en Martinique et en Guyane. Il n’y a qu’à La Réunion que cela ne se discute pas. Il n’y a qu’ici que l’on demande plus d’argent, moins d’impôt ou l’abolition des lois sociales », dit en substance Paul Vergès.

En mai dernier, François Hollande a annoncé un projet de loi en deux volets : institutionnel et lutte contre les inégalités. « Tout annonce que le bilan doit être fait d’urgence », indique le sénateur. Il note un résultat positif dans les domaines de la santé, de l’éducation et des services publics. Mais c’est l’échec sur les plans économiques, sociaux et culturels, du fait du poids de l’intégration. Cela se caractérise par une balance commerciale où les importations représentent 90 %, tout vient de la France et d’Europe. C’est un exemple unique au monde, qu’une puissance métropolitaine appuie tellement l’intégration qu’elle représente 60 % des importations, à un coût de production extrêmement élevé. « Cette situation créée explose aujourd’hui ».

Pour Paul Vergès, « tout annonce la fin d’une ère ». Dans l’immédiat, Paul Vergès souhaite que le 19 mars soit un jour célébré à La Réunion et aux Antilles, il a déposé une proposition de loi allant dans ce sens. Les parlementaires réunionnais soutiendront-ils cette demande ?

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